Franc parler, naturel, bonne humeur contagieuse. A 28 ans, Blanche Loiseau dédramatise la vie en cuisine. « On fait un métier tellement dur, on ne compte pas nos heures, alors si on ne peut pas rigoler de temps en temps ! » s'exclame-t-elle.
Diplômée d’un master international en arts culinaires et innovation à l’Institut Paul Bocuse (Écully), la toute jeune femme effectue un premier stage chez Lasserre, à l’époque de la géniale pâtissière Claire Heitzler, du chef Christophe Moret (aujourd'hui à la tête du restaurant doublement Étoilé Le Parc Les Crayères à Reims) et d'Antoine Petrus, le brillant sommelier MOF qu'on ne présente plus. Un deuxième stage de six mois en Italie plus tard, chez El Celler de Can Roca à Gérone, papes de la gastronomie moléculaire, la voici qui découvre une cuisine ludique, « j’avais l’impression de jouer au petit chimiste ». Blanche travaille ensuite chez Nadia Sammut, à La Fenière à Lourmarin. Et en juin 2021, rejoint la brigade de Patrick Bertron au restaurant La Côte d'Or, à Saulieu (Bourgogne)... L'établissement de son père, Bernard Loiseau, mythique chef disparu en 2003, quand elle avait six ans. Rien de vraiment impressionnant pour elle : « J'ai grandi dans cette cuisine, je faisais mes devoirs sur un coin de table ! »
Peu à peu, la jeune femme trouve sa place au sein du Groupe, guidant les équipes, apportant son dynamisme et sa fraîcheur lors des ouvertures de restaurants. En mai 2024, après avoir fait l'ouverture du bistrot Loiseau du Temps à Besançon, et être restée un an en cuisine là-bas, rebelote ! Cette fois-ci, à l'autre bout du monde : Tokyo, où elle met sur orbite un tout nouveau bistrot inauguré un mois plus tard : Loiseau de France, à l’Institut français du Japon. Tokyo, qu'elle connaît bien : de 2019 à 2020, Blanche a été formée à la cuisine traditionnelle Kaiseki, au sein du restaurant Aoyagi, chez monsieur Koyama « Le Paul Bocuse japonais, qui travaille avec ses trois filles ». « Historiquement, mon père a d'ailleurs eu un restaurant à Kobé, détruit en 1995 avant ma naissance, par un très gros tremblement de terre ».
Après six mois passés au piano tokyïoite de Loiseau de France, puis à Bangkok, cette infatigable était de retour en France. Ne manquez pas le premier épisode de « Oui, Cheffes ! », série podcast imaginée par le Guide MICHELIN, disponible sur toutes les plateformes d’écoute (voir liens en fin d'article). À l'occasion de sa sortie, nous avons posé, à chacune des protagonistes, la même question : quelles sont les 5 femmes qui vous inspirent, et que vous souhaiteriez mettre en lumière ?
Dominique Loiseau, ma mère
« Assez inévitablement, je dirais que mon premier modèle est ma mère. Mon père [le chef Bernard Loiseau, NDLR] est mort quand j’avais six ans. Ma mère s’est retrouvée brutalement avec l’entreprise à gérer, trois enfants… Elle est un modèle de résilience fort pour moi.* Quelques jours à peine après la disparition le 24 février 2003 de son époux, Dominique Loiseau reprenait le flambeau, nommée présidente-directrice générale de Bernard Loiseau SA par le conseil d’administration. Depuis le 30 juin 2004 elle est Présidente de Bernard Loiseau SA. En 2005, elle est devenue vice-présidente de la chaîne Relais & Châteaux. C’est la première femme à occuper ce poste (NDLR).
Je me souviens encore d’un conseil qu’elle m’avait donné, quand j’étais petite, qui quand j’y pense m’a vraiment forgée : à l’école, ça ne sert à rien d’être bon dans une matière. Il faut être bon partout. C’est quelque chose que j’ai toujours essayé de cultiver. Aujourd’hui encore, cuisine mais aussi salle, pâtisserie… j’aime toucher à tout. Elle nous a prouvé à ma sœur Bérangère et moi qu’on pouvait tout faire dans la vie en tant que femme, que rien n’était finalement impossible, qu’il n’y avait pas de limites, pas de questions de genre. C’est ce que j’essaye de dire aux plus jeunes filles que je rencontre. Je ne dis pas que ce ne sera pas compliqué parfois, mais tout est possible, ouvert ».
Marcelle Bize-Leroy, alias Lalou, vigneronne
Née en 1932, cette brillante vigneronne et femme d'affaires bourguignonne, dégustatrice hors pair, rejoint dès l’âge de 23 ans le domaine familial Leroy (9 Grands Crus, 8 Premiers Crus et 8 Appellations Villages). Mais créé aussi le sien : le minuscule et aujourd’hui mythique Domaine d’Auvenay, à Saint-Romain. Pionnière en matière de biodynamie au sein d’une Bourgogne plutôt conservatrice, Lalou comme tous l'appellent, défend de petits rendements maîtrisés (15 hectolitres par hectare). Et est connue pour refuser de rogner ses vignes (couper l'extrémité des rameaux), certaines atteignant plus de 3 mètres de long ! Copropriétaire du Domaine de la Romanée-Conti de 1974 à 1992 (dont elle reste actionnaire), cette grande dame du vin est connue et respectée dans le monde entier.Blanche Loiseau : « Je me souviens d’un déjeuner chez elle, je devais avoir sept, huit ans. C’est une rencontre qui m’a marqué. Cette femme respirait la liberté. Ses vignes étaient d’ailleurs à son image, vigoureuses, comme laissées en liberté. Elles poussaient comme des lianes, et elle appelait ça sa 'pampa'. Je me souviens très bien de cette déambulation dans ses vignes, tressées comme de longs cheveux, de l’odeur de la terre ».
Taylor Swift, auteure-compositrice-interprète, actrice, réalisatrice de clips musicaux
« Au-delà de ses qualités d’autrice-compositrice, etc, je l’aime parce qu’elle s’en est pris plein la figure juste parce que c’est une femme. Alors que c’est aussi une business woman de dingue, très réfléchie. Etonnamment, alors qu’elle est ultra-médiatisée, ses prises de parole sont mesurées, elle est très discrète sur sa vie privée. Elle a 35 ans, pas d’enfants, certains médias l’ont harcelée pour qu’elle justifie son rapport à la maternité, alors que c’est quelque chose de tellement personnel. Je n’ai que 28 ans, j’ai encore du temps devant moi pour décider, mais c’est quelque chose qui me parle. En tant que femme, c’est important d’entendre que la maternité n’est pas faite pour tout le monde, et que ce n’est pas grave si on n’a pas d’enfants ».
Anne-Sophie Pic, cheffe et entrepreneure
« Je sais que vous avez déjà consacré un épisode entier de votre série podcast à cette cheffe (voir ici). Mais je ne peux pas m’empêcher de la la citer parmi les femmes qui m’inspirent. Déjà parce que son histoire, la reprise d’une entreprise familiale, fait écho à la mienne. Elle aussi a dû prendre la relève, se faire accepter, trouver sa place. Mais aussi parce que c’est pour moi un exemple de cheffe de cuisine et de cheffe d’entreprise. A l’Institut Paul Bocuse, j’ai eu la chance de l’avoir comme marraine. On se connaît assez peu, mais chaque fois qu’on se croise avec Anne-Sophie Pic, elle a toujours un mot gentil, un encouragement, une disponibilité. Elle représente pour moi la bienveillance -un mot parfois un peu galvaudé aujourd’hui, mais très important. Cette idée de faire attention aux gens ».Niki de Saint Phalle, plasticienne, artiste peintre, sculptrice, réalisatrice de films
« L’art, ça a toujours été quelque chose qui me dépassait un peu. Mais je me retrouve complètement dans Nikki de Saint Phalle, ses Nanas aux couleurs pop, aux formes généreuses, pleines de vie. Une joie de vivre contagieuse, malgré les drames traversés, malgré l’horreur (l’artiste a été victime d’inceste par son père dans son enfance, NDLR). Je partage cet optimisme à toute épreuve. C’est une artiste autodidacte qui me touche droit au coeur, et qui a eu un impact féministe très important chez moi.Pour écouter l'épisode de « Oui, Cheffes ! », consacré à Blanche Loiseau :
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Photo de Une : La cheffe Blanche Loiseau © Jonathan Thévenet
