Portraits 3 minutes 01 décembre 2022

Cuisine en orbite : Jason Gouzy roi des satellites

Aux commandes de son Pantagruel, auréolé d’une étoile en 2021, Jason Gouzy cisèle une cuisine gourmande et opulente. Comme un symbole de cette générosité, chaque séquence de son menu se dévoile en 3 assiettes complémentaires. Un exercice de style parfaitement maîtrisé par le chef et une expérience ludico-jouissive pour ses convives.

Le parcours de Jason Gouzy commence au Bristol en 2012. Après un cursus classique BEP/BAC pro/BEP, le Champenois intègre la brigade du restaurant Epicure, menée par Eric Frechon où il apprend la rigueur technique et les caractéristiques de la cuisine de palace. « J’ai appris à avoir une régularité dans l’excellence. J’ai aussi eu la chance de pouvoir travailler des produits comme la truffe et le caviar et comprendre pourquoi on s’en sert. »

Le chef prend, après un passage par le Burgundy, une trajectoire radicalement opposée en posant sa trousse à couteaux au Galopin de Romain Tischenko. « J’ai tout de suite aimé parce qu’on travaillait des produits plus simples et natures ». C’est cette même simplicité qui va jouer un rôle déterminant dans la construction de l’identité culinaire de Jason Gouzy. Après avoir répété les gammes apprises dans les palaces, un jour, un problème de livraison l’amène à travailler « ce qu’il a sous la main » : des carottes.

« Je voulais être chef chez moi ! »

« C’est là que j’ai dû réfléchir sur comment travailler un produit de plusieurs façons. J’ai trouvé ça cool et j’ai commencé à le faire sur tous les produits de saison. Je faisais du mono-produit sur tous les plats ». Cette expérience va forger l’identité du chef et lui permettre de « savoir ce qu’il veut faire ».

Suite logique de ce cheminement : l’ouverture de sa propre table ! Fin 2019, il quitte donc le Galopin pour voler de ses propres ailes. « Je voulais être chef chez moi ! Tu ne fais pas ta cuisine tant que tu n’es pas chez toi je pense ». Avec le soutien, notamment financier, de sa belle-famille il ouvre donc son Pantagruel en janvier 2020, un timing qui se révèle loin d’être parfait. Des grèves et le début de la crise du Covid font de l’année 2020 une année difficile pour le restaurateur.

Cependant le talent de Jason Gouzy n’échappe pas aux équipes du Guide MICHELIN qui lui décernent une étoile lors de la cérémonie 2021. La récompense accrochée à la poitrine et le carnet de réservation rempli, le chef, « totalement libéré », fait petit à petit découvrir ce qui est d’ores et déjà sa marque de fabrique : les séquences en 3 assiettes. A chaque temps du menu c’est une assiette principale accompagnée de deux assiettes satellites, toutes 3 composées des mêmes ingrédients de base, qui viennent s’offrir aux coups de fourchette des clients. « Dans tous les restaurants gastronomiques que j’ai découverts, j’ai remarqué que le plat « signature » ou le plat préféré du chef se présentait presque tout le temps en 3 assiettes et j’ai toujours trouvé ça magistral.»

Trompette de la mort, chou-fleur et encre de seiche / Tuile d'encre de seiche garnie de trompettes de la mort rôties, mousse de chou-fleur assaisonée de caviar Kristal Kaviari / Gnocchis de chou-fleur glacés à l'encre de seiche et jaune d'œuf fumé / Bouchée à la reine fumée au bois de hêtre, garnie de trompettes de la mort en vinaigrette, et d'une purée de champignons.
Trompette de la mort, chou-fleur et encre de seiche / Tuile d'encre de seiche garnie de trompettes de la mort rôties, mousse de chou-fleur assaisonée de caviar Kristal Kaviari / Gnocchis de chou-fleur glacés à l'encre de seiche et jaune d'œuf fumé / Bouchée à la reine fumée au bois de hêtre, garnie de trompettes de la mort en vinaigrette, et d'une purée de champignons.

Fort de son expérience du mono-produit, le chef décline une cuisine où chaque ingrédient devient polymorphe. « En fait, je réfléchis comme si un plat était interprété de 3 façons différentes. D’abord je pense toujours le plat principal et les ingrédients que je veux travailler et ensuite je me demande comment je peux retransformer ces mêmes produits pour venir jouer avec les assiettes satellites. En général j’essaie d’avoir un élément un peu expérimental, un élément un peu classique/vintage et un élément plus pep’s.»

Respecter la tradition pour mieux la maltraiter

Aussi, pour les convives, l'expérience est aussi ludique que jouissive. Alors que l’exercice d’une danse à 3 temps peut paraître périlleux, les jeux de texture et de saveurs d’une complémentarité parfaitement maîtrisée laissent à la fourchette du client le loisir de dicter son propre tempo. Pourtant, sous ses airs d’enfant turbulent, la cuisine de Jason Gouzy sait se faire respectueuse d’une certaine tradition de l’art de la table français.

« Ça peut paraître être un gros mot mais j’aime bien dire que je fais une cuisine bourgeoise mais une cuisine bourgeois populaire ! Ce que j’appelle bourgeois c’est la valorisation du produit, l’expertise du chef, la volonté de faire du beau, du surprenant et le côté populaire c’est que j’essaie d’aller chercher des madeleines de Proust. Tout le monde n’a pas le même référentiel mais quand tu arrives à « madeleine-de-prouster » un client, tu as tout gagné. »

Un de ses plats signatures, le croque-monsieur au homard, est d’ailleurs un bel exemple de ce concept de bourgeoisie populaire dont le chef Christophe Pelé, du Clarence, est l’un des instigateurs. « Pour moi les produits de luxe ne sont jamais aussi bons que lorsqu’on les maltraite un peu. C’est comme dans un repas, moi j’ai envie d’avoir une nappe blanche sur la table mais qu’elle finisse tachée ».

Ainsi, à table, les séquences s'enchaînent avec un panache plein de générosité et de gourmandise que le chef revendique volontiers. « Je suis d’abord gourmand avant d’être cuisinier, j’aime autant manger au restaurant que de faire la cuisine ». Et c’est finalement ça qui se diffuse de chaque assiette qui sort de sa cuisine, un véritable amour de la bonne chère et de l’instant passé à table. Un amour transmis également par les équipes, aussi bien aux fourneaux qu’en salle. A l’image de la complémentarité des assiettes qui défilent sur la table, la réussite de son restaurant est elle aussi un sport d’équipe où chacun a son rôle à jouer. Le chef, par essence, reste l’élément central mais ce sont les personnes qui l’entourent qui subliment l’expérience. Comme un symbole de ces séquences en 3 temps dont l’assiette principale ne pourrait se passer de ses fidèles lieutenants.

Homard, châtaigne, kumquat / Homard cuit à la nacre, châtaigne rôtie, condiment kumquat / Soba, pinces de homard et bouillon de châtaigne / Croqu'homard, bisque
Homard, châtaigne, kumquat / Homard cuit à la nacre, châtaigne rôtie, condiment kumquat / Soba, pinces de homard et bouillon de châtaigne / Croqu'homard, bisque

La recette du croq'homard 


Ingrédients pour 6 croq'homard

  • 12 grandes tranches de pain de mie
  • 200g de crème 35%MG
  • 300g de blanc d'œuf
  • 100g de beurre
  • 300g de protéine : chair de poisson blanc + chair de homard ou chair de volaille + chair de homard
  • 150g de bisque de homard
  • 500g de pinces de homard

Réalisation du sandwich 

  • Mélanger la crème, les blancs d'œuf, le beurre et les chairs, mixer dans un "Robot Coupe"
  • Ajouter la bisque, et les pinces de homard
  • Dans un cadre en métal, déposer la tranche de pain de mie dans le fond, puis une couche de farce, puis déposer une tranche de pain de mie au-dessus.
  • Enrober la préparation dans du film alimentaire
  • Cuire 3H à 70°c
  • Après cuisson, détailler en tranches de 1cm d'épaisseur
  • Dans une poêle, colorer les tranches avec du beurre
  • Servir chaud avec un peu de bisque

Toutes les photos de cet article sont signées : Florian Domergue.

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