Restaurants 6 minutes 24 septembre 2025

Ces petits rituels qui font les grands restaurants

Jadis, on avait son rond de serviette, une table préférée… Et aujourd’hui ? De la cuisine à la salle, mille et une petites attentions exquises jalonnent notre expérience client. Tour d'horizon de celles qui nous ont marqué.

« Vous savez, aujourd'hui, manger dans un restaurant étoilé, c’est avant tout vivre une expérience ». Affirmée par Sébastien Bras, chef aubracien on ne peut plus éloigné des mondanités urbaines et du story-telling, la phrase résonne fortement. « Nos clients veulent vivre un moment unique, qu'ils ne pourront pas trouver ailleurs », poursuit la toque du Suquet, au volant de son Land Rover. Nous sommes fin septembre, et cela fait depuis plusieurs jours qu'il nous a embarqué dans un road trip épique sur les lacets de l'Aveyron, à la rencontre d'artisans du terroir.  

« Prenez un geste tout simple, comme cette miche de pain rustique que le chef de rang apporte au début du repas », poursuit-il. « Depuis une vingtaine d'années, au restaurant, nous gravons sur chaque pain le nom de celui ou de celle qui aura réservé la table. Comme une sorte de rond de serviette pour nos habitués ! » L'idée était « d’aller plus loin dans la personnalisation et l’attention portée au client, pour que ce dernier se sente unique ». Une signature sur mesure rendue possible, car l'établissement a la chance d’héberger au sein de ses cuisines une boulangerie.

À table, le geste fait mouche. « C’est une vraie surprise pour nos clients, ça les touche », analyse le chef. « On leur présente ce pain signé main quand ils passent à table, avec cette formule : 'fait par nos boulangers à votre attention'. Il y a toujours une petite émotion. Le pain est un élément très symbolique, de partage et d'hospitalité. Nous 'cassons la croûte' ensemble. Nos clients ne sont plus un simple numéro de réservation, ils se sentent invités, ils sont nos hôtes » conclut le cuisinier. On songe à la formule de Brillat-Savarin, mythique gastronome et écrivain culinaire : « convier quelqu'un, c'est se soucier de son bonheur tout le temps qu'il est sous votre toit ». Et si c'était cela, précisément, qui distinguait le grand restaurant ? Cette attention subtile portée au client ?

Le pain personnalisé de la Maison Bras, au Suquet (Laguiole) © Joan Paï
Le pain personnalisé de la Maison Bras, au Suquet (Laguiole) © Joan Paï

Le fantasme ultime d'un repas sur mesure 

Changement de décor. Cap cette fois dans le Pas-de-Calais, à Busnes (1h30 du Touquet). Au sein du Deux-Étoiles Christophe Dufossé, abrité dans un hôtel Deux-Clefs MICHELIN (le Château de Beaulieu), tout commence par le potager. Et autant vous dire qu'il ne s'agit pas de quelques jardinières maigrelettes, d'où dépassent un brin de persil ou de basilic ! Dans cet écrin verdoyant (reportage ici), un épatant écosystème en permaculture de près de 8 hectares alimente le restaurant gastronomique et la brasserie baptisée Côté Jardin. « Je suis aujourd'hui autosuffisant à 80% en fruits et légumes et à 100% en herbes fraîches » s'enorgueillit ce Ch'ti d'origine, qui a grandi en Alsace.

Inaugurée en 2014, dans l'esprit des tables du chef, « La salle à manger du chef », est un espace à part, prévu pour 4 à 10 convives, entièrement privatisable. Après que la tablée aie au préalable choisi « douze ingrédients parmi une liste de vingt produits de saison, adressée 48 heures à l’avance », le jour J, le chef vient avec cette sélection... Et improvise un plat sur deux, d’un menu en 7 services, sous vos yeux ! Derrière le show culinaire, on retrouve « cette idée du chef à domicile, du chef privé qui cuisine spécialement pour vous un plat que personne d'autre ne mangera » décrypte le porte-parole de l'établissement.

La Salle à manger du chef by Christophe Dufossé © Florian Salesse
La Salle à manger du chef by Christophe Dufossé © Florian Salesse

Des marqueurs identitaires propres à chaque restaurant

Sans forcément parler de plats créés sur mesure (ou personnalisés) pour un client bien précis, on peut aussi évoquer ces marqueurs identitaires propres à chaque restaurant, qui là encore rendent le moment spécial, unique. Ainsi ce rituel, à La Grenouillèrejuste avant de passer au dessert. Le serveur creuse deux petits trous dans des rayons de miel directement extraits du rayonnage d'une ruche... Pour vous servir des cuillères du précieux nectar, sur lesquelles il ajoute une pointe de jus de citron. Ou cet autre, chez JUau cœur du Luberon, quand le chef Julien Allano invite ses convives à quitter leur table pour se rendre en cave et y choisir eux-mêmes les fromages qu’ils dégusteront. « Un moment privilégié et convivial qui crée une émotion, un souvenir », explique-t-il.

La Salle à manger du chef by Christophe Dufossé © Florian Salesse
La Salle à manger du chef by Christophe Dufossé © Florian Salesse

Idem avec le gâteau de semoule apporté à même le plat d'Omar Dhiab (Paris). Une recette de famille « à la texture proche d’un flan, généreusement parfumé à la fleur d’oranger, caramélisé, avec des raisins de Corinthe ». Servi directement à la cuillère, à la toute fin du repas, en guise de mignardise, il clôture le repas « en partageant un souvenir d'enfance authentique, qui me ressemble », explique le jeune homme. Un geste qui dit générosité et gourmandise, mais aussi les origines orientales et la jeunesse de ce trentenaire à cheval entre deux cultures, élevé en France par un père Égyptien et une mère Tunisienne. « C'est la recette de ma mère, inspirée de la basboussa égyptienne. Je l'ai juste travaillée pour la rendre plus gourmande et crémeuse » précise-t-il.

Le gâteau de semoule d'enfance du chef Omar Dhiab, servi en guise de mignardise (photo de gauche : © Omar Dhiab. Droite : © Ilya Kagan)
Le gâteau de semoule d'enfance du chef Omar Dhiab, servi en guise de mignardise (photo de gauche : © Omar Dhiab. Droite : © Ilya Kagan)

Parfois ce marqueur ne s’ingère d’ailleurs pas. À l'instar du bar à savons de Faubourg DaimantBaptisé Le Boudoir, ce cocon donnant sur les toits de Paris, abrite une dizaine de flacons pompe, bien alignés au-dessus d'un monumentale double vasque d’époque. À l'intérieur ? Des fragrances végétales, florales et fruitées, que vous ne retrouverez pas ailleurs. 

Le Bar à Savons dissimulé dans les toilettes du restaurant parisien Faubourg Daimant © Faubourg Daimant
Le Bar à Savons dissimulé dans les toilettes du restaurant parisien Faubourg Daimant © Faubourg Daimant

Chez Arborescence, près de Lille, chaque convive reçoit un petit éventail illustrant de manière poétique le repas dégusté, ainsi qu’un petit cake parfumé à la cire thaïlandaise, clin d'œil aux origines de Nidta Robert, la cheffe sommelière, épouse du chef. Au sein du restaurant Osma, dans le Perche, le chef Valentin Barbera a imaginé en début de repas un rituel avec une serviette chaude sur table, chauffée à la vapeur de feuille de figuier en été, et de feuille de pommier le restant de l’année... Deux arbres très présents autour du restaurant.

L'éventail récapitulant le menu et le petit cake parfumé à la cire thaïlandaise qui clôturent le repas chez l'étoilé Arborescence © Arborescence
L'éventail récapitulant le menu et le petit cake parfumé à la cire thaïlandaise qui clôturent le repas chez l'étoilé Arborescence © Arborescence

L'art de clôturer un repas en beauté

Prolonger le repas, soigner le final, pour que le client s'en souvienne : c'est aussi ce qu'a voulu faire Christophe Dufossé. Son énorme chariot de confiseries et mignardises, où absolument tout est fait maison, vous arrache des « oh ! » et « ah ! » de ravissement. Mais on peut aussi citer le cérémonial du café qu'il a instauré. « Quand on y réfléchit, le café c'est le tout dernier souvenir qu'on garde, après le pre-dessert et le dessert », souligne-t-il. 

La cérémonie du café : une extraction lente en V60, imaginée pour le restaurant Christophe Dufossé © Florian Salesse
La cérémonie du café : une extraction lente en V60, imaginée pour le restaurant Christophe Dufossé © Florian Salesse

Premier spécialiste à décrocher le titre de Meilleur Ouvrier de France torréfacteur en 2018, Vincent Ballot a conçu un café signature dont le mélange a été spécialement réalisé pour et avec Christophe Dufossé. Orchestré par Stéphane Chavaudra, chef sommelier du restaurant étoilé, ce rituel est l'exact opposé d'un expresso. Les grains sont moulus devant le client, la mouture recueillie dans un filtre disposé en haut d'une carafe chemex... L'expert verse de l'eau brûlante en plusieurs fois, pour obtenir un goutte à goutte subtil. « Une façon de dire à notre client qu'on prend le temps pour lui. On prend le temps de faire bien les choses, dans un vrai geste d'artisan », résume le chef.

Même esprit en Haute-Savoie, dans le petit village de Machilly. Le Refuge des Gourmets propose des infusions maison avec les herbes sauvages cueillies par le chef Hubert Chanove, et celles de l'herbier du restaurant, réalisées (et servies par) Fanny, l'épouse et directrice du lieu.

Restaurant Christophe Dufossé, à Busnes © Florian Salesse
Restaurant Christophe Dufossé, à Busnes © Florian Salesse

Préparer le repas bien en amont : le rôle-clé de la « conciergerie de table »

Parfois, cet art de recevoir confine à l'obsession. Vanessa Massé, fondatrice de Pure & V (Nice) reconnaît porter une attention extrême au client : « J’accueille chaque client personnellement à la porte, par leur prénom, et ils doivent avoir leur verre rempli d’eau une minute et trente secondes après leur arrivée », précise-elle. De même, cette perfectionniste n’hésite pas à se renseigner sur vous, vos goûts, notamment via les réseaux sociaux. Si vous avez réservé chez elle, il est possible qu’elle en sache déjà beaucoup à votre sujet ! Et fera par exemple particulièrement attention à la cuisson de votre viande, si vous avez laissé un commentaire à ce sujet sur un site notant les restaurants. Et si vous revenez pour une deuxième fois, elle se souviendra de vous, « J'ai une grande mémoire des têtes et des noms », lance-t-elle, l'œil rieur. 

Vanessa Massé, fondatrice de Pur & V (Nice) © MARION BUTET STUDIO
Vanessa Massé, fondatrice de Pur & V (Nice) © MARION BUTET STUDIO

Une autre personnalité culinaire obsédée par l'art du service, c'est le chef Yannick Alléno. Cumulant pas moins de dix-sept restaurants et quinze Étoiles MICHELIN dans le monde, ce dernier met un point d'honneur à soigner ces mille et un petits gestes, qui font ce qu'il appelle le « grand restaurant ». Pour lui, cela relève du « théâtre, du spectacle vivant » : « Tous les clients sont en quête d'une empreinte mémorable, d'une trace émotionnelle plus que matérielle », explique-t-il dans son ouvrage Tout doit changer. Quel ­service pour le grand restaurant ?, publié en 2021 à compte d’auteur. « Nos clients recherchent quelque chose de plus. Personne n'a envie de sortir d'un Trois-Étoiles MICHELIN en disant 'c'était bon' », pointe-t-il. « Il faut apporter un 'plus' qui ne s'effacera pas de la mémoire. »

C'est d'ailleurs là tout l'art de ce qu'il nomme la « conciergerie de table ». Laquelle débute selon Alléno bien avant le repas : lors de la réservation, où il s'agira de comprendre très rapidement le contexte et les goûts des hôtes. Concrètement ? « Une cliente qui avait déjà dîné à L'Abysse a mentionné le saké à la truffe, qu'elle avait beaucoup aimé. Même si elle réservait pour un autre restaurant du Pavillon Ledoyen nous avons bien sûr noté l'information, elle retrouvera à un moment le saké qu'elle a aimé, accompagné, pourquoi pas, d'un sushi. » De quoi faire rêver. Si seulement le quotidien pouvait être aussi doux !

Yannick Alléno et le Maître Sushi Katsutoshi Tomizawa © L'Abysse au Pavillon Ledoyen
Yannick Alléno et le Maître Sushi Katsutoshi Tomizawa © L'Abysse au Pavillon Ledoyen

Photo de Une :  Le pain fait sur place au Suquet par les équipes du chef Sébastien Bras, et personnalisé avec le nom de famille du client © Joan Paï.


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