Reportages 4 minutes 22 avril 2025

La première cheffe sushi au monde à décrocher une Étoile officie… à Paris !

Chizuko Kimura, à la tête du comptoir japonais Sushi Shunei, à Montmartre, est devenue la première Cheffe sushi au monde à être distinguée par le Guide MICHELIN 2025. Derrière cette prestigieuse récompense, se cache une belle histoire de résilience, courage, et dépassement de soi.

Même au Japon, ce n’est pas (encore) arrivé : aucun sushiya – restaurant de sushis – dirigé par une femme n’avait jusqu’ici été récompensé d’une Étoile au Guide MICHELIN. Ouvert exclusivement au dîner, du mardi au samedi, Sushi Shunei, dans le quartier de Montmartre, est un écrin épuré tout en hinoki (cyprès nippon), co-créé avec goût par les agences Sala Hars et Vorbot. Magistral, le long comptoir s'étend sur 7 mètres de long. Et accueille chaque soir neuf convives, pas un de plus, dans la plus pure tradition du sushi edomae . 

Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45

Qu'est-ce que c'est les Edomae-zushi ?

Si vous êtes amateurs de restaurants japonais authentiques, vous connaissez sans doute l'histoire : les sushi à la mode d’Edo (Edo-mae) auraient été inventés au début du XIXe siècle dans les environs d’Edo (c’est-à-dire de l’actuelle baie de Tokyo) par un chef nommé Hanaya Yohei. A l’époque, les eaux très poissonneuses regorgent de congres, de crevettes-mantes (espèce à la chair sucrée comme celle du homard), de poulpes... Ou encore de coquillages akagai, également nommés « palourdes sanglantes » – les onéreux bivalves, au léger goût de crustacé, libérant quand ils s'ouvrent une eau rougeâtre.

La légende dit que Yohei aurait perfectionné les sushi existant jusqu’alors (des morceaux de poisson cru simplement posés sur du riz vinaigré) et innové avec du poisson poché ou mariné, étalé sur une boulette allongée de riz vinaigré. D'abord vendeur ambulant, le Maître aurait ensuite ouvert une échoppe où il confectionnait ces bijoux gustatifs sous les yeux de la clientèle.

Particularité ? Ces sushi sont servis badigeonnés d’une sauce appelée nikiri, appliquée au pinceau, mix de sauce soja et de mirin (saké doux) porté ensuite à ébullition. Cette sauce soja nikiri à la saveur sucrée, aux notes boisées de chicorée (ou pour certains d'arômes viandés) ne contient pas de sucre à proprement parler. Son rôle est d'atténuer le goût salé de la sauce soja. À noter : ces suhsi de maître sont faits pour être dégustés immédiatement après avoir été conçus. « L'ennui » nous explique la quinquagénaire, « c'est que certains clients laissent les sushi longtemps devant eux avant de les déguster. Or, au bout de quelques dizaines de secondes, le riz se désolidarise et sa température n’est plus optimale – il ne doit jamais être froid. Mais cela m’ennuie surtout pour eux, car ils en profitent moins ! » 

Restaurant Sushi Shunei (Paris) © 11h45
Restaurant Sushi Shunei (Paris) © 11h45

Un cas à part dans l'Histoire du Guide MICHELIN

Le parcours de Chizuko (et au-delà, de son défunt mari Shunei Kimura) est atypique, pour ne pas dire extraordinaire. À 55 ans, cette ex-guide touristique arrivée à Paris en 2008 change brutalement de cap, pour apprendre l’art du sushi japonais aux côtés de son époux. Biberonné à Hôtel du Nord et aux Enfants du Paradis, de Marcel Carné, ce chef francophile mordu de littérature et de cinéma français abritait pourtant derrière son sourire un triste secret.

« Tout est possible dans la vie, et pas seulement pour les femmes » assène cette battante. « Shunei a eu un cancer très grave en 2015, il a failli mourir. Il a décidé d’ouvrir Sushi Shunei en 2020, alors qu’il continuait les séances de chimiothérapie. L’ouverture du restaurant a eu lieu en 2021, avec un an de retard à cause du Covid. Il n’a jamais cessé d’y croire, et a fini par réaliser ses deux rêves : ouvrir un restaurant de Edomae-zushi à son nom à Paris et obtenir une Étoile MICHELIN ».

Sur son lit de mort, son mari lui demande de continuer. « Il ne voulait pas fermer le restaurant, alors je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre sa suite ». Problème et non des moindres : « Lorsque Shunei est décédé, je n’étais qu’au début de mon apprentissage », rappelle la cheffe. Au pays du Soleil-Levant, il faut en moyenne une dizaine d’années d'apprentissage pour confectionner des sushi, et une vingtaine d’années pour espérer être reconnu comme un grand maître en la matière.

C'est ce qui arrive à Shunei en 2022 : neuf mois à peine après l’ouverture, l'établissement décroche sa première Étoile. Un bonheur de courte durée, puisque le chef décède tragiquement trois mois plus tard, à l’âge de 65 ans. « Il ne s’est jamais plaint, et aucun de nos clients n’a remarqué qu’il était malade » se remémore Chizuko.



Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45


Recruter Takeshi Morooka, maître sushi émérite —ancien du très réputé Ginza Onodera, à Paris, aujourd'hui définitivement fermé —, lui permet « d'apprendre plus vite ». Chizuko met les bouchées doubles. Et fin mars 2025, grâce à son nouveau binôme, re-décroche le Graal. « Je voulais simplement honorer la promesse que j'avais faite à Shunei de travailler chaque jour pour rendre nos clients heureux », dit-elle. « C’était aussi pour moi une manière de ne pas le voir disparaître complètement, presque comme si en continuant ce restaurant, une partie de lui resterait en vie ».

Le chef Shunei et la cheffe Chizuko Kimura - Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
Le chef Shunei et la cheffe Chizuko Kimura - Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45

Une récompense émouvante et méritée

Quand on l’a appelée au micro, dans cette grande salle à Metz, le 31 mars dernier, pour lui remettre le prix, Chuziko Kimura a tremblé. « Je n’aurais jamais imaginé recevoir à nouveau cette Étoile après le décès de Shunei » nous confie-t-elle, un mois plus tard, derrière son élégant comptoir minimaliste parisien. « Au moment où ils ont prononcé le nom du restaurant, 'Sushi Shunei', ça a été un choc ». 

« Bien sûr, j’avais reçu une invitation pour me rendre à la
cérémonie du Guide MICHELIN, mais je n’étais pas sûre de récupérer l’Étoile obtenue à l’époque par mon mari. Vous savez, je ne suis pas du genre à me faire des films. J’attends de voir les choses se réaliser avant d’y croire »

« Tout au long de ces années , j'ai beaucoup douté »
, poursuit-elle, « j’ai parfois pensé que je n’arriverais jamais à récupérer l’Étoile de Shunei. Mais je suis quelqu’un de déterminée et j’ai continué à me lever chaque matin, et à travailler dur. Et ce n’est pas l’obtention de l’Étoile qui va changer cela ! » ajoute-t-elle. « Car je veux continuer à faire mieux ».  

Faire mieux : c’est l’obsession de cette travailleuse acharné. « Au-delà de l'Étoile, je veux pouvoir me dire que j'ai fait le maximum d'efforts pour offrir la meilleure expérience qui soit à nos clients –lesquels nous font confiance en choisissant de venir dans notre établissement. Je me dois chaque jour d’essayer de tout améliorer, que ce soit le lieu, la cuisine ou le service ».
Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45

Encourager les femmes dans la gastronomie

Chizuko a grandi à Odawara, dans la préfecture de Kanagawa, à deux heures environ de train de Tokyo. Pour autant, rien ne la prédestinait à embrasser une carrière dans la restauration. Celle qui s'intéressait « aux religions, mais aussi aux arts et cultures étrangers », rêvait de travailler en-dehors du Japon… Mais pas forcément en France. D’ailleurs, elle n'a découvert Montmartre qu’à l’âge adulte. « Plus jeune, pas un seul instant je n’ai envisagé de vivre à Paris, encore moins de devenir cheffe ici. Cela m'aurait semblé tout simplement impossible. »

Quelques jours après la cérémonie du Guide MICHELIN, plusieurs chaînes de télévision japonaises sont venues l’interviewer, dont Asahi TV et Fuji TV. « Ils étaient très surpris qu’une femme cheffe sushi puisse être étoilée bien sûr. Mais probablement encore plus par le fait qu’une femme ayant été guide touristique pendant une grande partie de sa vie ait pris la suite de son mari dans un restaurant ! » s'amuse la quinquagénaire.

Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
Restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45

Et de conclure, tel un cri du cœur : « Oui, il était probablement impensable qu’à la cinquantaine je commence une carrière de cheffe sushi, sans jamais avoir été en cuisine avant. Il était probablement impensable également que nous réussissions à récupérer l’Étoile deux ans après l’avoir perdue. Mais que ce soit pour Shunei ou pour moi, lorsque l’on est déterminé et que l’on travaille, tout est possible dans la vie ».

Une distinction qui pourrait ouvrir la voie. « J’espère que cela inspirera de nombreuses femmes, qu’elles soient déjà cheffes sushi ou qu’elles osent à peine en rêver, à croire que tout est possible » ajoute cette femme étonnante à la toute fin de notre échange.
 « J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs femmes cheffes sushi au Japon, notamment Mei Kougo du restaurant Sushi Meino, à Tokyo, qui est extrêmement talentueuse... ». 

Chizuko Kimura, restaurant Sushi Shunei (Paris) © 11h45
Chizuko Kimura, restaurant Sushi Shunei (Paris) © 11h45
restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45
restaurant Sushi Shunei (Paris) ©11h45

Photo de Une :  Chizuko Kimura, restaurant Sushi Shunei (Paris) © 11h45


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