Restaurants 3 minutes 07 février 2024

Datil (Paris) : le restaurant de demain est là !

Sitôt ouvert, sitôt approuvé par les inspecteurs MICHELIN : sorti de l’œuf fin septembre 2023, le dernier-né de Manon Fleury et ses quatre co-cheffes épate. Et casse les codes de la restauration classique. On a rencontré cette équipe de choc et causé sororité, bienveillance en cuisine, transversalité. Mais aussi féminisme, inclusion, végétal, éco-responsabilité... En un mot, le futur de la restauration !

Paris by Le Guide MICHELIN

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Datil, c’est le nom d’une variété ancienne de prunes, qui aurait disparu si elle n’avait pas été récemment sauvée par le Conservatoire végétal régional d’Aquitaine. C’est également le petit nom d’un piment originaire d’Amérique et celui des dattes, en espagnol. Mais c’est aussi et surtout un projet collectif novateur, emmené par la toque Manon Fleury, l'une des femmes à suivre aujourd'hui en France dans la gastronomie.

Ancienne championne nationale de sabre junior (ex-membre l’équipe de France d’escrime !), passée, post hypokhâgne et Ferrandi, par les cuisines d’Alexandre Couillon (La Marine, sur l’île de Noirmoutier), de Pascal Barbot (L’Astrance, Paris) ou de Dan Barber (Blue Hill at Stone Barns, au nord de Manhattan), cette tête bien faite prend son premier poste de cheffe en 2018 au Mermoz, à 27 ans. Incarnant déjà cette cuisine de convictions : responsable, et résolument tournée vers le végétal.

Manon Fleury et Laurène Barjhoux - Datil © Pauline Gouablin
Manon Fleury et Laurène Barjhoux - Datil © Pauline Gouablin

Non pas une, mais 5 cheffes à part égale !
Sur le plan managérial, c’est une petite révolution. Ici il n’y a ni chef ni sous-chef, mais un quinté gagnant de cuisinières, qui travaillent sur un pied d’égalité. Manon s’est associée à Laurène Barjhoux, passée par le Mandarin Oriental de Thierry Marx et l’Arpège d’Alain Passard. « On s’est rencontrées quand Manon était au Mermoz, à Paris. Ensuite on a travaillé ensemble à Monaco au Elsa, ce qui a consolidé notre duo. On a appris a travailler ensemble ». 


Mais Datil, c’est aussi Juliette Barry, une ancienne de l'équipe de Guy Martin (Cristal Room Baccarat), Michel Guérard (Les Prés d’Eugénie) et Adeline Grattard (Yam’tcha et Lai’Tcha). C'est Céline Canivez, fille d’agriculteurs-éleveurs, qui a oeuvré plus de deux ans à L’Air du Temps, en Belgique. C'est enfin Manon Grados, ex-sous-cheffe au Violon d’Ingres de Christian Constant, ex-Tour d’Argent période Yannick Franques, et ancienne seconde chez Neige d’Eté.

« On s’est retrouvées avec trois profils de cuisinières, chacune de très bon niveau. On a fait le choix de les garder toutes, et de proposer un même salaire. » L’idée ? Qu’elles soient toutes interchangeables ! « On n'a que quatre mois d’ouverture, mais toutes les cheffes ont changé au moins une fois de poste. On essaie de les rendre très polyvalentes, de la pâtisserie à la cuisine du poisson » explique la jeune femme.

Datil © Pauline Gouablin
Datil © Pauline Gouablin
L'intérieur du restaurant Datil © Pauline Gouablin
L'intérieur du restaurant Datil © Pauline Gouablin

"Faiminisme" et sororité
A ces cinq cheffes s'ajoutent une cheffe sommelière (Valentine Roustit), une cheffe de rang (Frederikke Lau), une responsable de salle (Adèle Nogues)… Est-ce à dire qu’il faut obligatoirement être genrée pour travailler chez Datil ? Rires : « On n’a pas cherché à n’embaucher que des femmes en cuisine », corrige Manon Fleury. « C’est juste qu’objectivement, les meilleurs profils qu’on a reçu c'étaient des profils de femmes ». Un plongeur et un chef de rang complètent d'ailleurs l’organigramme du restaurant.

Bien sûr, ce matriarcat défend une vision "faiministe", pour reprendre le néologisme de Nora Bouazzouni (dont le brillant essai, sous-titré Quand le sexisme passe à table, est paru en 2017 aux éditions Nouriturfu). « On a imaginé une organisation horizontale, avec une grande place donnée au dialogue » souligne Laurène. « Manon est majoritaire dans les parts de son resto, c’est elle qui a un emprunt sur le dos. Mais on est libres : il n’y a pas de gros investisseur derrière pour nous dicter ses envies. »

Datil © Pauline Gouablin
Datil © Pauline Gouablin

Stop aux violences en cuisine
« On ne vit pas dans un monde de bisounours ! », s'exclame Manon. « Mais si presque plus personne ne veut travailler dans la restauration aujourd’hui, c'est qu'il faut se remettre en question. Comme les heures de travail sont difficilement compressibles, nous on a fait ce choix de faire tourner nos équipes, et de fermer le week-end. On s’arrange pour que chaque cheffe aie plusieurs journées ou soirées off »

En mai 2021, Manon Fleury cofonde avec une vingtaine d’autres cheffes dont sa complice Laurène Barjhoux l’association Bondir.e, qui fait de la prévention contre les violences en cuisine, en intervenant notamment auprès des élèves dans les écoles hôtelières.

« Ça nous a beaucoup aidées quand on imaginait ce qu’on voulait faire en créant Datil », reconnaît Laurène. Concrètement ? « On a élaboré un guide de bonne conduite au restaurant. C’est-à-dire pas de racisme, d’irrespect, d’homophobie » martèle la cheffe. « Même si, on ne va pas se leurrer, ça arrive à tout le monde d’avoir un mot travers », reconnaît-elle. « Mais ce qui compte, c’est justement de savoir comment agir en cas de crise : comment apprendre à désamorcer une situation délicate ».

Datil © Pauline Gouablin
Datil © Pauline Gouablin

Repenser la place du végétal
La cuisine de Datil est essentiellement végétale. « Végétale, mais pas forcément végétarienne », nuance Manon. « On n’avait pas envie de se fermer de portes, on voulait continuer à cuisiner des ingrédients qu’on aimait. Même si le végétal est vraiment au centre de notre cuisine, en ce moment par exemple on a des oursins, de la lotte, des coquilles Saint-Jacques… »

« Avant l’ouverture de Datil, on a réalisé avec toute l’équipe un tour de nos artisans. Cela nous a sensibilisé au fait que quand il y a un vrai respect de l’animal dans l’élevage et un respect à l’abattage, c’est même un devoir de soutenir la filière. Si on ne soutient pas la pêche de petit bateau et les pêcheurs qui font bien leur travail, qui va le faire ? » rappelle l'ancienne escrimeuse.

© Pauline Gouablin
© Pauline Gouablin

Le produit, c’est politique !
« Datil est un resto ancré dans le monde d’aujourd’hui, qui essaie de ne pas se retrouver déconnecté d’une certaine réalité. Surtout sur fond de dérèglement climatique »  Objectif ? « Faire à manger avec la conscience de la protection du vivant sous toutes ses formes, toujours. »

Les cinq cheffes puisent en grande partie parmi les produits de deux maraîchers franciliens, à moins de 100 km du restaurant : Erwan Humbert, de la Ferme des Prés Neufs (Longpont-sur-Orge) et Xavier Fender, de la Ferme des Limons de Toulotte (Sancy-lès-Provins). Ce dernier est d’ailleurs autosuffisant en arrosage, récupérant l’eau de pluie dans une mare creusée à dessein.

« Nous rendre sur place nous a permis de comprendre nos pêcheurs, maraîchers, éleveurs. Leurs contraintes de production et leur manière de travailler. Pour que notre cuisine s’adapte à eux, et pas l’inverse. »

L'équipe dans les Marais Salants de Pascal Donini, à Batz-sur-Mer (Pays de la Loire)
L'équipe dans les Marais Salants de Pascal Donini, à Batz-sur-Mer (Pays de la Loire)

Vers une cuisine « zéro déchet »
« On nous a collé cette étiquette de cuisine engagée, parce qu’on travaille en circuit court… Mais chez nous, c’est vraiment sincère et profond. On ne fait pas de greenwashing » se défend Manon Fleury.

Au quotidien, ça passe par une foultitude de gestes éco-responsables : « La première chose qu’on sert à table c’est un bouillon, dans lequel on va travailler les épluchures. Comme en ce moment, des épluchures de pomme de terre. Et le repas se termine avec une infusion de noyaux de prunes — clin d’oeil à notre nom. C’est aussi une manière de valoriser les produits dans leur entièreté : crèmes de cosses, gâteaux de fanes, huiles de carcasses… » conclut-elle.

Datil © Pauline Gouablin
Datil © Pauline Gouablin

Photo de Une : Les cheffes de Datil © Pauline Gouablin

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