Restaurants 4 minutes 30 janvier 2024

Tendance : quand le cidre s’invite à la table des grands chefs

Longtemps cantonné à la Chandeleur ou à une boisson régionale, folklorique (les crêperies bretonnes), le cidre regagne depuis une petite décennie ses lettres de noblesse. Peu alcoolisé (entre 2 et 6% en moyenne), ce jus de pommes fermenté, désormais travaillé dans la finesse, représente pour certains étoilés, mixologues ou chefs pâtissiers, une alternative sérieuse aux vins. La vague pétillante n’a pas fini de déferler !

Les cider rebels, les rebelles du cidre en français-dans-le-texte, ce sont eux : Maison Kalder, Domaine Johanna Cecillon, Domaine Julien Thurel, Domaine Lesuffleur... Aux manettes de micro-domaines branchés biodynamie et biodiversité, cette nouvelle génération de pomiculteurs s'est taillé une place à table, à la carte d'établissements prestigieux. Présentées dans des packagings élégants aux étiquette soignées, leurs cuvées n'ont plus à rougir.

Le cidre gastronomique, une spécificité française ? 
« En arrivant en Europe, je ne me suis pas intéressée qu'aux vins ! » rappelle l'Argentine Paz Levinson, cheffe sommelière du groupe Anne-Sophie Pic à Paris, Valence, Londres, et Lausanne.  « Il n’y a pas beaucoup de pays au monde qui arrivent à produire des cidres aussi fins, aussi équilibrés. En Patagonie, d’où je suis originaire (pays parmi les plus gros producteurs de pommes au monde, NDLR), on trouve aussi des cidres. Mais ceux de mon enfance, conçus à échelle industriellemanquaient d’acidité, de relief. C’était trop sucré en bouche… »


Anne-Sophie Pic et Paz Levinson © Groupe Pic
Anne-Sophie Pic et Paz Levinson © Groupe Pic
© Domaine Johanna Cecilion
© Domaine Johanna Cecilion

Des bouteilles d'exception à 25 € prix caviste !
Sortie du placard de la Chandeleur, la boisson de jus de pommes fermentée, longtemps dénigrée par le monde du vin, refait surface. Cette fois en version gastronomique, à la carte d’étoilés de prestige. Et pas que dans les restaurants de Bretagne ou Normandie, pardi ! Mais aux quatre coins de l’Hexagone.

Parmi les plus de 700 (!) références de vin prêtes à boire dénichées par Maxime Courvoisier, sommelier de Ressources (une étoile à Bordeaux), on retrouve Maison Kalder. Ce cidre couture en biodynamie est également distribué chez les trois étoiles d'Anne-Sophie Pic à Valence ou au Cheval Blanc de Courchevel. Mais aussi au sein des deux étoiles L’Auberge de Montmin (vers le Lac d'Annecy) et non loin de Cancale, chez Roellinger (Le Coquillage).

A ce niveau, oubliez les cidres à 5-6 €. « Chez le Domaine Lesuffleur, dont les cuvées permettent de magnifiques accords, la cuvée La Folletière chez les cavistes sort à 25 € prix public la bouteille », explique Paz Levinson. Idem sur la cave en ligne de Yannick Alléno (allenotheque.com) : le très beau Cidre Poiré Granit d’Eric Bordelet est vendu... 22 € les 75 cl.


© Maison Kalder
© Maison Kalder

Petits degrés et gros potentiel créatif
Paz Levinson : « Bien sûr, l'autre gros atout du cidre, c'est que comme la bière, il s'agit d'une boisson faiblement alcoolisée. Mais surtout, en fonction du nombre de sucres résiduels, on peut jouer avec : cidre brut (sec), demi-sec ou doux (sucré)… A table, les possibilités créatives sont infinies. On découvre d’autres arômes au nez et en bouche que ceux du vin. »

Parmi ses chouchoux ? Le Domaine Johanna Cécillon, dans les Côtes d'Armor, aux belles cuvées millésimées. Ou Cédric Le Bloas, de la Cidrerie de Léguer, à Lannion : « Ce domaine m’a bluffée en dégustation, avec une quantité de reliefs, de possibilités... C’était extraordinaire ! »  s'enthousiame-t-elle. Ni une, ni deux, elle l'a mis à la carte du Bistrot André à Valence, ainsi qu'à celle du trois étoiles.

« Quand je présente un cidre, je le présente avec un accord pointu. Et pas forcément au dessert : certaines cuvées de cidres très secs marchent parfaitement sur une entrée, un plat... »

Un argument que partage la jeune cheffe sommelière Anastasia Robert Plessy, du Puits Saint-Jacques, dans le Gers : « Vous déroulez un beau menu, en plusieurs temps, plusieurs vins, et amenez un peu de légèreté et surprise avec une boisson à 5 degrés d’alcool. » Il y a six mois, la jeune femme proposait ainsi, sur une galette de boudin noir et tarte fine d’oignons confits, un cidre jurassique d’Antoine Marois, de Cambremer (Basse-Normandie).

Arrivée il y a un an et demi, cette tête chercheuse au parcours atypique (partie pour intégrer les Beaux-Arts de Toulouse, elle plaque toute pour suivre des études d’oeonologie à Nîmes !) prend son rôle à coeur : « Ne pas rester dans ma zone de confort, ça fait partie intrinsèque de mon métier ».

La cheffe Anne-Sophie Pic © Anne-Emmanuelle Thion
La cheffe Anne-Sophie Pic © Anne-Emmanuelle Thion

Une tendance en forte hausse depuis trois-quatre ans
Il faut remonter grosso modo une décennie en arrière, pour situer les prémices de ce phénomène. Frédéric Vieillard est Responsable de la formation cidricole au Robillard, établissement public agricole du Calvados en région Normandie, qui intègre une formation pour adultes, et délivre aux néo-cidriculteurs le très convoité Certificat de Spécialisation. Depuis 2010, il a pu constater une explosion d’inscrits.

Ces quatre dernières années, la tendance semble s’être accentuée, le cidre surfant sur l’engouement récent du consommateur pour les boissons faiblement alcoolisées. En février 2020, un salon international lui était consacré pour la première fois à Caen. Cette année, la très attendue cinquième édition de Wine Paris et Vinexpo Paris (du 12 au 14 février 2024) voit l’arrivée de nouvelles catégories au sein du Pavillon Craft : les bières, mais surtout... Les cidres.

« Attention, on parle pour le moment de quelques dizaines de producteurs de cidre gastronomique en France », relativise toutefois Alexandre Sidorenko, fondateur de Maison Kalder. « Plus on sera à proposer de la qualité, plus le cidre se hissera sur les cartes des grands restaurants. » espère cet oenologue et ingénieur agronome, formé au sein de la prestigieuse école de Bordeaux.  

© Serge Chapuis/ Maison Pic (Valence)
© Serge Chapuis/ Maison Pic (Valence)
Hugo Roellinger © Benoît Teillet
Hugo Roellinger © Benoît Teillet
Une biodiversité méconnue de pommes oubliées

« Frequin, Petit Jaune, Bedan… On a la chance d'avoir autant de variétés de pommes à cidre que de cépages pour les vins  », pointe Alexandre Sidorenko, de Maison Kalder. Rien qu'au sein de ses vergers haute-tige (onze hectares), il recense « une trentaine de variétés de pommes différentes ».

Son cidre Extra-Brut (IGP Normandie) est exclusivement issu de variétés très tardives, habituellement récoltées en décembre « mais désormais plutôt en novembre avec le réchauffement climatique »  : la Noël des Champs et la Damelot. Leur amertume amène « une mâche, une couleur dans le verre, de la longueur en bouche... » 

Résultat ? « Un cidre de gastronomie, doté d’une couleur orangée éclatante, avec de beaux amers et une fine bulle portée sur des notes d'agrumes et d'oranges sanguines » décrit-il. A marier avec des viandes blanches en sauce, des poissons gras, des fromages...



Pommier Haute-Tige © Maison Kalder
Pommier Haute-Tige © Maison Kalder

Des cidres travaillés comme des grands vins
Pour Alexandre, « Le cidre et la bière n’ont strictement rien à voir ». Lui vise « un style de cidre très vineux, avec une belle matière en bouche et de fines bulles qui rappellent l'univers du monde des pétillants naturels ou du Champagne ». Il va chercher « la maturité optimale des fruits ». Seuls les fruits de seconde saison (novembre / décembre) sont ramassés et pressés : « des pommes subtilement amères, astringentes, avec des tanins ».

Implantée depuis 2011 sur les communes de Sévignac et Trédias, au nord-est de la Bretagne, Johanna Cécilion travaille en sélections parcellaires. Son compagnon Louis descend d’une lignée de vignerons du Rhône. Jean-Louis Grippat, son oncle, élaborait des vins d’appellation Hermitage et Saint-Joseph. Louis a récupéré un très vieux pressoir familial, remonté du Sud de la France en Côtes d’Armor. Après avoir pressé de nombreuses années Syrah, Roussane et Marsanne, l’antiquité presse désormais une vingtaine de variétés différentes de pommes ! 

Pour accompagner les huit services du menu de La Table d’à Côté à Ardon, Martin Tomala  le sommelier a lui pensé aux cidres bio du voisin Julien Thurel. Cet ancien agent forestier et ornithologue de l’Office National des Forêts a décidé en 2010 de ressusciter un terroir cidricole oublié en lisière de la forêt d’Orléans. Aujourd’hui à la tête de 19 hectares au coeur du Loiret, il a développé lui-même ses propres arbustes en pépinière, pour redécouvrir d’anciennes variétés originales. Son cidre Solstice extra-brut est composé de plusieurs variétés acidulées tanniques, fermentées en tonneau.

Alexandre Sidorenko © Maison Kalder
Alexandre Sidorenko © Maison Kalder

Cidre sans intrants en biodynamie 
Nouvelle génération dit révolution. Ou plutôt retour à l'ancien temps... Un monde pre-Monsanto. Les cidres sont souvent élaborés sans aucun apport de soufre ou de levures exogènes. C'est le cas par exemple de la Cidrerie du Léguer, qui s'échine à produire des cidres « pur jus », sans sulfites ajoutés : effervescence et prise de mousse naturelle, pas de collage, sous-tirage et filtration seulement si nécessaire.

Les neuf vergers de Johanna Cécilion sont conduits en agriculture biologique depuis plus de dix ans, avec traitements en biodynamie. Vallonnés, composés de prés et de haies, ils s'ancrent dans un projet durable d’agroforesterie. Avec l’aide de l’association Breizh Bocage et de la Région Bretagne, Johanna et Louis ont ainsi replanté plus de 2500 arbres ! Une véritable haie bocagère regroupant chênes, hêtres, merisiers, châtaigniers, frênes, ormes, noisetiers, sureaux… Objectif ? Favoriser une plus grande diversité biologique pour les auxiliaires pollinisateurs et les oiseaux. Pour des cidres beaux et bio... Sans artifices et sans chimie.

© Domaine Johanna Cecilion
© Domaine Johanna Cecilion

Photo d'illustration : DR - Olivia Bauso / Unsplash

Restaurants

Articles qui pourraient vous intéresser