Restaurants 6 minutes 14 décembre 2022

Xavier Pincemin, chef fou de food et roi des réseaux sociaux

À l'occasion de la sortie de son premier livre de cuisine (Carnage), on a rencontré le chef versaillais Xavier Pincemin – l’un des chefs français les plus connus dans le monde grâce aux réseaux sociaux. Musique, médiatisation, gastronomie : à cœur ouvert, il nous parle de son univers avec le style et la franchise qu’on lui connaît.

Dans son restaurant gastronomique Le Pincemin ou son bistrot Lafayette, on croise à Versailles des clients venus du monde entier - des Américains et des Singapouriens qui ont réservé depuis plusieurs mois. Sont également attablés chez lui : des jeunes tatoués en sweat à capuche qui font un aller-retour avec leur copine dans la journée depuis Reims ou Lyon. Des seniors versaillais ravis. Des hommes d’affaire en goguette. Vainqueur de Top-Chef, Xavier Pincemin cuisine pour Nekfeu, Booba, Ninho ou DJ Snake quand il passe au Stade de France. Il collabore avec les plus grands influenceurs et influenceuses, comme Lena Situations. Il n’a même pas peur de comparer l’un des grands classiques de la cuisine française, la sole meunière, à l’album Thriller de Michael Jackson. Hyper-actif sur les réseaux sociaux (où il est l’un des chefs français les plus connus suivi par 2,5 millions de personnes sur TikTok et 120 000 sur Instagram), épris de liberté, Xavier Pincemin s’est taillé un flow sur mesure autour de la cuisine et de la musique (mais aussi de la sape) qui, en salle, transcende les classes sociales et les frontières.

Quel est ton disque préféré, Xavier ?
Mon disque préféré ? L'album Feu de Nekfeu.

Quel est le premier pote que tu t'es fait dans le rap ?
Attends, c'était qui déjà [Il regarde Antoine, son social media manager] ? C'était Damso ou Ninho? Ninho !

Le dernier disque que tu as acheté ?
C’est le dernier Orelsan.

Tu es plutôt ? Spotify, Deezer ou Qobuz ? Tu écoute de la musique comment ?
Je suis à fond sur Spotify. Cela étant, j'aime beaucoup écouter de la musique dans différents endroits, notamment les soirées où je shazame beaucoup. Je vais dans des lieux très différents et je n'écoute pas uniquement un seul genre de musique, je me mets en immersion. Enfin, tu sais, j'écoute vraiment de tout. En fait, j'aime toutes les musiques du monde, j'aime les vieux sons par exemple. Le dernier exemple, c'était au cinéma, j’ai shazamé un titre dans le dernier film de Nicolas Bedos, Mascarade, avec Pierre Niney : Bambola de Patty Bravo – un son qui va m’inspirer pour une vidéo TikTok ou Insta.

Les rappeurs sont-ils des gourmets ?
Les rappeurs sont des personnes comme tout le monde. Ce sont des gourmands et des artistes. Ils sont sensibles à la finesse des produits et à l'art culinaire. Leur art, c’est la musique, le mien, c'est la cuisine. On parle entre artistes, voilà, et c'est pour ça qu'il y a une connexion forte entre nous, c'est pas juste des potes, on se comprend, on est connecté.

Est-ce que tu as un plat préféré ?
Ouais, j'en ai plusieurs, hein, moi, je mange de tout, mais, côté poisson, mon plat préféré, c'est la sole meunière. Un classique, ça ne bouge pas. C'est le Thriller de de Michael Jackson, mais dans l'assiette, tu vois, ça ne bouge pas.
“Il ne faut pas laisser de place à la haine et à la tristesse dans notre métier, c’est pas cool. Je préfère la générosité, l'amour, le partage et l'envie.”

Est-ce que ça un rapport avec ta grand-mère ?
Oui, ça a un rapport avec ma grand-mère. C’est le premier plat que j'ai goûté dans un restaurant gastronomique. J'ai accepté pour ne pas manger un menu enfant, tu vois, les menus enfants que tu manges quand tu es petit ? J'avais accepté de manger ce plat d'adulte. Et direct, c’est devenu le plat que j’ai mangé tous les samedis midi chez ma grand-mère. Donc gros rapport avec elle, hein ? ! C'est mon plat préféré.

Quels sont les lieux où tu écoutes le plus la musique ?
J'écoute beaucoup de musique en voiture. Mais surtout le soir, quand je finis mon service, là pour relâcher, je me mets vraiment dans la musique à fond. J'en écoute au bar, comme je te l’ai dit, je vais dans des lieux un peu différents (mais je ne suis pas trop “boîte de nuit”). J'aime bien les lieux où il y a une âme et où il y a de la musique qui passe. Tu te mets dans une bonne atmosphère et, là, tu te détends et tu découvres des choses... J’aime beaucoup les pubs, par exemple, il y a une vraie ambiance, c’est spécial, le décor boisé, les odeurs de bière. Sinon, je traîne beaucoup avec mes gars et on va écouter de la musique sur un banc avec nos téléphones. On se fait écouter les nouveautés, on va écouter des sons, je te dis, on peut mettre la voiture en route, on se prend une petite canette de bière et on fait sortir le son de la voiture. On peut se retrouver chez des potes, on peut aller chez moi, on peut même aller traîner dans mon restaurant, ça arrive souvent les petits apéros nocturnes dans mon resto entre potes, collègues et tout et on passe des bons moments. On regarde parfois des clips et des live. Tu sais les performances des artistes en live, c’est là que tu reconnais l'artiste, tu ressens le mec, quoi, l'artiste. C'est comme si nous on faisait des plats sous vide qu'on envoyait dans toute la France, c’est pas pareil.

Xavier Pincemin, un chef fou de food, de musique et de liberté © Le Pincemin
Xavier Pincemin, un chef fou de food, de musique et de liberté © Le Pincemin
“Rien ne doit venir stopper ta créativité.”

Est-ce que tu vas manger chez tes collègues restaurateurs ?
Ouais, je mange beaucoup dans les autres restaurants, tous les week-ends, en fait. Mais attention, je ne fais pas que des grands restaurants, je mange vraiment de tout. Je suis mes envies. Tiens, je voulais aller chez Jean Imbert au Plaza Athénée, j’ai essayé. Je suis allé chez Lignac à Ischia, son resto italien. C’était parfait, très cool. Après je peux aller au George V, comme je peux manger un sandwich grec. Je vais tester les nouveaux sur Paname pour voir si ça marche. Je peux même manger un McDo. Pour voir les nouveautés. Je suis curieux en fait. Mon métier, il ne s'arrête jamais. C'est comme si je te disais, j'écoute que du jazz, tu vois ? Ou du rap, ce qui est faux. C'est comme si moi, je ne faisais que de la haute gastronomie. C'est là où il y a un problème pour moi. Il faut savoir s'ouvrir au monde de la cuisine et tout comprendre. Et il ne faut cracher sur personne : l’art culinaire n’a pas de limites...

Ton univers culinaire et personnel est un mélange de toutes ces influences, en fait ?
Avec les bases dont je t'ai parlé, tu crées ta propose musique, ton menu, ton univers et finalement ta cuisine et ton identité. Mais pour tout comprendre, il faut aller voir les bases un peu de partout. Ça peut être un sandwich pas cher que tu goûtes simplement pour comprendre comment c'est fait, comme le bokit martiniquais, que j’ai découvert il y a trois ans. Un pain de fou cuit dans l'huile, hyper bon, avec du poulet boucané. Bon ben ça, c'est des saveurs qui sont trop cool et qu'on va pouvoir interpréter dans d'autres conditions, avec d’autres influences. Chez Lignac, j'ai kiffé un arancini [des croquettes de riz pané] avec thon mariné, wasabi. Je pense en faire une entrée pour mon bistrot le Lafayette, en mélangeant l'Italie et le Japon.

Comment te sens-tu à Versailles, qui est une belle ville patrimoniale, historique, avec une certaine ambiance qui ne plaît pas toujours ?
Versailles, pour moi, c'est ma ville d'origine. Je suis né ici, je me sens archi-bien. Quand tu te tapes des 18-20h de taf par jour, c'est bien d’être chez soi, de se sentir bien, de pouvoir voir ses proches et sa famille facilement. J'ai besoin de voir tout le monde. Pour moi, les vrais cuisiniers, on est des ultras sensibles, donc c'est important de se trouver dans un lieu qui dégage de l’inspiration. Il ne faut pas laisser de place à la haine et à la tristesse dans notre métier, c’est pas cool. Je préfère la générosité, l'amour, le partage et l'envie. Rien ne doit venir stopper ta créativité. C'est pour ça qu’à Versailles, je me sens bien parce que c'est une ville où je sais qu'il ne peut rien m'arriver. Je suis en sécurité dans le sens où je connais chaque centimètre carré de cette ville. C'est chez moi, c'est mon terrain de jeu.

“L'art culinaire n'a pas de limites”
Carnage (Hachette Cuisine) est le premier livre de cuisine très personnel de Xavier Pincemin © Nicolas Lobbestaël
Carnage (Hachette Cuisine) est le premier livre de cuisine très personnel de Xavier Pincemin © Nicolas Lobbestaël
“Il faut faire ce métier par passion sinon tu ne tiens pas toute une vie.”

Quels sont les conseils que tu donnerais à un jeune chef qui veut se lancer aujourd'hui ?
Se regarder dans le miroir et être sûr de vouloir faire ce métier. Il ne faut pas avoir peur de se poser la question, il ne faut pas écouter les autres, notamment les parents qui te disent faire des études avant ou quoi que ce soit. Il faut faire ce métier par passion sinon tu ne tiens pas toute une vie. Si tu veux faire de la cuisine parce que t'es gourmand, cela ne suffit pas. Ne pas regarder les autres et foncer tout droit. Ne pas avoir peur de laisser ses amis de côté (ils seront toujours là pour toi, si c’est des vrais amis) : travaille à fond pour arriver le plus loin possible. Le plus important, c'est garder sa liberté d'expression, de travailler là-dessus. Liberté d'expression culinaire : quand tu te sens bien dans ton univers, il faut alors que tu le mettes en avant parce c’est le tien. Il intéressera alors beaucoup de monde. Si tu te mets dans la peau d'un autre mec, ça n’intéressera personne et, en plus, tu seras triste parce que tu ne seras même pas toi-même !

Et tes conseils à la génération d’avant qui veut se renouveler, qui veut comprendre le monde d'aujourd'hui, qui est un peu larguée par la vitesse à laquelle évolue notre société ?
Pour moi, le conseil numéro un que je donnerais, c'est d'écouter les jeunes. Moi, je m'entoure de gars plus anciens que moi (de 40 à 50 ans) mais je prends aussi des jeunes de 20 ans. Il ne faut pas avoir peur de les écouter. Ce n’est pas parce que ce sont des jeunes qu’ils ne comprennent rien, au contraire, eux, ils vivent dans le monde actuel. J’ai des mecs dans ma brigade qui me font écouter de nouveaux artistes, des tendances, des modes sur les réseaux sociaux ; on parle des nouveaux chefs qui montent. Ils ont un autre œil, plus vif... Aux chefs qui prennent de la bouteille, je dis : écoutez votre brigade ! Si tu deviens has-been, ton restaurant il est vide...

La médiatisation, comment tu la gères ?
La médiatisation, il faut en profiter. Ça te permet de remplir un restaurant. Par contre, il faut être soi-même et en même temps, il ne faut pas montrer trop de son intimité parce, ça devient dangereux. Il faut garder la tête sur les épaules et être bien entouré. C'est ultra bénéfique, la médiatisation, il ne faut pas cracher dessus. Ton restaurant gagne 10 ans de popularité.

Carnage de Xavier Pincemin, Hachette Pratique, 192 p.

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