A la tête de Côté Fish, Mathieu Chapel est un jeune patron-pêcheur qui fournit les meilleurs chefs étoilés de France. Basé au Grau-du-Roi, ce Camarguais ambitieux et novateur de 32 ans défend une pêche responsable en mer Méditerranée, locale, durable, sans intermédiaire. Après l'épisode 1, découvrez le second et dernier volet de notre grand reportage immersif en Occitanie.
La veille, on était rentrés à quai à 1 heure du matin. Après une courte nuit (réveil à 4h !), on retrouve le Saint Paul II au port avec déjà à bord Mathieu Chapel, Elliot Juarez, le capitaine, et le chef Nicolas Fontaine. Aux manettes des restaurants nîmois El Duende et L'Impé, le bras droit de Pierre Gagnaire, mordu de bons produits, se fournit depuis plusieurs années chez son voisin graulen. Et ce n'est pas la première fois que ce passionné passe une nuit à bord !
Jour 2
4h45 : « La mer, c'est pas un supermarché ! »
Le Saint Paul II largue les amarres. Il est 5h30 quand le soleil se lève. A 6h25, deux flamants roses rasent l’eau à quelques mètres de nous. On fonce relever le monofil ou filet droit. Et là, commencent à apparaître dans les mailles rougets de sable, puis dorades, gascons (chinchards)... De bonnes prises, comme ce loup de mer gigantesque, qui compensent celles d'il y a quelques heures, plutôt décevantes. « C'est ça aussi le métier de pêcheur ! » commente Mathieu. « On ne gagne pas à tous les coups ! »
Elle ne donne que ce qu'elle peut, Mare Nostrum « notre mère à tous » résume joliment le patron-pêcheur. Avec ses équipes, il se donne pour mission de faire découvrir aux chefs de toute la France des espèces méconnues du grand public, mais tout aussi intéressantes à sublimer en cuisine. « La mer, c’est pas un supermarché », assène Mathieu. « Tu ne sais jamais ce que tu vas réussir à remonter ». Heureusement, les chefs le comprennent de plus en plus. « On travaille en flux tendu, au rythme des arrivages. Cela nous permet d'éviter les pertes, qui sont d'environ 30% en poissonnerie classique ».
6h : une biodiversité étonnante
Ce que pêchent Mathieu et ses hommes ? Une biodiversité étonnante : marbrés, soles, turbots, rougets, maquereaux, loups de mer, muges, merlus, raies, baudroies (lottes)… Mais aussi des pageots (poissons proches de la daurade royale, mais rouges), de l’encornet rouge (sorte de calmar à la chair nacrée, ferme et savoureuse)... Sans oublier, poursuit le pêcheur, intarissable, les pistes, ces cousins des calmars considérés comme « le caviar de la Méditerranée ». Ou ce qu'on appelle curieusement les galères, « mi-crevettes, mi-langoustines, avec une chair très parfumée, idéale pour sublimer vos recettes de soupe de poisson ou de bisque. Sa carapace, séchée en poudre ajoute beaucoup de goût aux plats. »
« En vérité », pointe Mathieu, « il existe tout un tas d'espèces méconnues du grand public, et même des chefs ». A l'instar encore des nasses, « sortes de bulots, très prisés par nos voisins italiens et espagnols, dont les saveurs rappellent celles du bigorneau.»
Tandis qu'il rembobine le filet à bord, Elliot jure : des méduses rhizostome se sont prises dans les filets. D'ordinaire peu urticantes, en se désintégrant en fines particules une fois sorties de l'eau, elles brûlent les yeux des pêcheurs. Il faut être vigilant.
7h07 : le plus dur dans la pêche ?
Sympathy for the Devil des Stones à fond, on rentre au port. Les visages hier tendus de Mathieu et Elliot sont souriants, les vannes fusent, l'heure est à la détente. Ce matin, on ramène 50 kilos de poisson au Grau-du-Roi.Gueule burinée mais regard franc et sourire solaire, Albert nous attend de pied ferme à quai. Cet ancien pêcheur a passé près de 40 ans sur l'eau. Il a commencé en 1963, à l'âge de 15 ans. C'est lui qui a initié Mathieu. Il s'est pris d'amitié pour ce grand gars. Lui a confié ses secrets d'ancien, les coins de pêche. C'est à lui qu'il a accepté de céder son bateau, plus tard. A une condition, se remémore Mathieu. « De pouvoir assister chaque matin au débarquement. » Un marin ne quitte jamais vraiment la mer. Et voilà comment été comme hiver, Albert est là, fidèle au poste, avec toujours une blague, un bon mot, l'œil qui frise. « Le plus dur dans la pêche ? » nous lance-t-il, hilare d'avance. « Le noyau ! »
11h : cap sur Nîmes, au Duende !
On file à Nîmes avec Mathieu, qui va livrer le chef japonais Masaki Nagao. Depuis juin 2023, cette jeune toque parfaitement bilingue, passée par le Deux Etoiles parisien Le Clarence, succède à Julien Caligo. Masaki a été choisi par Pierre Gagnaire et son associé Nicolas Fontaine pour diriger les cuisines du restaurant étoilé Duende, et de sa brasserie attenante L'Impé, au sein du mythique Hôtel Impérator (Maison Albar)... Récemment récompensé d'Une Clef MICHELIN.
En cuisine, on salue la brigade, concentrée. Inspection des armoires où maturent les poissons avec Masaki, Nicolas et Mathieu. La meilleure technique selon la patron-pêcheur, c'est celle qu'il a acquise auprès d'un grand maître japonais : suspendre les grosses pièces attachées par la queue à une ficelle, tête en bas dans la cave à maturation. « De cette façon, on n'abîme pas le poisson », rappelle Mathieu. Il ne faut surtout pas planter un croc à même la chair du poisson, pour éviter que les bactéries ne prolifèrent. « Tous les poissons ne sont pas forcément bons à maturer », m'explique Nicolas Fontaine, passionné par le sujet. « Il n'y a pas d’intérêt à maturer de petites pièces, il faut des poissons d'une certain taille, avec une importante quantité de chair : thon, liche, loup de mer, ou gros muges par exemple ».
13h : déjeuner à la brasserie L'Impé
Nous déjeunons à la brasserie L'Impé. Sa providentielle terrasse, nichée au coeur d'un patio végétalisé, est un havre de paix. « Notre force de frappe aujourd'hui », pointe le fondateur de Côté Fish, « C'est de pouvoir livrer en transport réfrigéré via Chronofresh, à tous les chefs, partout en France, des poissons sous vide, vidés, écaillés ou en filets ». Pêchés la nuit même, ils sont préparés quelques heures plus tard, et envoyés 24h plus tard maximum aux restaurateurs. « C'est un argument de taille. On gagne un temps fou ! », s'enthousiasme Nicolas Fontaine, « Entre le Duende et la brasserie, je fais minimum 200 couverts par jour. A ma connaissance, Mathieu est le seul capable de délivrer quotidiennement, avec cette qualité-là. »Masaki travaille intelligemment, utilisant le produit dans son entièreté, y compris les parures de poisson pour concocter ses sauces. Il récupère notamment le collagène de poisson contenu à l'intérieur des arêtes. Celles-ci, revenues dans de l'huile de pépin de raisin et de l'huile d’olive avec de l'ail, du laurier, sont passées au chinois. La sauce obtenue, d'une texture et d'un goût terriblement addictifs, est mise au réfrigérateur à décanter... Et relève ensuite divinement les poissons blancs comme la daurade. « C'est une sorte de pil pil version camarguaise ! » commente Mathieu. « Vous savez, cette sauce basque qu'on obtient en cuisant doucement les jus de la morue et de l’huile ».
Le soir, avant notre retour à Paris, j'aurais la chance de dîner au Duende, de manger ces produits pêchés ensemble le matin même... Et de comprendre pourquoi notre inspecteur s'était tant enthousiasmé : « produits de qualité, maîtrise technique avérée, spontanéité et originalité ». Dans le sillage d'artisans-producteurs comme Mathieu Chapel, le menu dégustation sublime les plus beaux produits du Gard et de l’axe méditerranéen : porc baron des Cévennes, légumes de petits maraîchers... Mention spéciale pour le jeune et brillant sommelier-poète, Logan Thouillez, vous déclamant du René Char autour d'une sélection de vins riche de plus de mille références, toute personnelle.
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