Restaurants 3 minutes 25 juillet 2023

de:ja, Strasbourg : le talent n'attend pas le nombre des années

La cuisine n'est pas un sprint mais une course de fond. Pourtant, certains prennent des départs plus rapides que d’autres, la passion chevillée au corps et le talent en guise de boussole. C’est le cas de David Degoursy et Jeanne Satori, à peine 50 ans à eux deux quand ils ouvrent leur restaurant de:ja en novembre 2021. Un an plus tard, la table décroche sa première étoile ainsi qu’une Etoile verte. Rencontre avec ce couple à la trajectoire aussi libre que fulgurante dans leur établissement strasbourgeois.

L’étape universitaire, catégories lettres et écologie, expédiée, les deux Alsaciens se détournent de leur cursus initial pour se plonger dans le monde de la gastronomie. « J’ai commencé la cuisine en 2019 dans un restaurant qui s’appelait Mayence et ensuite, avec Jeanne, on a passé un CAP à l’Auberge au Bœuf à Sessenheim. » raconte David.  Pourtant, chez eux, pas de story telling évoquant les petits plats mijotés par la grand-mère. « Dans la famille de Jeanne, ça cuisine pas trop et quand ça cuisine, ça n'est pas toujours réussi. » s’amusent-ils. Peu concerné par l'attrait de la médiatisation et de la starisation de certains chefs vus comme de nouvelles rock stars, le couple, d'une humilité désarmante, est avant tout fan de produits et de rencontres. « Nous, à la base, c’était surtout les producteurs qui nous intéressaient, on a toujours eu envie d’aller à leur rencontre et de créer une relation humaine. On a toujours rejeté les produits industriels qu'on peut trouver au supermarché. » explique David dans une tirade que n'aurait pas renié Jean-Pierre Coffe. « On s’est toujours posé beaucoup de questions sur notre alimentation, à une époque on a essayé de devenir végétarien mais au final ça ne correspondait pas forcément à ce qu’on cherchait, donc on s’est surtout concentré sur le sourcing de nos produits. » complète Jeanne, la jeune chef du restaurant de:ja.


Crédit photo : Florian Domergue
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Un esprit libre, dans un écosystème sain
Cet amour des bonnes choses va très vite se voir complété par l’expérience du couple à l’Auberge au Bœuf, la table étoilée de Yannick Germain. Malgré le COVID, leur apprentissage se poursuit et, petit à petit, leur projet va prendre forme. « J’ai continué à bosser en cuisine pour faire des plats à emporter, de son côté Jeanne faisait beaucoup de cueillettes, ce qui nous a énormément influencé pour notre projet actuel », se souvient David. Un projet basé sur les produits frais et locaux, un maximum de cueillettes sauvages et surtout une relation directe avec les producteurs. Bref, mettre de véritables morceaux d’Alsace dans les assiettes. Cependant la démarche se heurte dans un premier temps au pragmatisme de certains de leurs fournisseurs avec lesquels ils ont établi une véritable relation de confiance, semaine après semaine. « Certaines personnes vendaient à des particuliers et ne se sentaient pas forcément prêtes à travailler avec un restaurant. Et puis, on est des petits jeunes qui ouvrent un restaurant « à la ville », donc on pouvait nous prendre un peu pour des « bobos », il a fallu qu’on lâche des petits mots en dialecte alsacien utilisés dans la campagne d'où l'on vient pour briser la glace » raconte David en rigolant. C’est ainsi qu’aujourd’hui, durant le service, le couple, qui implique toute son équipe en présentant l’ensemble de ses membres dès la mise en bouche, peut se permettre d’accompagner les assiettes d’anecdotes rafraîchissantes loin du « name dropping » habituel. Côté cuisine le vent de fraîcheur se fait sentir, avec une proposition vivante et spontanée en perpétuelle évolution : le menu peut changer parfois 10 minutes à peine avant le service. « On n’a pas vraiment de limite. Évidemment on connaît les codes et les attentes de ce milieu, donc on sait comment structurer un menu et quels sont les marqueurs à respecter, après, ça peut partir à gauche ou à droite... » indique le couple. Mais cette liberté a une limite : la satisfaction des clients. Difficile d’avoir une affaire qui marche si les convives sortent de table mécontents. 

Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue
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Une étoile sur la route de la campagne
Parfois le couple avait du mal à accepter la pression et l'obligation de plaire. Mais l’expérience, sans doute, et surtout cette première étoile (ainsi que l’Etoile verte) qui tombent à l’occasion de la Cérémonie 2023 du Guide Rouge aident à l'acceptation. « La reconnaissance du travail bien fait, la validation d’un projet gastronomique naissant nous a libéré, on se pose moins de questions, même si c’était complètement inattendu » avoue Jeanne. Reconnaissance du travail dans l’assiette et de tout l’écosystème mis en place par le binôme mais également une incitation à s’approcher un peu plus de leur idéal : s’installer à la campagne. « Nous, on vient de la campagne, on est des « büres », des paysans comme on dit en alsacien. Un jour, on aura envie d’aller s’installer loin de la ville. Mais c’est vrai que dans un premier temps c’était plus rassurant pour nous d’ouvrir ici, à Strasbourg. ». Aucun manque d’ambition dans cette volonté, bien au contraire. Mais cette ambition passe pour le couple par un modèle moins énergivore et surtout une disponibilité intellectuelle plus grande pour faire de leur cuisine une « véritable expression de nous même ». « Je vise les 3 étoiles, un jour, mais je pense qu’on peut trouver un autre modèle que celui qu’on a mis en place ici. Le véritable objectif, ça serait que le restaurant ne dépende pas de notre présence, qu’on n'ait pas cette pression quotidienne de devoir tout gérer pour que ça fonctionne. On voudrait avoir un chef exécutif, un comptable, un attaché de presse, etc. pour pouvoir être 100% focus sur la création » détaille David sans trembler. Après tout, le couple peut légitimement rêver plus haut, plus fort, plus vite, mais toujours sans oublier que la véritable victoire s’obtient en passant la ligne, et non en franchissant en tête le premier kilomètre...

Crédit photo : Florian Domergue
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Hero image : Florian Domergue

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