Portraits 4 minutes 29 janvier 2024

Toques du Grand Paris : Camille Saint-M’leux, chef de Villa9Trois, à Montreuil

C’est l’un des jeunes chefs les plus prometteurs de sa génération. Au piano de Villa9Trois, à Montreuil, cette toque à la patte singulière intrigue. A tout juste 27 ans, Camille Saint-M’leux décroche une étoile au Guide MICHELIN, un peu plus d’un an après son arrivée. Interview avec ce Breton voyageur, épris de voile et d’ailleurs.

Bonjour Camille ! Racontez-nous : d’où êtes-vous originaire ? Vous êtes Breton, je crois ?

Oui, enfin... (Il sourit). Je suis né à Nantes, mais du côté de mon père, je viens d’une famille malouine depuis plusieurs générations. Ma mère est de Plozévet, au Sud de la Pointe du Raz. Mes parents se sont rencontrés sur l’océan Atlantique ! Ma mère, architecte navale de formation, avait construit son propre bateau.

Quel est le goût de votre enfance ?
Je me souviens de plats de poisson ou de fruits de mer. A deux ans, mes parents m’emmenaient avec eux sur leur voilier, je pêchais des coquillages. Plus tard, j’ai pratiqué la pêche sous-marine. On avait accès à des produits exceptionnels, que mes parents cuisinaient bien, une bonne cuisine familiale. Je me souviens aussi du turbot sauce hollandaise et pommes de terre de ma grand-mère. En vrai, jusqu’à ce que j’arrive à Paris à dix-huit ans, je n’avais quasi jamais mangé de viande ! (Rires).

© Villa 9Trois © Sarah Caglione
© Villa 9Trois © Sarah Caglione

Quand avez-vous eu l’idée d’être chef ?
Très jeune, vers l’âge de quinze ans. On allait de temps en temps en famille manger à L’Atlantide, l’institution gastronomique locale. Jean-Yves Guého venait saluer à la fin du repas. Je me rappelle la toute première fois qu’il est apparu, avec son tablier blanc, sa veste de chef immaculée… J’étais fasciné.

En classe de 3e, je devais faire un stage. A l’époque, j’hésitais entre le métier de designer ou celui de cuisinier. J’ai d’abord effectué un premier stage en design industriel, puis j’ai demandé une dérogation à l’école pour en faire un second, en cuisine —à L’Atlantide, justement. Ça a été une révélation ! 

L'intérieur cosy de Villa9Trois © Diego Parlange
L'intérieur cosy de Villa9Trois © Diego Parlange

De mes quinze à dix-huit ans, je n’ai pas arrêté de cuisiner à la maison et d’accumuler les stages dans les restaurants, à chaque vacances. De sorte que j’avais déjà quatre ou cinq stages derrière moi quand je suis arrivé à Paris après mon bac (bac S avec mention ! NDLR), pour entamer un CAP Pâtisserie et Cuisine et un BTS Restauration à l’Ecole Ferrandi.

“L’Australie, de par (...) son immigration japonaise, coréenne ou sud-américaine, est un pays incroyable en termes de gastronomie”
Le chef Camille Saint-M'leux dans son potager (Villa9Trois, Montreuil) © Diego Parlange
Le chef Camille Saint-M'leux dans son potager (Villa9Trois, Montreuil) © Diego Parlange

Vous avez pas mal bourlingué, travaillé à l’étranger. J’ai l’impression que le Royaume-Uni a eu une influence dans votre cuisine ? Et l’Australie, surtout ?
Totalement ! Je venais d’arriver à Paris, donc, et deux mois avant de rentrer chez Taillevent, j’ai demandé à faire un dernier stage à Londres, au Ledbury. A l’époque, c’était une des cuisines les plus créatives au monde, classée 10e aux 50 Best. Les horaires étaient complètement dingues : 7h30-1h30 du matin ! Je ne mangeais qu’une fois par jour, mais ça m’a passionné et je n’en garde que de bons souvenirs.

C’est pour ça que plus tard, après avoir enchaîné pas mal d’établissements classiques (Arnaud Pitrois, au Clos des Gourmets, à Paris, et Michael Bartocetti, le chef pâtissier de L’Abeille, deux établissements aujourd'hui définitivement fermés; puis Christian Le Squer, au Cinq, NDLR), j’ai eu envie de retrouver un peu de cette folie, de sortir des grandes maisons françaises.

La terrasse immaculée de la Villa 9Trois © Clémence Losfeld
La terrasse immaculée de la Villa 9Trois © Clémence Losfeld


J’ai rejoint un ami Australien à Brisbane, avec qui j’avais travaillé chez Taillevent et qui était en cuisine dans un restaurant qui s’appelait Urbane. J’y reste six mois en tant que second, et prend une autre claque, en découvrant notamment l’utilisation des piments, des fermentations coréennes… Puis à Sydney, au Quay je fais la connaissance du chef Peter Gilmore. Une cuisine hyper maîtrisée, agrégeant des connaissances techniques de fumage ou de fermentation du monde entier. J’ai énormément appris là-bas. On ne le dit pas assez, mais l’Australie, de par son Histoire, son immigration japonaise, coréenne ou sud-américaine, est un pays incroyable en termes de gastronomie.

“On ne veut pas être chef : on veut être étoilé. J’avais ce rêve dès mes dix-huit ans.”
Camille Saint-M'leux, Villa9Trois © Sarah Caglione
Camille Saint-M'leux, Villa9Trois © Sarah Caglione

Vous arrivez juste après la Covid à Montreuil, chez Villa9Trois. Et un peu plus d’un an après, vous décrochez la première étoile ! Le MICHELIN, ça représente quoi pour vous ?
Le MICHELIN, c’est le Graal ! On fait encore partie de cette génération où on vit pour le MICHELIN, ces chefs 3 étoiles qui nous ont fait rêver… On ne veut pas être chef : on veut être étoilé. J’avais ce rêve dès mes dix-huit ans. Au-delà, c’est aussi un gros soulagement. Une reconnaissance, une réassurance, car on travaille pendant un an et demi à l’aveugle, on investit beaucoup de notre jeunesse pour en arriver là —parce qu’il ne faut pas se mentir, on travaille énormément !

“Ma cuisine est forcément influencée par mon enfance en Bretagne, mais aussi par le Japon ! Deux pays curieusement plus proches qu’on ne le pense.”
Villa9Trois, à Montreuil © Florian Domergue
Villa9Trois, à Montreuil © Florian Domergue

Comment décririez-vous votre cuisine ?
Je dirais une cuisine très à l’écoute du produit, une cuisine de concentration, où on va jusqu’au bout de la saveur sans jamais ajouter — un peu comme dans l’esprit du sushi japonais. J’essaie avec mes équipes de trouver la meilleure cuisson, le meilleur assaisonnement… Avec en fil conducteur, l’iode et le fumé. On fait aussi un gros travail sur les sauces françaises, les acidités, les amers… Sur les algues, le fumage… Ma cuisine est forcément influencée par mon enfance en Bretagne, mais aussi par le Japon ! Deux pays curieusement plus proches qu’on ne le pense, tous deux avec la mer en héritage.

Et quel est votre plat signature ?
La carte change souvent, mais on en a un par exemple qui effectivement est resté : le paleron de bœuf, encre de seiche et lard de seiche. Ce n'est pas de terre/mer classique : je ne cherche pas l’équilibre avec le hareng, le moitié-moitié, le bi-goût. Ici, l’iode est vraiment utilisée comme un assaisonnement sur ce plat de boeuf. 

Villa9Trois © Florian Domergue
Villa9Trois © Florian Domergue

Vous êtes sur un territoire différent de Paris, à Montreuil. Concrètement, qu’est-ce que cela change ?
Quand l'un des deux associés de Villa9Trois m’a appelé pour prendre les cuisines, je me suis dit que c’était un projet hyper actuel, j’avais envie d’en être. J’ai adoré ce côté grande maison de province, tout en restant tout proche de la scène parisienne. Bien sûr, on a la chance d’avoir des ruches à quelques mètres des cuisines, un potager où l’on cueille nos propres aromates et fleurs comestibles… Mais ça va au-delà. Travailler ici, c’est aussi comprendre l’écosystème environnant, cette dynamique montreuilloise particulière. Je songe à ce voisin de quartier, qui a proposé de s’occuper de nos ruches. Du coup, on fait du troc ! A chaque récolte, on lui laisse la moitié du miel en échange, et on prend le reste pour le resto.

La serre d'agrumes de Villa9Trois (Montreuil) © Stephane Riss
La serre d'agrumes de Villa9Trois (Montreuil) © Stephane Riss

Et en termes d’engagement durable, justement, quels sont vos petits gestes pour la planète, à la Villa9Trois ?
Nos déchets organiques sont compostés au jardin, dans un cercle vertueux. Je fais très attention à comment les matières premières sont produites, je n’achète par exemple que du poisson de ligne ou de petit bateau. Au resto, on garde tout, ou quasi, on essaie vraiment de ne rien jeter, d’exploiter le produit dans son entièreté. Par exemple, on fait un katsuobushi (préparation nipponne de bonite séchée, fermentée et fumée, NDLR) avec des arêtes de maquereau. On a aussi tendance à ne pas rajouter de sel, à utiliser celui naturellement contenu dans le produit. Plutôt que d'utiliser du sel, on râpe des coraux de Saint-Jacques séchés, ultra-concentrés en saveur. Ou on concocte une poudre d’algues pour assaisonner les légumes.

Villa9Trois (Montreuil) © Clémence Losfeld
Villa9Trois (Montreuil) © Clémence Losfeld
Les ruches de la Villa9Trois © Clémence Losfeld
Les ruches de la Villa9Trois © Clémence Losfeld

Photo de Une : Camille Saint-M'leux, chef de la Villa9Trois à Montreuil © Clémence Losfeld

Portraits

Articles qui pourraient vous intéresser