Sous le soleil de Provence, les cigales ne chantent pas seulement pour les locaux : elles inspirent aussi l’un des chefs les plus visionnaires de sa génération. Heston Blumenthal, créateur de la cuisine multi-sensorielle, entretient un lien intime avec cette terre du Sud.
Alors que The Fat Duck, trois-Étoiles MICHELIN depuis 21 ans, et temple de la gastronomie singulière du chef Blumenthal, fête ses 30 ans, c'est finalement loin de Bray (ce charmant village à 15mn de Windsor) et des projecteurs londoniens que l'on découvre une autre facette de cet électrifiant créateur. En Provence, terre de soleil et de contrastes, il se laisse guider par la simplicité : le parfum des herbes sauvages, la convivialité des marchés, la douceur d’une lumière qui apaise et inspire. Ici, l’innovateur se fait contemplatif, et son génie se nourrit d’émotions brutes.
C'est sans fard que le chef Heston Blumenthal nous dévoile sa Provence, refuge et source d’inspiration...
Quel a été votre premier contact avec la Provence ?
J’ai découvert la Provence adolescent, en été avec mes parents. Jusque lors, j’étais habitué aux étés sur la côte sud de l’Angleterre, des glaces au bord de la mer... Ces souvenirs familiaux d'escapades typiquement britanniques ! Après une année d'affaires prospères, mon père nous a emmenés dans le sud de la France pour les vacances. C’était mon premier contact avec ce pays. Mon père était fasciné par la gastronomie, les restaurants étoilés, et nous nous sommes arrêtés à l’Oustau de Baumanière cet été-là. À l’époque (en 1983/84), Raymond Thuilier était toujours à la tête des cuisines.Et c’est là que tout a changé.
Je me rappelle d’absolument tout de ce repas. Tout pour moi était inédit : le bruit des pas de l’équipe de salle sur le gravier, le parfum de lavande, le chant des cigales, les falaises de bauxite, la carte des vins (qui avait la taille d’un panneau d’affichage !), la moustache et les énormes mains du sommelier, le serveur qui versait délicatement de la sauce sur des plats merveilleux… Il faut vous dire qu’à l’époque, je ne savais pas ce qu’étaient une huitre ou un homard, et que l’huile d’olive chez nous était plutôt utilisée pour déboucher les oreilles plutôt que pour cuisiner (rires) ! Le contraste de la Provence avec mon Angleterre était absolu, et j’ai plongé d’un coup dans le monde du restaurant étoilé.
La Provence, la haute gastronomie... Je n’avais aucune idée de ce à quoi ressemblaient ces deux univers avant cela.
C'est là que vous avez eu envie de devenir chef ?
Oui, absolument, c'est en Provence que j'ai eu envie de devenir chef ! Après ça, j'ai acheté des livres de cuisine de chefs français… Je ne parlais pas la langue alors j’ai commencé à tout traduire mot-à-mot avec un dictionnaire ! Aujourd’hui je suis bilingue en « français de cuisine » (rires) ! Et puis je suis devenu fou de ces grands chefs français de l’époque, j’ai commencé à reproduire leurs recettes et à économiser pour m’offrir chaque année un voyage de 2 semaines en France, à la rencontre d’artisans… Et de restaurants !L’environnement de Baumanière est très particulier, entouré par la roche et la garrigue provençale. Quand j’ai eu le Fat Duck, en 1995, j’étais dans un joli village, oui, mais… Pas de montagnes, pas de lavande, ni de cigales… Un simple bistrot avec quatre fenêtres donnant sur la route principale, et une seule porte pour entrer et sortir ; la même porte pour le personnel, les clients et les poubelles (rires). Mon désire profond était de recréer cette émotion si particulière que j’avais vécue à mes 16 ans lors de ce séjour en Provence. Tout naturellement j’ai commencé à créer des expériences multisensorielles – sans même le savoir – dans mon restaurant. J’ai associé des odeurs, des saveurs, des textures, des éléments sonores, et la magie s’est instaurée. Je venais de créer la Cuisine Multisensorielle. C’est ce type d’expérience que nous servons quotidiennement au Fat Duck, des expériences qui font appels à tous nos sens et créent des émotions.
Aujourd'hui, vous vivez en Provence. Quel a été le déclic ?
C'est vrai, depuis cinq ans je réside en Provence, dans les Alpilles, à 20mn des Baux-de-Provence. Pour moi, c’est comme ma « maison gastronomique ». C’était important après des années de célébrité, de pression, avec tous ces contrats, ces partenariats… J’étais comme un hamster dans sa roue et j’avais perdu le contact avec la cuisine.Vivre en Provence m’a permis de me recentrer, et surtout de tomber amoureux à nouveau de la cuisine et de la nourriture. Je me sens moi-même à nouveau, et quand je reviens en Angleterre pour travailler avec mes équipes (plusieurs fois par mois) j’ai cet appétit pour goûter, tester, goûter encore, peaufiner…
Avez-vous redécouvert des produits en Provence ?
Rien que dans les alentours, on trouve de formidables producteurs d’huile d’olive ! Par exemple, j’aime particulièrement celles du moulin Cornille, avec notamment ces olives noires typiques de la région - je l’ai ramenée en Angleterre dès mes premiers voyages, et elle fait partie des produits que l’on trouve dans les cuisines de mes restaurants. D'ailleurs, je ramène souvent des huiles d'olives à mon équipe ! Déjà, pour qu'ils puissent goûter cette qualité, et ensuite pour leur montrer qu'on peut jouer avec et même les mixer ensemble.Comment la région inspire-t-elle votre cuisine ?
Ici, on ne peut avoir que des produits de saison, contrairement à l’Angleterre. J’aime cette contrainte : si je veux acheter du piment frais, ce sera seulement à une certaine période de l’année. Ce rapport aux saisons est très inspirant : l’été est vraiment chaud, l’hiver vraiment froid, quand il pleut il ne fait pas semblant et le mistral peut être puissant. Ce sont des extrêmes et des contrastes. L’harmonie, l’équilibre dans le contraste, l’authenticité… Autant de valeurs qu’on retrouve dans la gastronomie.Selon vous, quel serait le goût de la Provence ?
Pour moi, c’est simple, le goût de la Provence c’est la ratatouille ! J’adore la cuisiner, et ce n’est pas si simple que ça, bien au contraire. Mais qu’est-ce que j’aime la préparer et la déguster. Il y a bien évidemment la soupe au pistou, la gardiane de taureau, l’agneau, les calissons, les olives, la lavande… Toutes ces saveurs sont très inspirantes. D’ailleurs, juste à côté de chez moi, une famille de producteurs a ouvert son comptoir-primeur et on y trouve des tomates et des fraises absolument fantastiques.
Les meilleures adresses d'Heston Blumenthal
J’ai quelques bonnes adresses gourmandes à Maussane-les-Alpilles. Le moulin Cornille dont je vous ai parlé tout à l’heure pour l’huile, et le Bistrot du Paradou que j’aime beaucoup ! À Mollégès il y a la Maison Ricaud : tout simplement les meilleures tomates que j’ai jamais mangées.Et puis, bien évidemment, encore et toujours l’Oustau de Baumanière ! Glenn Viel est un ami maintenant, et c’est une personne absolument formidable. Pour m’inspirer, j’aime aller à Eygalières, un vrai village de carte postale, ou bien aux Carrières de Lumière pour redécouvrir Dali, Picasso ou Van Gogh.
Du côté de Saint-Rémy de Provence il y a aussi une excellente librairie, tenue par une famille. Elle est assez grande et j’y trouve toujours des livres ou magazines intéressants, du matériel d’art, des carnets…
2 jours en Provence selon Heston Blumenthal
Seulement 2 jours ? C’est difficile ! Je dirais qu’il ne faut pas passer à côté d’endroits comme Eygalières, les Calanques et la montagne Sainte Victoire.J’adore comme les paysages changent entre la Provence et la Camargue : les chevaux blancs, les salants, les flamants roses… Une virée à Arles mérite le détour !
Carnet d'adresses
Restaurants
L'Oustau de Baumanière, 500 Route de Baumanière, 13520 Les Baux-de-ProvenceLe Bistrot de Paradou, 57 avenue de la Vallée des Baux, 13520 Paradou
Commerces
Librairie Saint-Rémy Presse, 12 boulevard Mirabeau, 13210 Saint-Rémy-de-Provence
Maison Ricaud, Route de Saint-Rémy, Qur de la Gare,13940 Mollégès
Moulin CORNILLE - Coopérative Oléicole de la Vallée des Baux, 22 rue Charloun Rieu, 13520 Maussane-les-Alpilles
Culture
Les Carrières de Lumière, Route de Maillane, 13520 Les Baux-de-Provence