L’air embaume la noisette lorsque la maîtresse de thé, vêtue d’une blouse de lin blanche, approche un récipient en terre cuite d’une flamme vive. À chacun de ses mouvements, le parfum devient plus intense, jusqu’à ce que les feuilles de thé vert grillées soient prêtes à infuser. Quelques minutes après, on nous tend de petites tasses en céramique remplies de hojicha (thé vert torréfié japonais) fumant, accompagné d’un porridge de riz, d’une soupe miso et de plusieurs petits plats japonais.

On pourrait se croire à Tokyo, mais nous sommes bien à Paris, chez Ogata, un lieu en plein cœur du Marais entièrement voué au savoir-faire japonais, du thé à la gastronomie en passant par l’artisanat. Un emplacement qui n’a rien d’un hasard : un vent venu du Japon souffle bel et bien sur les ruelles historiques du quartier. Entre les boutiques de mode pointues des 3ᵉ et 4ᵉ arrondissements, les salons de thé matcha, les magasins d’artisanat et les restaurants japonais, on trouve des wagashi, ces douceurs à base de pâte de haricot rouge et de farine de riz, traditionnellement servies avec le thé. Autant de témoignages de la fascination réciproque de la France pour le Japon, nourrie par une nouvelle communauté de chefs et d’entrepreneurs qui mêlent les influences des deux cultures.

Pour Daï Shinozuka, chef originaire d’Hokkaido et propriétaire du restaurant Les Enfants Rouges, cette histoire d’amour franco-japonaise s’explique facilement : « Ce sont sans doute les deux cuisines les plus célèbres au monde », confie-t-il au Guide MICHELIN, attablé dans son néobistrot ouvert en 2013. « Les techniques sont différentes, mais dans les deux cas, la matière première est primordiale. La qualité des ingrédients et le respect des traditions culinaires sont essentiels. »
S’il n’a jamais cuisiné professionnellement au Japon, Shinozuka a fait ses armes auprès de chefs comme Laurent Petit ou Yves Camdeborde, l’une des figures de proue de la bistronomie, après s’être installé en France en 2007. Dans son restaurant, les classiques français de terroir, comme la terrine de canard ou la blanquette de veau, s’enrichissent de touches nippones : pickles de prune, tuiles d’algue, bouillons au dashi… Le tout arrosé de bourgogne ou de saké.

Chez Magma, le menu est tout aussi français, bien que le chef Ryuya Ona natif de la préfecture de Yamaguchi, revendique fièrement ses racines japonaises. Formé à Paris chez Bruno Verjus et Sota Atsumi, il révèle un goût prononcé pour les produits de la mer : homard bleu pêché durablement, thon blanc ou ormeau (sa signature), qu’il cuisine à la française, avec une rigueur toute japonaise.
À l’instar des maîtres artisans de son pays, aucun de ses menus ne ressemble au précédent : le chef imagine des plats uniques pour chaque service, midi et soir. Son héritage nippon se révèle surtout au moment du dessert qui préfère des créations légères, souvent à base de fruits ou de légumes, plutôt que riches en crème ou en sucre. Ce jour-là, c’était une alliance surprenante et raffinée de carotte, olives noires et noix de pécan.

Si la rigueur et le prestige de la gastronomie française parlent à de nombreux chefs japonais, d’autres préfèrent transmettre les saveurs de leur pays natal. Chez Ogata, le Japon ne trouve pas un écho que dans la cuisine et les boissons. Dans un hôtel particulier typiquement parisien, avec balcons en fer forgé et murs en pierre, le designer et restaurateur Shinchiro Ogata, venu de Tokyo, souhaite faire découvrir aux Français l’attention portée par ses compatriotes aux gestes du quotidien : préparation du sencha au salon de thé Sabo, repas inspirés du bouddhisme zen, ou sélection d’objets artisanaux dans la boutique du lieu.
« Chez Ogata, l’esprit japonais se manifeste dans le geste où l’intelligence de la main exprime une culture autant qu’un art de vivre, explique-t-il. Nous faisons le lien entre les traditions millénaires et une esthétique contemporaine. »

C’est ce dialogue entre tradition et modernité qui a attiré le chef Arnaud Donckele vers l’art culinaire japonais, dans son restaurant Hakuba, un kaiseki une-Étoile au Guide MICHELIN, au sein de Cheval Blanc Paris. Aux côtés du chef Takuya Watanabe et du chef pâtissier Maxime Frédéric, ils forment un trio qui entend « célébrer le Japon à leur manière, avec leurs sensibilités personnelles, en y apportant leur exigence et leur profond respect pour cet art ancestral du goût », explique Arnaud Donckele.
« Chaque plat s’inspire de la cuisine raffinée du kaiseki ryori, où ni texture, ni température, ni assaisonnement ne sont laissés au hasard. » Au final, des menus en plusieurs temps en quête d’équilibre et d’émotion. Du sushi au thon rouge au mochi aux fruits de saison, le soin apporté à chaque bouchée illustre aisément pourquoi tant de chefs français se reconnaissent dans la cuisine japonaise, c’est aussi parce que les Japonais trouvent un écho dans la gastronomie française.

Où dormir dans le Marais ?
Pourquoi se contenter d’une tasse de genmaicha après un repas chez Hakuba quand on peut prolonger l’expérience en séjournant dans l’une des 72 chambres ou suites du Cheval Blanc, où se trouve justement le restaurant ? Ce joyau Art déco compte parmi les plus beaux hôtels du Marais – et de tout Paris. On y trouve un spa Dior, une vaste piscine intérieure et des suites somptueuses, dont certaines s’étendent sur deux étages.

Pour une immersion plus typique dans le Marais (le quartier remonte au XIIIe siècle), direction la Maison Proust. Loin d’un style japonais pur, les références à l’orientalisme, au japonisme et aux esthétiques en vogue à la Belle Époque sont omniprésentes. Le décorateur Jacques Garcia, passionné par l’Asie, y a imaginé 23 chambres et suites ornées de papiers peints et textiles aux motifs rappelant les étoffes et kimonos japonais.

Que faire dans le Marais ?
L’adresse de référence pour les amateurs parisiens de cuisine japonaise ? Umami. Ce café et épicerie fine a été l’un des premiers à faire découvrir aux Parisiens les produits emblématiques du Japon : vinaigre de riz, udon, furikake… Depuis 2014, chefs et gourmets y viennent faire leurs emplettes. Roy Averty, qui le dirige en famille, souligne l’attirance des chefs français pour la culture culinaire nippone : « La philosophie japonaise parle à tous les grands chefs. Ils finissent souvent par explorer le Japon après avoir parcouru le terroir français. » Umami a aussi été à l’origine de la folie du matcha latte à Paris et a été le premier à le proposer il y a une dizaine d’années. Il reste encore aujourd’hui l’un des meilleurs à goûter dans la capitale.

Le phénomène matcha a ouvert la voie à de nouvelles boissons comme le hojicha latte, à tester chez Dreamin' Man, un minuscule café japonais très en vue. On y croise souvent des figures de la mode, surtout pendant la Fashion Week. Leurs pâtisseries maison – banana bread, scones, tartes – valent aussi le détour.

Envie de préparer votre propre thé à la maison ? Encore faut-il avoir le bon service. Chez Dejima, on trouve une belle sélection de porcelaine d’Arita ou de Hasami, des fouets en bambou pour le matcha, des cuillères en émail et d’autres objets artisanaux japonais. Les fondateurs, deux Français passionnés, commandent eux-mêmes une partie des pièces en collaboration avec de jeunes illustrateurs français et nippons. Timothée Kaplan, l’un des cofondateurs, résume bien le lien entre France et Japon : « Ce n’est pas qu’une question de savoir-faire. Ce qui les rapproche, c’est autant le goût du savoir-faire que celui du savoir-vivre. »