Lorsque Clément Bouvier revient à Tignes en 2016 après une formation chez René et Maxime Meilleur à Saint-Martin-de-Belleville, et une longue carrière au côté de Jean-François Piège à Paris, chez Thoumieux dans un premier temps puis au Grand Restaurant dans un second temps, c’est avec l'idée de valoriser les produits locaux. Pendant plusieurs mois - le temps des travaux - il va sillonner sa région : "Mon père, Jean-Michel, avait déjà un petit réseau de producteurs qui s’entraident et sont solidaires, mais il m’a laissé me réapproprier mon terroir et mon territoire." Son objectif, à l’époque, est simple, s’appuyer sur des produits mais aussi de la vaisselle, des tissus et de la coutellerie qui proviennent à 90% de la Savoie. Sont alors définitivement écartés de la carte les poissons de la mer, le foie gras et le bœuf. Seule la truffe est maintenue.
Une fois cet inventaire réalisé et la table ouverte, Clément Bouvier a dû imposer un concept que certains clients peinent encore à comprendre à cette altitude, la saisonnalité. Que ce soit au bar, à la brasserie ou au restaurant gastronomique, il lui a fallu batailler pour expliquer qu’il n’y a pas de tomates en montagne, de fraises ou de framboises. Selon le chef, la cuisine de demain devra s’appuyer sur des produits locaux et de saison mais elle ne pourra s’imposer que quand le public aura fait sa mue et acceptera que seule la nature décide du contenu de l’assiette : "Avoir à disposition tout et n’importe quand appartient au passé, il faut revoir ces modes de production et de distribution pour que chacun se réapproprie les calendriers." Ses producteurs comme Adrien, Olivier, Paulette, Nadège, Sandrine, Daniel ou Bruno ne diront pas le contraire.
Première question inévitable : comment avez-vous traversé la crise du coronavirus ?
Il a fallu dans un premier temps gérer la fermeture brutale et s’occuper de l’avenir de nos 145 employés puisque outre le restaurant gastronomique, notre établissement, c’est un hôtel, un bar, un bistrot et une table sur le glacier. Cet arrêt forcé m’a permis aussi de prendre du temps pour moi, pour ma famille, ce que je ne fais jamais. Pour l’anecdote, c’est la première fois que nous pouvions tous ensemble fêter Pâques autour d’une table. Depuis que je suis petit, je n’ai jamais pu le faire. Cette journée était fantastique.
Vous avez aussi profité de cette coupure pour créer un jardin...
L’objectif n’est pas de concurrencer mes maraîchers ou mes producteurs. L’idée, c’était plutôt de s’occuper, de réfléchir à demain et de relever un défi parce qu’ici à 2200 m d’altitude, rien ne pousse, personne n’a de jardin. Les mains vertes de l’équipe, les serveurs comme les cuisiniers, m’ont poussé à jardiner. Nous avons investi une centaine de mètres carrés et planté tout ce que l’on voulait pour voir comment la nature répondait. Choux, salades, courgettes et herbes aromatiques se complaisent ici. En revanche, les blettes et les pommes de terre, on va oublier. Et pour les potirons, il faudra attendre l’automne.
Arrêter la carte pour ne proposer qu’un menu, c'est irréversible ?
Pour le moment, oui. En terme d’organisation, c’est beaucoup plus simple mais surtout, le menu qui change toutes les deux ou trois semaines, est un espace de liberté dicté par ce que mes producteurs m’apportent. Je ne cours plus après l’ensemble des produits qu’il me faut pour tous les plats d’une carte avec le stress de ne pas être en mesure d’en réaliser certains. Les clients ont aujourd’hui le choix, entre 3, 4 ou 5 plats dans un menu dévoilé au fur et à mesure du repas. Je me sens moins enfermé et là encore, je peux jongler avec ce que je reçois. Si Olivier Parpillon, mon pêcheur professionnel sur le lac du Bourget, n’a pas pris suffisamment de poissons dans ses filets, je réfléchis à autre chose. Cette façon de faire n’empêche pas la création et la créativité : rien n’est arrêté, c’est ce qui est excitant.
Clément Bouvier est le chef de Ursus, à Tignes.