Actualités 3 minutes 12 mai 2021

Top Chef 2021 : l'interview d'Anne-Sophie Pic

Réouverture des restaurants, présence des femmes dans la gastronomie, coups de cœur... Anne-Sophie Pic, cheffe du restaurant Pic (3 étoiles MICHELIN à Valence), a répondu à nos questions à l'occasion de son passage dans Top Chef 2021.

Est-ce que Top Chef est aujourd’hui un passage obligé ?
Je ne sais pas si c’est un passage obligé, mais il me semble normal de répondre positivement à une telle sollicitation : ces émissions sont souvent des tremplins pour les jeunes chefs. Et pour moi qui suis aussi dans la transmission, Top Chef m’offre un point de vue intéressant sur la jeune cuisine qui est en train de se construire. Moi qui parais toujours un peu stricte, probablement en raison de ma rigueur au travail, alors que je suis généreuse et ouverte [rires], j’espère qu’on verra à l’écran à quel point j’ai eu beaucoup de plaisir à tourner et combien j’ai apprécié cet échange.

En quoi consistait votre épreuve ?
Le cœur de l’épreuve reposait sur ma thématique d’aujourd’hui, l’imprégnation, cette cuisine à l’étouffée moderne, qui consiste à imprégner un produit ou un ingrédient avec un autre, tout en gardant la valeur intrinsèque du premier. Voilà le défi que j’ai lancé aux candidats ! Un challenge pas facile… Cette question de l’aromatisation pour compléter une saveur dans une assiette est un travail que j’ai entrepris il y a plusieurs années et que j’ai nommé, sans idée marketing préconçue, "imprégnation". Cette démarche est devenue une véritable philosophie dans mon établissement, nous en reparlerons. Pour revenir à Top Chef, j’ai présenté ma recette de noix de Saint-Jacques et truffes dans une noix de coco hermétiquement fermée, ce qui permet d’imprégner totalement le mollusque avec le parfum du fruit du cocotier.

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Quels sont les changements intervenus dans votre restaurant depuis un an ?
Parmi nos nombreux travaux, je veux surtout parler du jardin, sous-exploité, où l’on a introduit plus "d’expérience" pour le client, notamment grâce à un cheminement. Une table sera mise en valeur pour accueillir un rituel particulier. Un bar de mixologie et deux postes de mixologues ont été créés, ce qui nous tenait à cœur, mon mari et moi, ainsi qu’à Paz Levinson, ma chef sommelière exécutive. Côté offre gastronomique, je ne propose plus qu’un menu unique, même si ça été difficile pour moi d’abandonner certains plats historiques… À 50 ans, j’ai lâché la bride à mon intuition, j’ai voulu offrir à mes clients une expérience qui soit en phase avec ce que je suis aujourd’hui, mais aussi avec la culture gastronomique de mes collaborateurs. Pour moi, le restaurant doit être un lieu de culture. Le client, qui arrive avec la sienne, doit sortir de chez nous changé et différent. Côté pédagogie, je suis passé des explications exhaustives type fiche technique, au secret avec une liste d’ingrédients à la Prévert. Une surprise totale ! Renforcée par le travail sur les accords mets et boissons, et notamment les boissons sans alcool qui ont rencontré un succès incroyable : thés, cafés, clarifications, cocktails sans alcool, notamment grâce à cet outil, le Rotovap, qui permet d’évaporer une partie de l’alcool tout en gardant les fragrances. Toutes ces initiatives ont permis de renforcer notre identité.

L’imprégnation, disiez-vous au début de notre entretien, est devenue plus qu’une technique gastronomique…
Absolument. L’imprégnation est devenue la philosophie de la maison qui imprègne l’équipe, et tous les rapports entre les collaborateurs, qui m’a inspiré un décloisonnement total entre les métiers, entre la sommellerie et le service, la cuisine et la pâtisserie. On est tous ensemble et l’on crée une culture commune.

Vous êtes aujourd’hui la seule cheffe ayant 3 Étoiles au Guide Michelin en France. N'est-ce pas trop lourd à porter ?
Non, ça me rend joyeuse ! J’ai toujours considéré que la troisième étoile, c’était le commencement de quelque chose, à la fois un devoir de mémoire accompli par rapport à ma famille, mais aussi une légitimité, un accélérateur et une libération dans la tête. Aujourd’hui, la présence des femmes s’est terriblement accrue dans le monde de la gastronomie, une véritable mixité s’est instaurée. Je me sens moins seule, et notamment parce qu’il y a désormais plusieurs femmes cheffes triplement étoilées dans le monde.

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Pourquoi avoir recréé un poste de saucier il y a quelques années ?
Pour moi, la sauce demeure la signature d’un chef. C’est la pierre angulaire de la cuisine française. Elle a été longtemps célébrée avant d’être décriée comme "trop lourde, trop grasse" – et le monde de la sauce s’est transformé en no man’s land. J’ai souhaité, avec d’autres, me réapproprier ce patrimoine avec une vision différente. Le poste de saucier est chez moi le dernier poste de formation et c’est moi qui en assure la transmission : c’est un peu la récompense, avant d’aller voguer vers d’autres maisons [rires]. Le fameux Rotovap est au cœur de mes recherches.

Est-ce que vous pouvez partager avec nos lecteurs un ou plusieurs coups de cœur, pour un producteur, un vigneron, voire même un chef ?
Laurent Bourgeois est un producteur et collectionneur de plantes aromatiques, installé à Romans-sur-Isère dans la Drôme, que je visite en ce moment au moins une fois par semaine [rires]. Un ami avec lequel j’ai des échanges passionnants et qui me fait découvrir de belles choses. Pour rendre hommage aux femmes dans le vin et la sommellerie, Christine Vernay, du Domaine Vernay (qui produit des condrieu et des côtes-rôties), est une vigneronne exceptionnelle qui transmet en ce moment le flambeau reçu de son père à sa fille – encore une belle histoire de transmission. Enfin, pour terminer, je voudrais parler d’un chef belge, Sang Hoon Degeimbre, du restaurant L’Air du temps, pour lequel je nourris un véritable coup de cœur depuis plusieurs années, l’un des chefs dont je me sens le plus proche aujourd’hui. Si nous avons des cuisines très différentes, nous partageons le même état d’esprit, la même bienveillance.

Anne-Sophie Pic est la cheffe du restaurant Pic, 3-Étoiles à Valence.

Copyright photo © Jean-François Mallet

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