Restaurants 5 minutes 13 octobre 2025

Le Bib du mois : BRU à Paris, l'esprit des Antilles

Avec BRU, Julia de Laguarigue réinvente la cuisine antillaise dans un registre bistronomique encore rare à Paris. Une approche personnelle et vibrante, où les saveurs de son île se mêlent à la générosité du bistrot français — le tout porté par une équipe aussi unie que lumineuse.

Paris by Le Guide MICHELIN

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Quand Julia de Laguarigue quitte la Martinique pour venir étudier le commerce à Paris, elle ne s'imagine pas bifurquer pour finalement s'épanouir derrière les fournaux. Mais très vite, les amphithéâtres lui semblent loin de ce qui l’anime profondément : le goût du partage, les repas à rallonge, les grandes tablées bruissantes de voix et de rires qui rythmaient son enfance antillaise. Chez elle, la cuisine a toujours été un langage d’amour et de générosité, une manière d’être ensemble.

Alors, après sa licence, elle décide de suivre cette intuition. Celle qui prend plaisir à cuisiner pour régaler ses potes se dirige chez Ferrandi pour un CAP, « juste pour le plaisir d’apprendre à bien faire à manger ». Les débuts sont exigeants — un premier stage chez Jean-Louis Nomicos, après une alternance chez L’Oréal, autant dire un changement d’univers radical. Mais très vite, la curiosité prend le dessus sur cette ambiance où l'excellence est un carburant. Chez L’Ami Jean, elle découvre l’intensité « d'un chef très entier et généreux », la force de la transmission, et l’importance d’une cuisine sincère, sans fard. S’ensuivent plusieurs expériences qui affinent son regard : La Table du Réchaud, où elle devient cheffe pour un restaurant d’insertion pour migrants, puis deux années comme traiteur à domicile, à cuisiner pour des particuliers, renouant ainsi avec la convivialité qui l’avait menée là.

Aujourd’hui, dans son bistrot BRU, installé dans le IXᵉ arrondissement depuis un peu plus d'un an, Julia a trouvé l’équilibre parfait entre exigence et plaisir. Elle y cultive le goût du bon et du vrai, entourée d’une équipe fidèle et complice : Emma, pilier de la salle depuis l’ouverture, César, sous-chef aux inspirations méridionales, et Clémence, cheffe de partie prometteuse. Ensemble, ils composent une cuisine d’instinct, ancrée dans la saison, où l’esprit des Antilles se glisse subtilement dans l’assiette — une touche de soleil, de chaleur, et beaucoup d’âme.

Julia de Laguarigue propose sa cuisine 'tropico-franchouillarde' chez BRU à Paris © Charles Hemon
Julia de Laguarigue propose sa cuisine 'tropico-franchouillarde' chez BRU à Paris © Charles Hemon

Quelle est l'idée à l'origine de BRU ?

L’ambiance de cuisine me manquait. Je voulais un lieu où être régulière. Le traiteur c’est super mais ça cumule restauration ET évènementiel. Se déplacer tout le temps, cuisiner chez des gens aux cuisines différentes… C’est très compliqué. Je voulais poser mes valises et mes casseroles, avoir une équipe fixe.

BRU c’est mon premier restaurant rien qu’à moi ! On est à l’angle des rues Jean-Baptiste-Pigalle et La Bruyère, BRU c’est pour reprendre le nom de la rue et s’inscrire comme un bistrot de quartier.

J’ai travaillé dans des maisons avec des rythmes durs et exigeants. Je voulais créer un endroit qui donne envie de travailler, où on n'est pas rincé par les horaires et la cadence. C’est un métier physique et difficile, alors ici on fait attention au rythme de chacun, et l’idée c’est d’avoir une cuisine ouverte, pour nous pouvoir voir la lumière du jour, savoir pour qui on dresse les assiettes. Les cuisiniers chez BRU sortent beaucoup pour servir les clients, les rencontrer, proposer la carte… On essaye de concilier rigueur et éthique du travail et de permettre à l'équipe d’avoir du temps pour faire autre chose que de la cuisine.

Vous qualifiez votre cuisine de 'tropico-franchouillarde'...

Je suis Martiniquaise, j’ai grandi là-bas, mes parents sont de là-bas et toute ma famille y est encore. J’ai été élevée dans cette double-culture culinaire où on mangeait du bourguignon et de la blanquette mais aussi du boudin, des accras, du colombo… Et beaucoup de légumes locaux.
La cuisine créole est très peu représentée à Paris, souvent en street-food et je voulais la faire découvrir façon bistro/bistronomique. Mais je ne voulais pas me limiter qu’à ça, je voulais vraiment faire cohabiter mes deux cultures culinaires dans un même endroit.

Encore aujourd'hui, la cuisine antillaise est sous-représentée malheureusement... C'est d'abord une question de mode, à Paris tant qu'un style n'est pas qualifié de 'tendance', il est difficile de développer une demande durable autour. Et puis, les produits sont difficiles à trouver, on connait la street-food antillaise mais les recettes sont aussi beaucoup de plats de grand-mère plus compliqués à travailler. Et puis beaucoup de cuisiniers Antillais sont retournés aux Antilles pour la qualité de vie !

Ici les classiques bistrotiers sont revisités avec des touches antillaises, comme les fameux oeufs-mayo' au curry madras © Charles Hamon / DR
Ici les classiques bistrotiers sont revisités avec des touches antillaises, comme les fameux oeufs-mayo' au curry madras © Charles Hamon / DR

Quel est le plat le plus emblématique de votre cuisine ?

On fait beaucoup évoluer la carte en fonction des produits, mais on a quelques plats qui, eux, ne bougent pas !

La star, c'est le colombo, qu’on fait de 3 façons : poulet, porc ou végétarien, ça dépend. C'est un vrai plat mijoté de cuisinier, avec un bouillon, des épices, du riz, des légumes, une protéine… On adore le faire, et surtout, on le fait varier en fonction des saisons, l’été c’est aubergines et courgettes, l’hiver c’est courges et oignons. Le bouillon va changer aussi, entre sucrosité et sapidité et va être lié par les légumes eux-même. C'est un plat qu'on a aussi allégé pour qu’il soit plus beau et plus visuel. Parfois les viandes sont cuites à part, grillées, fumées… 

Un autre incontournable, c'est notre le gâteau coco, gâteau traditionnel « Mont-Blanc » mais attention pas celui à la crème de marron ! C'est un gâteau emblématique pour les fêtes, une génoise hyper légère avec une crème au lait de coco. On l’a beaucoup désucré.

Alors oui, on reste dans la tradition mais surtout on aime twister les choses, ça nous amuse.

BRU, un petit coin de Martinique au coeur du 9ème arrondissement de Paris © Charles Hemon
BRU, un petit coin de Martinique au coeur du 9ème arrondissement de Paris © Charles Hemon

Comment décririez-vous votre approche des produits et de la cuisine ?

On essaye de travailler de façon très raisonnable, mais d’avoir toujours un rapport qualité-prix correct pour nous ET les clients. On ne travaille qu’avec des viandes françaises, notamment de l’Aveyron, et les fruits et légumes sont français, de saison. Parfois comme on travaille des choses des Antilles, on fait l’impasse sur certaines exigences : le lait de coco français ça n’existe pas. On a une cuisine de saison, donc elle a plus de goût, et on est fidèles à nos fournisseurs depuis notre ouverture il y a un an, pour s’adapter au mieux en fonction des besoins de chacun, se dépanner les uns les autres, etc…

Vouloir être dans une consommation raisonnée en proposant des recettes antillaises, c'est un défi, notamment pour la provence des produits : la cacahuète française, par exemple, ça existe mais c’est très cher, du coup si on la fait on la passera plutôt le soir que le midi, pour maintenir nos prix. C'est la même chose pour le chocolat.
Certains produits martiniquais comme l’igname et la christophine viennent d'Afrique, plus proche de la métropole, et on les travaille vraiment de temps en temps sur 2/3 jours pour se faire plaisir. Pour le reste on cherche du vraiment des productions françaises, on est dans une démarche responsable pour trouver le juste milieu.

En complément, on a une offre sans alcool sympa, notamment les kombucha, des choses très peu sucrées, et pour le vin on travaille avec l’agence Vif qui nous conseille et source uniquement du bio ou biodynamie. Avec des gens qui travaillent bien et font attention à ce qu’ils font, pour nous c'était important ! La carte des vins s’étoffe au fur et à mesure. Et évidemment on a une belle sélection de rhums de la Martinique !

On déguste le classique gâteau à la coco dans une salle ouverte sur la cuisine © Charles Hemon
On déguste le classique gâteau à la coco dans une salle ouverte sur la cuisine © Charles Hemon

Quelle est la fourchette de prix à laquelle les clients peuvent s'attendre ?

Le midi on a deux menus : 25€ en deux services, et 29€ le menu complet. Ils étaient un peu plus chers à l'ouverture, mais on s'est rendu compte qu'on pouvait les baisser, on voulait aussi s'adapter au plafond des Tickets Restaurant comme on est dans un secteur de bureaux. On a aussi des suppléments pour des choses spécifiques, plus travaillées. Mais pour pouvoir maintenir ce genre de prix, on fait très attention à tout ! 

L'obtention du Bib Gourmand il y a un an, ça a été un vrai coup d'accélérateur, surtout auprès de la clientèle étrangère auprès de qui on sent que c'est une vraie référence.

Quel est le meilleur moment pour venir manger chez vous ?

On a une cuisine ouverte, donc tout le comptoir est assez ouvert, c’est particulièrement agréable au printemps/été. Et que ce soit moi ou César, mon sous-chef, qui vient de Marseille, on adore travailler les produits ensoleillés du printemps/été. Mais venez nous voir en toute saison, pour une cuisine parfumée, qui réchauffe à Paris !

Comment avez-vous conçu un menu qui soit à la fois intéressant et d'un bon rapport qualité-prix ?

Déjà on ne cuisine que des produits de saison et locaux à part quelques petits 'extras', très ponctuels, sur des produits très spécifiques. On travaille avec les mêmes fournisseurs depuis notre ouverture, donc tout cet écosystème s'adapte en fonction des besoins de chacun. Et aussi, on travaille avec des viandes entières, c’est une sacrée organisation, mais ça nous permet d’optimiser l’utilisation de chaque partie en fonction des services.

César apporte sa sensibilité méridionale dans les menus qu'il concocte avec la cheffe Julia © Charles Hemon
César apporte sa sensibilité méridionale dans les menus qu'il concocte avec la cheffe Julia © Charles Hemon

Comment faites-vous pour maintenir votre niveau d'exigence face à l'augmentation du coût des ingrédients ?

On fait vraiment très attention à tout. Déjà, à nos cuissons : les cuissons longues demandent beaucoup d’énergie, alors on fait attention au gaz, à l’électricité, à l’eau, aux pertes. On est en flux tendu avec les producteurs. Maintenant on a une régularité sur le nombre de couverts par jour donc on fait des commandes au plus juste pour éviter les pertes, et on ne se prive pas de changer le menu très souvent pour optimiser nos stocks. La carte évolue en permanence même au fil d'une même semaine, pour faire très attention sur la viande et le poisson surtout.

Quelles sont vos initiatives anti-gaspi au restaurant ?

C'est vraiment un travail de long-terme et en bonne intelligence avec nos producteurs. L’organisation des commandes, des menus, le calcul des portions, les fiches techniques… Toute cette anticipation nous aide beaucoup à être dans les justes quantités. On travaille aussi sur la revalorisation de nos déchets : les chutes de légumes pour faire une ratatouille pour le personnel, pour enrichir les sauces, les jus avec les os des bêtes entières, les arrêtes des poissons pour faires des fumets… On arrive à revaloriser beaucoup de choses.

Pour nous, l'important c'est de cuisiner différemment et, surtout, intelligemment.

Une cuisine ouverte sur la salle, comme un dialogue permanent entre la métropole et les Antilles © DR
Une cuisine ouverte sur la salle, comme un dialogue permanent entre la métropole et les Antilles © DR

Photo de Une : L'équipe de BRU, Bib Gourmand à Paris © Charles Hemon

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