Dans le monde de la haute pâtisserie, cet art de créer des produits haut de gamme méticuleusement élaborés, peu de noms sont aussi prestigieux que celui de Nina Métayer. En juin dernier, la virtuose française de la pâtisserie a ajouté une nouvelle consécration à sa liste croissante de triomphes internationaux, en étant nommée Meilleure cheffe pâtissière du monde 2024 par The World’s Best Restaurants. Cet honneur fait suite à son titre de Pâtissière Mondiale 2023 attribuée par l’Union Internationale des Boulangers Pâtissiers (UBIC), confirmant ainsi sa place au sommet de son art.
Le parcours de Nina Métayer n’avait pourtant rien de prévisible. Son rêve était de devenir boulangère. Elle s’est cependant tournée vers la pâtisserie après s’être entendu dire que la boulangerie n’était "pas un travail de femme". Aujourd’hui, à 36 ans, elle est non seulement l’ambassadrice mondiale de la pâtisserie française, la première femme choisie par l’UBIC pour représenter la profession dans le monde entier, mais elle vient également d’ouvrir deux boulangeries. Dernièrement, elle a pu faire une brillante démonstration de son talent exceptionnel en créant les desserts du dîner d’État en l’honneur du président chinois Xi Jinping au palais de l’Élysée en mai. Avec élégance, précision et une compréhension innée des saveurs, Nina Métayer réécrit les règles du dessert, une création à la fois.

Votre parcours dans le monde de la pâtisserie a commencé de manière plutôt inattendue. Pouvez-vous nous parler de ce moment charnière ?
Tout a commencé à l’âge de 16 ans, lors d’un voyage d’échange scolaire au Mexique. Les gens me demandaient constamment : « Puisque vous êtes Française, vous pensez ouvrir une boulangerie ici ? ». Mon objectif était de rester au Mexique et d’y ouvrir ma propre boulangerie. À mon retour en France, j’ai donc décidé de suivre une formation de boulangère. Malheureusement, il n’est pas facile de trouver un emploi à Paris en tant que femme dans la boulangerie. On m’a dit que c’était trop physique et trop dur pour une femme. Je me suis donc tournée vers la pâtisserie, qui était considérée comme une profession plus « féminine ». Je me suis dit que j’allais commencer par-là, que je ferais mes preuves et que je reviendrais éventuellement à la fabrication du pain.
Comment avez-vous débuté ?
J’ai commencé au Meurice avec Yannick Alléno et Camille Lesecq, où j’ai vraiment appris ce qu’était la haute pâtisserie. Ensuite, j’ai rejoint Le Raphaël auprès de la cheffe Amandine Chaignot, et j’ai adoré mon séjour là-bas. J’ai commencé à constituer ma propre équipe et à développer mes propres créations. J’ai ensuite rejoint Jean-François Piège pour l’ouverture de Le Grand Restaurant, où j’ai véritablement appris les exigences de l’excellence et la rigueur de la haute gastronomie. Par la suite, mon passage au Café Pouchkine m’a permis de mieux comprendre l’aspect commercial des choses - en travaillant pour un grand groupe, j’ai appris ce que signifiait le développement d’une activité, les chiffres et les comptes.
Vous avez travaillé dans de grandes cuisines, puis vous avez ouvert votre propre entreprise. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas ?
Après Café Pouchkine et une activité de conseil auprès d’autres établissements, je me suis enfin sentie assez forte pour relever les défis de l’indépendance. En 2020, j’ai lancé ma propre marque, Delicatesserie, et nous avons commencé à développer une clientèle fidèle en ligne avant d’ouvrir des magasins. Nous avons maintenant des magasins au Printemps du Goût dans le centre de Paris et à Issy-les-Moulineaux, aux portes de Paris. Je n’avais jamais imaginé être indépendante, mais après avoir aidé d’autres personnes à créer leur entreprise, j’ai réalisé que je pouvais le faire moi-même.
Vous venez d’ouvrir deux nouveaux établissements à La Rochelle, votre ville natale. Quelle est l’histoire à l’origine de ce projet ?
Effectivement, j’ai ouvert deux établissements à La Rochelle en novembre dernier. C’est un projet très particulier, sachant que j’ai racheté les boulangeries du seul boulanger qui a accepté de me former lorsque j’étais plus jeune. Comme il prend sa retraite, j’ai pensé que c’était le bon moment pour prendre la relève. En revenant à mes débuts, et en associant enfin boulangerie et pâtisserie, j’ai en quelque sorte bouclé la boucle.
Concilier votre carrière et votre vie de famille ne doit pas être facile. Comment y parvenez-vous ?
C’est vraiment un exercice de jonglage ! J’ai deux filles et je partage mon temps entre Paris, où je travaille, et la Normandie, où nous avons une maison et un laboratoire où je crée. Mon emploi du temps est très serré. La plupart du temps, je me lève à 3 heures du matin et je travaille jusqu’à 18 heures environ, heure à laquelle je vais chercher mes filles. C’est intense, mais je pense que les gens s’identifient à mon histoire, mêlant vie personnelle et de travail créatif. Ce que je suis interpelle les gens tout autant que mes saveurs, qu’il s’agisse d’un gâteau aux marrons ou d’une tarte aux raisins.Votre parcours a été marqué par la persévérance et l’expérimentation. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus de création et votre état d’esprit ?
Je suis quelqu’un qui aime aller jusqu’au bout des choses. Je n’ai pas peur de recommencer, d’échouer - cela fait partie du processus. Par exemple, cela fait six ans que je travaille sur ma recette de feuilletage, en expérimentant sans cesse de nouvelles idées. J’aime repousser les limites et essayer de nouvelles choses, mais il ne s’agit pas seulement de moi. L’équipe que j’ai aujourd’hui, tant sur le plan professionnel que personnel, joue un rôle crucial. C’est toute une communauté qui me soutient et m’aide à prendre des risques. Les gens savent que j’accorde de l’importance à la qualité et à la gentillesse, et nous mettons en commun des goûts et des points de vue différents.
Vous avez parlé d’un lien profond avec Paris. Qu’est-ce qui vous attire dans cette ville ?
J’ai une relation très étroite avec Paris. Certains n’aiment pas cette ville, mais moi j’ai une véritable adoration pour elle. J’ai grandi à La Rochelle, et ceux qui s’installaient à Paris pour y vivre et y travailler étaient considérés comme ayant réussi. Pour moi, c’est la plus belle ville où travailler. Il y a quelque chose de magique à créer ici. Je n’ai pas beaucoup de temps libre pour m’y promener - j’ai un emploi du temps très serré - mais j’apprécie les petits moments, comme être dans le métro ou dans ma voiture en écoutant de la musique et regarder la ville s’animer le matin.En matière de gastronomie, avez-vous un plat ou restaurant préféré à Paris ?
Je suis une grande passionnée de cuisine, mais pour moi, il s’agit moins d’un plat spécifique que des ingrédients et de la qualité des produits. Lorsque j’ai du temps libre, nous cuisinons généralement à la maison, mais j’aime aussi aller au restaurant. L’un de mes endroits préférés est Pouliche, dirigé par Amandine Chaignot, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. J’aime aussi beaucoup L’Accolade dans le 15e arrondissement, où j’habite. J’ai aussi un faible pour les brasseries parisiennes - elles ont un charme intemporel.Votre travail trouve manifestement un écho auprès des gens. Selon vous, qu’est-ce qui distingue votre pâtisserie ? Que faut-il pour mériter le titre de meilleur pâtissier du monde ?
Je pense que c’est l’attention portée aux détails. Les gens peuvent ressentir le plaisir que nous mettons à réaliser nos créations. Pour moi, c’est la chose la plus importante : prendre du plaisir dans ce que nous faisons, le transmettre à l’équipe et, en fin de compte, à nos clients. Il s’agit d’offrir aux gens une expérience, un moment de bonheur, et de s’assurer que chaque élément de ce que nous créons reflète cette joie.
Le secteur de la pâtisserie a beaucoup évolué ces dernières années. Quels sont les changements que vous avez constatés ?
La pâtisserie a connu une évolution incroyable ces derniers temps, avec l’ouverture d’un nombre croissant d’excellentes boulangeries et pâtisseries. Les viennoiseries, en particulier, connaissent un véritable engouement. Les gens sont plus attentifs à la qualité et à la créativité, et ils sont prêts à payer pour cela, ce qui est merveilleux. Le nombre de femmes boulangères est également en hausse, ce qui n’était pas courant lorsque j’ai commencé. Aujourd’hui, personne ne s’étonnerait qu’une femme tienne une boulangerie ou une pâtisserie, et cela constitue un grand progrès pour le secteur.Si vous quittiez la France, qu’est-ce qui vous manquerait le plus ?
Oh, sans aucun doute, le pain, le beurre et le fromage. Il n’y a rien d’équivalent ailleurs. Ils font partie intégrante de ma vie ici.
Si vous n’étiez pas devenue cheffe pâtissière, quelle autre carrière auriez-vous pu suivre ?
Je pense que j’aurais été pizzaiola ou fleuriste - quelque chose qui consiste à apporter du plaisir aux gens en créant quelque chose. Cela a toujours été au cœur de mon activité, qu’il s’agisse de nourriture ou d’autre chose. L’objectif est toujours d’apporter de la joie aux gens.Vous avez déjà accompli tant de choses, quelle est votre prochaine étape ?
Pour l’instant, je me concentre sur l’expansion de Delicatesserie avec nos deux boulangeries. Au-delà de ça, je suis toujours en train d’expérimenter, que ce soit pour perfectionner mon feuilletage ou pour trouver de nouvelles créations. J’aime repousser les limites, alors qui sait quelle sera ma prochaine aventure ! Pour moi, il s’agit toujours d’évoluer et de continuer à partager ce plaisir avec les autres à travers mon travail.A lire :
Hero image: Nina Métayer dans son labo © Mathieu Salomé