Pouvez-vous nous raconter en quelques mots "votre" confinement ?
On s'attendait à la fermeture… On était en voyage en Bolivie, Corinne et moi, notamment pour donner des cours de cuisine, expliquer le fonctionnement de notre maison, parler de l'accueil, du travail en famille, etc. C'est donc là, à l'autre bout du monde, qu'on a appris la fermeture des restaurants. Le trafic aérien a aussi été gelé, on est restés bloqués six jours là-bas ! Puis à notre retour en France on a décidé de se confiner dans le restaurant, vu le travail de comptabilité, de contacts avec les banques, on avait largement de quoi s'occuper.
Rapidement, vous avez décidé de mettre en place de la vente à emporter.
Pâques approchait, on s'est dit : pourquoi ne pas proposer de l'agneau, tout simplement ? On a concocté un plat, on s'attendait à une trentaine de commandes, on en a eu 200. J'ai pris le parti de faire de jolis emballages, de mettre en avant le nom de nos producteurs, de soigner les intitulés. Je ne voulais pas qu'on mange notre cuisine dans des barquettes. On met le menu d'un côté, les consignes de préparation de l'autre, c'est une véritable cuisine en kit. Je tiens à garder une dimension soignée, "gastro", dans la vente à emporter.
Quels sont les retours de vos clients là-dessus ?
Depuis le début nous avons reçu plein de messages de remerciements, les gens nous ont envoyé les photos des plats avant dégustation, avec leur vaisselle, leur mobilier autour, ça nous a fait chaud au cœur ! On entre vraiment dans leur quotidien. Ça nous a encouragé à continuer. D'autant qu'en terme de chiffre d'affaires, ce n'est pas négligeable, ça nous permet de payer le loyer, d'amortir un peu les effets de la crise.
“Ce qui fait la différence, ce sont les sauces, les jus, la façon de travailler les produits... bref, tout le travail d'un chef”
Arrivez-vous à maintenir un niveau culinaire satisfaisant, dans vos plats à emporter ?
C'est une question importante. Impossible, évidemment, d'offrir la même prestation que dans le cadre de notre restaurant. Mais on peut faire beaucoup de choses. Ce qui fera la différence, ce sont les sauces, les jus, la façon de travailler les produits, bref, tout le travail d'un chef. Il faut faire du goût, simple, expliqué, ludique, donner l'impression au client qu'il a cuisiné lui-même un super plat.
En quoi est-ce que la vente à emporter change votre approche de cuisinier ?
Cela demande de l'adaptation. Par exemple, j'avais un gros point noir sur la cuisson du poisson, j'avais peur du résultat. J'ai décidé de le saisir à peine, de le refroidir et de le mettre sous vide. Le client doit juste suivre les consignes de réchauffage, puis l'accompagner de la sauce prévue. Les retours ont été excellents. En gros, j'essaie de retourner la réflexion. Je ne pars pas de mes envies de cuisinier, je pars de la situation du client, chez lui, avec le menu qu'il vient de récupérer. Comment doit-il faire ? Quel temps de réchauffage ? Quel dressage ? On utilise notre vaisselle ancienne comme support, j'ajoute en général le petit plus, brindille de thym ou autre, pour décorer le plat…
Y a-t-il une dimension "durable" dans ce domaine aussi ?
Oui, à plusieurs niveaux. On cherche à mettre en avant des produits locaux, avec le nom des producteurs indiqué dans le menu. On évite au maximum les emballages plastiques. Certains sont irremplaçables (je pense aux sacs sous vide) mais la plupart sont évitables.
Pensez-vous continuer la vente à emporter après la réouverture de votre restaurant ?
Je l'espère, mais ça dépendra de notre activité. Dans quelle mesure est-ce que les clients vont revenir au restaurant ? Est-ce qu'il y aura assez de travail pour tous mes salariés ? Si notre équipe est au complet, nous pourrons sûrement continuer la vente à emporter. On pourrait, chaque semaine, y assigner un certain stock de produits. Nous avons l'outil de travail pour le faire. Mais la situation est tellement incertaine… On va repartir de zéro, presque en mode "création d'entreprise", il faudra piloter notre activité au plus juste, jour après jour.
Guilhem Sevin est le chef du Restaurant Sevin, à Avignon.
Illustration : ©Restaurant SEVIN