Reportages 2 minutes 23 décembre 2020

Une histoire inattendue : Thierry Marx et le saké [VIDEO]

Enfant de Ménilmontant et de la banlieue parisienne, le chef Thierry Marx met aujourd'hui la transmission au cœur de sa vie de cuisinier. Parmi ses nombreuses passions, on compte le Japon, les arts martiaux… et le saké !

Thierry Marx et le saké, c'est comme une évidence. Pour évoquer cette boisson mal connue en France, qui de mieux que le chef du Sur Mesure (Hôtel Mandarin Oriental, à Paris), grand passionné d'arts martiaux et de culture japonaise ? Le saké, Thierry Marx n'a pas que deux ou trois choses à en dire : il le connaît sur le bout des doigts.

C'est pourtant bien loin du Japon que s'est construit Thierry Marx, gamin de Belleville et de la banlieue parisienne. Son parcours, ce sont plusieurs vies dans une seule. Enfance dans le Ménilmontant populaire, adolescence à Champigny-sur-Marne, où un éducateur vient le sortir du désœuvrement en lui faisant découvrir le judo : son attachement aux arts martiaux est né, et ne le quittera plus. "Dans l'univers du judo j'ai compris que j'avais une mécanique inversée : certains sont capables d'apprendre pour faire, c'est le sens de l'école, moi je dois faire pour apprendre" se souvient-il. "Les arts martiaux sont aussi une école formidable pour apprendre à mettre du temps entre ses émotions et ses actions."

La trousse de cuisinier du chef Thierry Marx ©C.Sirdey/MICHELIN
La trousse de cuisinier du chef Thierry Marx ©C.Sirdey/MICHELIN

Entré aux Compagnons des Devoirs Unis, section pâtisserie, il en sort transformé. "La plus belle leçon que j'y ai apprise, c'est d'accepter la critique. Je parle bien de la critique constructive, pas celle qui vous humilie : celle qui vous fait réfléchir." Pour lui, dont l'enfance a été marqué par l'échec scolaire – une blessure longtemps vivace –, ce sera l'une des clés de l'épanouissement. Il garde aussi de cette époque une vraie passion pour la pâtisserie et la boulangerie, qui l'amèneront ensuite jusqu'au métier de cuisinier. "Le pain, c'est de l'eau, de la farine, du sel et du talent", dit-il. "C'est la gastronomie accessible à tous. Agréable à manger, agréable à payer."

Une vision sociale, émancipatrice, de la gastronomie : voilà ce qui a conduit Thierry Marx à créer l'école Modes d'Emplois. "Je pense que personne n'est né pour l'échec", assène-t-il en préambule. "Je ne crois pas à ça." Tout a commencé par des ateliers cuisine créés à destination des bénéficiaires des Restos du cœur, auprès de Véronique Colucci. "Je me suis rendu compte que ces gens avaient du talent", raconte-t-il, "mais qu'ils se sentaient assignés à la précarité." Il échafaude donc un projet d'école de cuisine, avec une idée simple : proposer un "projet métier" à des personnes en précarité, éloignées de l'emploi, ayant subi des accidents de parcours ou étant sous main de justice. "On délivre 80 gestes de bases et 90 recettes du métier de cuisinier. Aujourd'hui, c'est 5500 personnes formées, 92% de retours à l'emploi en CDI, 7% de créations d'entreprises".

©C.Sirdey/MICHELIN
©C.Sirdey/MICHELIN

C'est au Japon que Thierry Marx a découvert le saké. Pour lui qui ne boit jamais d'alcool, c'est une vraie révélation. "Dans cette boisson il y a cette notion de fermentation, de sens de la vie, de laisser vivre des choses", explique-t-il. "C'est puissance et douceur. Il y a une longueur en bouche qui est absolue, et qui n'est jamais agressive. Quand je déguste du saké, comme en cuisine, je donne de la mémoire à de l'éphémère." Il fait même le rapprochement avec le pain : "Avec du riz, de l'eau et du talent, vous faites un grand saké !"

Bon connaisseur des terroirs japonais, et des sakés très différents qui sont issus, Thierry Marx accompagne depuis longtemps ses créations, en particulier basées sur les produits de la mer, par du saké. "Pour ces accords, on va choisir en fonction des régions", précise-t-il. "Va-t-on préférer les sakés de Kyushu, très iodés, ou plutôt ceux d'Hokkaïdo, qui vont parfaitement se marier avec des coquillages, des crabes ? Est-ce que je vais sur la région de Miyazaki, pour accompagner les oursins ? Le phénomène de terroir n'est pas propre au vin, il est aussi très pertinent dans les sakés japonais, même si le pays est petit."

©C.Sirdey/MICHELIN
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Et de fait, l'accord est parfait dans la recette qu'il a préparée pour nous : coquille Saint-Jacques caramélisée avec un vinaigre de Xérès, bouillon de haddock légèrement fumé comme un dashi, ail noir frais légèrement fermenté. "L'alliance du sucre et de l'iode", explique le chef, qui met aussi en évidence la saveur umami qui apparaît dans cet accord entre les fruits de mer et le saké. "Vous révélez une saveur qui n'est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amer… C'est la cinquième saveur, l'umami."

Si la France a longtemps méconnu, voire boudé le saké, Thierry Marx estime que cette époque est révolue : "On est sorti de cette idée d'un banal alcool de riz : on comprend que ce produit, c'est un savoir-faire et une signature", affirme le chef. "Pour moi, le saké, c'est du luxe. Et le luxe n'est pas une insulte à la misère : c'est une insulte à la médiocrité."

Le plat préparé par le chef : coquille Saint-Jacques caramélisée avec un vinaigre de Xérès, bouillon de haddock, ail noir. ©C.Sirdey/MICHELIN
Le plat préparé par le chef : coquille Saint-Jacques caramélisée avec un vinaigre de Xérès, bouillon de haddock, ail noir. ©C.Sirdey/MICHELIN

Cet article a été réalisé en partenariat avec JFOODO.



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