Depuis la Renaissance, le Centre-Val de Loire est surnommé « le Jardin de la France ». Il faut dire que son terroir regorge de merveilles : un maraîchage parmi les plus productifs et intéressants de l’Hexagone, des fruits à profusion, une pêche d’eau douce en plein renouveau, des éleveurs engagés qui réintroduisent des espèces disparues et les meilleures AOP de fromages de chèvre… Les restaurateurs sont les premiers à profiter de cette abondance et de ces précieux savoir-faire, ravis de proposer des assiettes aussi gourmandes que locavores. Certains chefs hissent leurs exigences encore plus haut : inscrivant leurs établissements dans une démarche écoresponsable, ils privilégient le développement durable et s’attachent à maîtriser leur empreinte carbone. Respectueux de la nature et de ses saisons, ils ne travaillent qu’avec des producteurs engagés, locaux le plus possible. Ensemble, ils esquissent un vivant portrait du terroir ligérien, à découvrir dans l’une quatre tables de la région à arborer une Étoile Verte MICHELIN.
Les Chemins : en route vers la naturalité
Installé dans une ancienne demeure du XVIIIe siècle ayant appartenu à Catherine Deneuve, au cœur de la vallée de l’Eure mais à seulement 1h de Paris, le Domaine de Primard offre une parenthèse enchantée aux citadins stressés. Spa, piscine, équipements sportifs, jardins, étangs, rien ne manque ! Niché dans la Maison du Verger, le restaurant Les Chemins est le royaume de Romain Meder, chef originaire de Haute-Saône. Ce disciple d’Alain Ducasse qui a travaillé sur plusieurs continents est devenu un chantre de la « naturalité » après son passage au Plaza Athénée. Une philosophie qui n’a rien d’incongrue pour un homme ayant passé son enfance dans un hameau de Franche-Comté, entre un père horticulteur (et même éleveur !) et un grand-père cuisinier. Si ses expériences en Martinique, à l’île Maurice ou au Qatar lui ont permis de s’ouvrir à des saveurs inconnues, elles lui ont surtout fait découvrir des manières différentes de cuisiner. Aujourd’hui, il revient aux sources en misant sur la même trilogie qu’au temps du Plaza : le poisson (de pêche durable), les légumes et les céréales.À Primard, le chef dispose d’un vaste potager cultivé en permaculture. Chaque matin, légumes, herbes et fruits sont récoltés pour alimenter la cuisine. Autour, bois et forêts du domaine fournissent quelques ingrédients complémentaires comme les fleurs de sureau, la livèche, la menthe d’eau, le raifort ou les noisettes. Un vrai jeu pour ce chef toujours avide de découvrir de nouveaux ingrédients dans le monde végétal. En parallèle, Romain Meder a réussi à se constituer un fabuleux réseau de producteurs locaux. À quelques kilomètres du restaurant, il trouve de la farine au levain naturel, des morilles, du fromage de chèvre, des fraises d’exception... Mais aussi des poissons d’eau douce : sandres, brochets, silures ou brêmes complètent les livraisons de ses mareyeurs bretons. Et dans les assiettes ? Asperges blanches, ormeaux et pousses de pin ; courgettes, thon et poivre de Sichuan ; rhubarbe, livèche et granité à la fleur de lilas… Poétique n’est-ce pas ? C’est cela la naturalité. Bien sûr, on vise ici le zéro déchet : les arrêtes de poisson deviennent de délicieux pralins, les épluchures de légumes de la farine, les restes de fruits des pickles…


Les Jardiniers, au rythme du potager
Au sud de Chinon, dans une ancienne maison vigneronne réhabilitée avec pierres et poutres apparentes, le restaurant Les Jardiniers s’organise autour d’une cuisine ouverte et d’un grand comptoir en étain. La décoration ? Elle est inspirée de la toile Les Jardiniers, de Gustave Caillebotte. Des estampes florales réalisées par un artiste japonais ainsi que des meubles chinés apportent de la personnalité à l’ensemble. Passé par le restaurant de l’abbaye de Fontevraud, c’est le belge Martin Bolaers qui est aujourd’hui aux manettes de l’établissement. Au début de sa vie professionnelle, le jeune chef voulait être nez. C’est d’ailleurs par l’odorat qu’il est venu à la gastronomie, du côté de Liège. Dans sa cuisine où le végétal est roi, on suit les saisons presque au jour le jour. À l’image de son plat signature, L’Instant T : cette proposition unique s’adapte quotidiennement à la production du vaste jardin potager (5 000 m2 !), travaillé en agroécologie. Le chef aime y cueillir lui-même ses ingrédients.Autre particularité des Jardiniers : la présence d’une truffière ! Elle fournit des truffes noires de Touraine durant tout l’hiver. À cette saison, Martin Bolaers propose un menu dans lequel la tuber melanosporum se retrouve dans tous ses états : infusée, râpée, cuite, torréfiée et en pâte à tartiner. Installé dans le Val-de-Loire depuis sept ans, le chef est marié avec une agricultrice de la région. Il a ainsi pu nouer des contacts avec les meilleurs professionnels : pêcheurs de silure sur la Loire, éleveurs de truites à Langeais, producteurs de fromages de chèvre… Soucieux de son impact sur l’environnement, il ne cuisine que très peu de produits carnés et propose toujours des plats végétariens à son menu. Une cuisine saine qui s’avère aussi ludique, gourmande et réconfortante. Pour valoriser les restes et déchets, il pratique la lactofermentation, les extractions et le compostage. Enfin côté vins, son sommelier privilégie les productions de la vallée de la Loire, si variées et séduisantes.


Fleur de Loire, ambassade de la gastronomie ligérienne
Planté au cœur de Blois, Fleur de Loire a tout d’une ambassade. L’ensemble, installé dans un ancien hospice du XVIIe siècle, est constitué d’un hôtel de luxe et d’un restaurant d’exception, avec vue imprenable sur la ville royale de Blois. C’est le projet d’une vie pour Christophe Hay. Né à Vendôme, dans le Loir-et-Cher, et issu d’une famille de paysans, il est fier du chemin parcouru. Avec un papa boucher et une grand-mère cuisinière, il avait de qui tenir côté fourneaux. Il commence les extras dès 15 ans et rejoint le lycée hôtelier. Sa rencontre avec Paul Bocuse va changer sa vie : il travaille quelques années à ses côtés, notamment aux États-Unis. Il prend son envol avec l’ouverture de son propre restaurant à Montlivault, aux portes de Chambord. Il reçoit une, puis deux étoiles MICHELIN. En 2020, il fait partie des premiers chefs du monde à obtenir l’étoile verte. Puis déménage à Blois et ouvre Fleur de Loire, vaisseau amiral où travaillent désormais près de 130 personnes…« Terroiriste » et paysan – il élève du bœuf wagyu, de l’agneau solognot et de la géline de Touraine –, Christophe Hay est devenu un emblème du Val de Loire. Son potager d’1,5 hectares, qui produit des légumes et fruits toute l’année, alimente ses trois restaurants. Dans le cadre d’un partenariat avec le Conservatoire des graines anciennes, il tente aussi de faire revivre des variétés autochtones oubliées. Son utilisation des poissons de la Loire ? Un autre exemple de son enracinement dans le terroir local. Pêcheur depuis l’enfance, il connaît toutes les espèces. Aujourd’hui, c’est Sylvain Arnoult qui sillonne pour lui le dernier fleuve sauvage d’Europe livrant sandres, brochets, brêmes, mulets ou silures. Des prises qui permettent de réaliser certains de ses plats les plus emblématiques comme la carpe à la Chambord, relevée d’écrevisses et de truffes. Cuisine locavore, limitation des déchets, économies d’énergie, produits d’entretiens naturels, mobilier écolo : aujourd’hui, l’engagement de Fleur de Loire pour le développement durable est complet.


Assa, le rêve d’Anthony et Fumiko
Posé en majesté face à la Loire, ce restaurant constitue un poste idéal pour observer le paysage changer au gré des heures de la journée, de la météo ou des saisons. Un côté nature qui a tout de suite plu à Anthony et Fumiko Maubert, le couple franco-japonais à la tête d’Assa. Lui est petit-fils de boucher et de paysans de Mayenne ; elle, nutritionniste, et issue d’une famille de gourmets. Tous deux sont passionnés par l’art de nourrir les autres. Ils se sont rencontrés dans les cuisines de Lasserre, avant de continuer leur route ensemble chez Michel Bras puis ici, à Blois. La salle du restaurant raconte en partie leur histoire : accroché aux murs, ce magnifique kimono traditionnel n’est autre que la robe de mariée de Fumiko. En cuisine, on joue la carte de la transparence et de la nature : pas de matière grasse, des produits bruts, une recherche de l’umami… La brème est accompagnée de shitakés et mizuna (chou) ; l’agneau agrémenté de carottes et shishito (piment) ; la figue servie avec feuilles de tagète et lait fermier. Une cuisine voyageuse et moderne basée sur les produits.Pour réussir leurs assiettes, le couple s’appuie sur son potager, entretenu en collaboration avec un maraîcher japonais. Ensemble, ils cultivent une foule de légumes étonnants dont pas mal sont originaires du Pays du soleil levant : daïkon, negi (ciboule), carotte de Kyoto… La carte est donc imaginée à partir de ces productions, complétées par celles d’artisans installés à moins de 20 minutes. Pêchés dans la Loire juste en face du restaurant, l’alose, le mulet ou le chevenne s’invitent au menu, préparés selon la technique japonaise de l’ikejime. Un intéressant travail de maturation du poisson est également pratiqué. Pour la viande, on accorde la plus grande importance aux conditions d’élevage et au bien-être animal. La bête est cuisinée en entier, pas seulement ses meilleurs morceaux. Une démarche en accord avec la philosophie du restaurant : ne rien gaspiller et respecter la nature.
NB : un incendie a temporairement éloigné Anthony et Fumiko de leur adresse habituelle. En attendant sa rénovation, ils sont installés dans un lieu éphémère situé au cœur de Blois.
Hero Image : La Loire à Blois © ALEXANDRE MOULARD


