Elle doit bien faire 40 centimètres de haut. Jaune bouton d'or, l'impressionnante montagne de beurre en libre-service trône, luisante, barattée de frais, sur le comptoir parisien. À l'ardoise du Tire-Bouchon Rodier, repris en juillet 2024 par Marc Favier ? Des « picorages » (dixit le chef), qui mettent l'eau à la bouche. Œufs fermiers mimosa à l'estragon. Impeccables frites de pomme de terre au couteau. Crème brûlée à la vanille... Cuisinés avec de très bons produits, les plats, d'inspiration traditionnelle, sont aussi réconfortants que généreux.
Quand on pense bistrot, terme attesté en français dès la fin du XIXe siècle, on a tous en tête ces établissements historiques, vénérables institutions remontant à plusieurs décennies : à Paris, Le Quincy. À Lyon — où on les surnomme « bouchons » —, Le Garet ou Daniel et Denise Créqui. Mais depuis peu, de nouveaux venus s'implantent. On le disait moribond, passé de mode, mais le bistrot fait de la résistance. Lieu de vie populaire, gouailleur et souvent cocasse, il séduit une nouvelle génération de clients, sur Instagram, TikTok... Et surtout dans la vraie vie.

Le bistrot, nouveau fantasme de la gen Z
Pâté en croûte, œufs mayo, vol-au-vent... Contre toute attente, voici les intitulés canaille que gen Z (individus nés entre 1997 et 2012) et les Millennials (nés entre 1981 et 1996) fantasment aujourd'hui. « Des assiettes nostalgiques qui rassurent sur fond de crise, quand le présent se fait trop anxiogène », analyse Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends et Insights au sein du cabinet de tendances NellyRodi. « De la même façon qu'on a assisté, sept ou huit ans en arrière, à un renouveau des bouillons parisiens, ces restaurants populaires de la Belle Époque, qui proposaient à l'origine des plats chauds et nourrissants à prix abordables, pour une clientèle ouvrière ou modeste, on observe un retour vers les marqueurs identitaires du bistrot traditionnel » poursuit le spécialiste.Nappe à carreaux Vichy, comptoir, carrelage en mosaïque, tables en Formica, verres Duralex... Une esthétique popu' très facilement identifiable, qui s'oppose au design moderne et épuré de restaurants plus chics. Un cadre convivial et sans chichis, sans compromis sur la qualité de la cuisine canaille et généreuse qu'on y trouve, ou la formule gagnante de la bistronomie.

Bistrot, bistronomie, néo bistrot
Contraction de « bistrot » et « gastronomie », le néologisme, que l'on doit au regretté journaliste et critique gastronomique Sébastien Demorand, s'emploie pour qualifier une cuisine créative et technique mais servie dans un lieu plus décontracté. Les pionniers de ce renouveau bistrotier ? La Régalade de Yves Camdeborde, en 2015. Ou Florent Ladeyn, qui inaugure à Lille en 2013 le Bloempot, cantine flamande au décor atypique, dans un ancien atelier de menuiserie.
D'ailleurs, le bistrot n'est pas forcément bon marché. Dans un bon bistrot parigot comme Vantre (ouvert en 2016) l'addition peut être la même que dans un restaurant bistronomique : 50 € par tête au déjeuner, 60 à 80 le soir, à la carte. Que l'on songe également au Café des Ministères, également à Paris, relancé en 2019 par le duo Roxane et Jean Sévègnes, et plébiscité par parlementaires et hommes (et femmes) d'affaire.
Parfois, le bistrot, dans son décorum, ne bouge pas d'un pouce. Et c'est la cuisine qui s'adapte, époussète gentiment ses classiques. Comme dans le cas du Bistrot Flaubert, adresse du 17ème arrondissement parisien connue des becs fins depuis des décennies, qui revisite les classiques avec justesse, à l'image de ce vol-au-vent ris de veau, lard, sauce poulette au vin jaune, quenelle de volaille et légumes de saison.

Un bistrot bien dans son époque
Car voilà : le bistrot a su traverser les âges et s'adapter à l'époque. Aujourd'hui, sur les scènes parisiennes, marseillaises ou lilloises, on boit plutôt des vins dans la tendance actuelle, en biodynamie ou nature. Et on twiste volontiers les intitulés du répertoire bistrotier. Comme chez Faubourg Daimant, à Paris, qui reprend depuis septembre 2023 les codes du bistrot bourgeois (saucière et plateaux en argent; nappe blanche, caviar d'algues...) dans un geste qui se veut « délicieusement décadent, et surtout gourmand », insiste Alice Tuyet, la fondatrice. Surprise : tout est vegan, mais sans le clamer de façon militante ! L'incontournable ? Ces croquettes 'cochonnes' (aux champignons !), « L'un de nos clins d'œil à la cuisine bourgeoise et à un classique saucier, la ravigote ».De même, et toujours à Paris, à l'instar de Mensae ou de Erso, lui inauguré en juillet 2024 par deux anciens du restaurant Le Pantruche, on observe notamment un retour du bon vieux menu entrée/plat/dessert, notamment au dîner. Comme un pied-de-nez aux sempiternelles « petites assiettes à partager (ou pas) ». Mais assez parlé. Pour ne pas rester sur votre faim, voici toute une flopée de bistrots ouverts il y a un ou deux ans à peine.
15 nouveaux bistrots sauce néo-rétro !
Le Boréal, à Paris (18ème arr.)
À l’angle de la rue du Pôle-Nord, la cheffe Philippine Jaillet et son compagnon Charles Neyers vous accueillent avec chaleur depuis fin 2023 dans un troquet typiquement parisien, avec cuisine ouverte, comptoir en laiton et inoxydables chaises Thonet. Côté assiette, leur boussole gourmande ne perd pas le Nord : de beaux produits frais ancrés dans la saison, travaillés dans l’air du temps avec une touche créative et décalée, à l’image de ce chawanmushi de champignons, praliné de cèpes, pickles et champignons grillés, ou encore de ce pithiviers végétarien au céleri-rave.

BRU, à Paris (9ème arr.)
Cap sur ce sud Pigalle, le fameux SoPi comme disent les anglophones, pour découvrir une cuisine bistrotière et canaille... Aux influences créoles ! Passée par L’Ami Jean, et classée parmi les 10 femmes qui inspirent la gastronomie en France en 2025, la cheffe Julia de Laguarigue maîtrise ses classiques, mais puise librement dans son enfance martiniquaise pour revisiter le bistrot tradi dans cet épatant Bib Gourmand sorti en septembre 2024. Résultat ? Une cuisine que la jeune femme définit comme « tropico-franchouillarde » : blanquette de veau revisitée au piment doux; pieds de porc, œufs mayo, et autres rillettes… Sauce chien, coco, colombo, ou ketchup de banane !

Faubourg Daimant, à Paris (10ème arr.)
Dans cette rue où les adresses bistronomiques s'enchaînent, ce joli bistrot né en 2023 tranche. Dans l'assiette, une cuisine de partage épicurienne... Et vegan ! Chou farci, saucière de jus, croquettes cochonnes, 'rillettes' du Puy (à base de lentilles !), oreilles de chardon laquées... Ce pari aussi « dément » que savoureux est tenu grâce à des sauces généreuses et des associations audacieuses où le végétal déploie toute sa palette de goût : on oublie vite l’absence de beurre et de crème.

Dandelion, à Paris (20ème arr.)
Ancien chef de Double Dragon et sous-chef chez Septime, Antoine Villard s'est associé à Morgane Souris, sommelière passée par Parcelles, pour ouvrir début mai 2024 cette petite perle de bistrot contemporain s’ouvrant sur une place arborée. Le chef en a suffisamment sous le pied pour réussir une cuisine précise et créative aux influences variées, mariant avec brio des saveurs inattendues : thon rouge à la groseille et tagète ; crevettes crues au kimchi et gingembre... Miam !

L'Arpaon, à Paris (18ème arr.)
En mars 2024, deux compères vingtenaires, Yann Botbol et Nathan Sebagh, mettaient sur orbite ce drôle de bouclard de poche à la joyeuse devanture verte. À l'ardoise ? Une revisite contemporaine et voyageuse des classiques bistrotiers, navigant entre Tunis, Tel-Aviv et Paris. Vol-au-vent garni d’un tajine de veau; brioche de tourteau 100% gourmande... Malin !

Baca'v - Boulogne, à Boulogne-Billancourt
Pâté en croûte, vol-au-vent, ris de veau, millefeuille, soufflé au chocolat... Dans l'esprit de son aîné (le Baca'v par Gilles Choukroun), ce Bib Gourmand de 250 m² met à l'honneur une cuisine française généreuse et conviviale. À la carte depuis octobre 2023 ? Des classiques bistrotiers généreux revus au goût du jour, avec une simplicité terriblement gourmande. À l'instar de cette gridouille (andouille de Vire avec un morceau de poitrine de porc maigre) et de sa purée ultra-beurrée. Excellents produits du Limousin, région natale du chef Émile Cotte.

Rosette, à Clichy
Baptisé Rosette, comme le saucisson lyonnais (clin d'œil aux origines de ses fondateurs, Camille Aldon et Arthur Auguy, tous deux natifs de la Cité des Gones), ce petit bistrot lancé en 2023 s'inspire de l’esprit d’un bouchon contemporain. Le menu (sans choix) suit les saisons. Chouette carte des vins, au verre, à la bouteille et même au pot !

Prémices, à Marseille
Depuis deux ans, deux anciens de La Mercerie (bistrot phocéen inauguré, lui, en 2018) tiennent la barre de ce chaleureux repaire bistrophile et inventif. Le chef Benoît Cadot met en avant des produits de saison et des associations audacieuses. Le midi, on se régale d’un menu de qualité à un prix hyper abordable. Régal que ces bucatini maison au condiment épinard et sauge frite, tout comme la délicieuse tarte butternut, noix de muscade, accompagnée d'un condiment subtil à base de pâte de coing et de physalis.

Turbulent, à Trouville-sur-Mer
En octobre 2025, une ancienne crêperie devenait le nouveau QG du trublion Jarvis Scott, ex-candidat Top Chef et ancien des fourneaux de Liquide, à Paris. Loin des codes convenus de cette petite station balnéaire du Calvados, dans un décor brut et sans chichis, ses associations décomplexées détonnent. Grenouilles flirtant avec la merguez, bulots en escapade sauce algérienne... Dans l'assiette, le message est clair : du goût, des saveurs franches, sans artifices inutiles. La carte des vins fait la part belle aux crus naturels et biologiques.

Les Galinas, à Aix-en Provence
Dans une ruelle fraîche de la vieille ville, trois jeunes associés ont lancé courant 2023 ce bistrot, vite récompensé deux ans plus tard d'un Bib Gourmand. Objectif ? Faire revivre la cuisine provençale de grand-mère. Chez ces galinas (« grands garçons » en provençal), point de revisite alambiquée ni de recettes voyageuses. Rien que du local, dans l'esprit comme dans l'assiette : des tomates à la provençale (modèle du genre), un aïoli de compétition, des tripes d'agneau ou encore un raïto de lotte à tomber. Produits de première fraîcheur et tour de main sûr !

Siprès, à Lyon
Une de nos adresses préférées à Lyon ! Deux Alexis, l’un au salé et l’autre au sucré, ont ouvert en juin 2023 sur la place du Prado cette table conviviale avec ses murs de pierres apparentes... Vite récompensée d'un Bib Gourmand ! Leur complicité fait mouche dès l’entrée (gourmande) avec ce pâté en croûte fait maison à quatre mains, nimbé d’une pâte bien dorée et croustillante réalisée par le pâtissier, et entourant une goûteuse farce bien assaisonnée exécutée par le chef.

Armada, à Lyon
Inauguré en 2022, ce bistrot branché du Vieux Lyon arbore incontournables pierres et poutres apparentes. Dans l’assiette ? Une cuisine de partage astucieuse et créative qui associe sans complexe moules, curry et citron noir, ou revisite joyeusement blanquette de veau et autre chou farci.

Pulpe, à Lille
Dans les Hauts-de-France, une nouvelle génération de jeunes chefs (et cheffes !) défend une cuisine de terroir, mais créative. Parmi cette scène nordiste en pleine ébullition culinaire, le repaire bistrotier de Clémence Taillandier et Philippe Platel, lancé en avril 2024 dans le Vieux-Lille, affiche un look contemporain aux accents rétro très séduisants : banquettes en velours, chaises design d’écoliers, appliques en laiton, carrelage mosaïque… Dans une atmosphère décontractée, la cheffe, passée par Troisgros, l'Astrance et Rozó, cisèle avec beaucoup de talent une cuisine précise et efficace qui va droit au but : poulpe en carpaccio et vierge à l’olive de Kalamata (un vrai voyage en Crète) ; lieu jaune de ligne confit, asperges vertes, beurre blanc fumé au foin ; tarte aux fraises et glace verveine citronnelle.

Coup de Main, à Lille
En mars 2024, Victor Berthe (passé notamment par Rozó) et Clément Delécluse (meilleur jeune sommelier de France 2021) élisaient domicile au cœur du quartier Saint-André. Dans ce restaurant caviste de poche, les deux complices accueillent les gourmets avec bonne humeur, mêlant cuisine ouverte et mobilier vintage. Entrées à partager, poisson, viande ou plat végétarien, et deux desserts au choix à la carte. Au dîner, un menu dégustation enchaîne avec brio les assiettes de saison, au fil d'une cuisine espiègle et variée autour des produits des petits producteurs, que le duo connaît presque intimement. Bonus ? Une chouette carte des vins orientée « nature », et un menu déjeuner à prix doux.
Bombance, à Rennes
Faire bombance : manger, boire, faire la fête ! Autant de promesses tenues entre les murs de pierre de ce bistrot ouvert en septembre 2023 par deux copains, le chef Gaëtan Coculo et le sommelier Pierre Hollerich. À partir de 17h, on y grignote des assiettes à partager qu’on arrose d’un cru en biodynamie ou nature choisi dans la jolie carte des vins. Puis, dès 19h, on pioche dans un menu carte, au choix : pak-choï rôti, sabayon paprika et noisette torréfiée ; aile de raie, beurre d’agrumes, crème de céleri, topinambour fumé, marrons et jus de langoustine. Délice.

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Photo de Une : © Faubourg Daimant (Paris)