Reportages 5 minutes 05 mai 2025

Mathilde Rœllinger, la passion des épices en héritage

C’est dans l’ombre que cette discrète esthète écrit ses symphonies aromatiques. Ancienne avocate spécialisée dans le marché de l’art, la Bretonne a tout quitté en 2018 pour reprendre la maison d’épices fondée par son père, le chef Olivier Rœllinger. De Cancale à São Tomé, interview sur ce métier méconnu qui fait tant rêver.

À la barre du Coquillage depuis 2014, son jeune frère Hugo Rœllinger vient de décrocher fin mars dernier le Graal suprême : une troisième Étoile — qui s’ajoute à une Étoile Verte déjà existante. Mais c’est à six petits kilomètres en voiture de là, à Cancale, dans une ancienne maison d’armateur du XVIIIème siècle, surnommée « le Bricourt » ou « Maison du Voyageur », qu’officie Mathilde Rœllinger... Quand elle ne sillonne pas les contrées lointaines, en Inde, à São Tomé ou au Mexique. Après huit années à exercer à Paris comme avocate spécialisée dans le marché de l’art, la Bretonne est revenue en 2018 dans la maison d’enfance aux murs chargés d’Histoire, qui accueillait jadis au rez-de-chaussée le restaurant gastronomique de ses parents.

Dans la bibliothèque familiale aux étagères remplies de vieux livres, son bureau tamisé en bois exotique fait penser à celui d’Indiana Jones. Fioles et flacons pharmaceutiques, mortiers, pilons, petits moulins à graines et à café, balance à thé, râpe, coupelles en bois remplies de poudres colorées… Mais alors qu’on la fantasme volontiers en chasseuse d’épices, la jeune femme se revendique plutôt « épicière ». C’est en tous cas ce métier que la Directrice des Épices Rœllinger a choisi d'inscrire sur son acte de mariage. Elle se sent également « proche d'une collectionneuse ou d'une galeriste  » : « Je vois les producteurs comme des artistes, et les épices comme leurs œuvres d’art » glisse-t-elle au détour de notre entretien. Mélanger ce qu'elle qualifie de « trésors comestibles » s'apparente au travail d'un compositeur de parfumerie. 

Sept ans déjà que la capitaine trace son propre sillage. Elle vient de publier un livre le 24 avril dernier aux éditions Ulmer, Boire les épices, qui invite à regarder ces dernières autrement : en les incorporant à des boissons, avec ou sans alcool. L’ouvrage fourmille d’astuces et de recettes accessibles à tous (voir à la fin de cet article la recette du Chai Latte frappé au lait d'amande).

À gauche : séchage de la vanille à São Tomé-et-Príncipe © Épices Roellinger. À droite : Mathilde Roellinger à sa table de travail à Cancale © Olivier Marie
À gauche : séchage de la vanille à São Tomé-et-Príncipe © Épices Roellinger. À droite : Mathilde Roellinger à sa table de travail à Cancale © Olivier Marie

Mathilde, comment êtes-vous tombée dans la marmite des épices ?


J’ai vécu une enfance particulière, unique : jusqu’à mes six ans nous vivions avec mon frère (le chef Hugo Rœllinger, NDLR) dans une vieille maison cancalaise du XVIIIème siècle, que mon grand-père médecin avait achetée en 1945. Au rez-de-chaussée, mon père Olivier a ouvert un restaurant gastronomique en 1982, qui très vite, en 1984, a décroché sa première Étoile, suivi d’une deuxième en 1988. Papa a fermé en 2008, deux ans après avoir décroché la troisième Étoile, et on a ouvert Le Coquillage non loin de là, à Saint-Méloir-des-Ondes. Il est d’ailleurs très fier aujourd’hui que mon frère suive son chemin.

Je me rappelle, avec Hugo, on se cachait dans les escaliers, pour observer le ballet des serveurs… Deux fois par jour, c’était pour nous la fête, midi et soir ! C’est dans cette maison d’enfance, pleine de souvenirs, de parfums, que j’ai aujourd’hui la chance de travailler, dans l’ancienne cuisine de mon père, transformée en laboratoire.

On peut donc dire que j’avais une sorte de prédisposition ! En plus, enfant, j’étais hypersensible aux odeurs. Je ressentais tout de façon intense. Je me souviens, il m’était impossible d’entrer dans une fromagerie par exemple.

Mes parents fermaient trois mois dans l’année, et en profitaient pour voyager loin. J’ai des souvenirs de marchés, d’aromates, de fruits, d’épices… Je me rappelle notamment de ce voyage dans l’île de Grenade dans les Caraïbes au sein d’une coopérative de noix de muscade qui sentait incroyablement bon. Je me suis créé sans m’en rendre compte une bibliothèque olfactive.

Finalement, qu’est-ce qu’une épice ? Est-ce forcément quelque chose d’épicé dans le sens « piquant » ou « puissant » ?


Non. Je dirais que c’est forcément quelque chose de végétal, une partie d’une plante : des graines —comme le cumin—, des baies —le poivre—, des fleurs —le bouton floral du clou de girofle—, des feuilles, des tiges, des racines, des rhizomes, des stigmates comme le safran, ou bien un morceau d’écorce, comme dans le cas de la cannelle…

Et ce végétal va servir à assaisonner, c'est-à-dire à donner du goût au plat. Car sa particularité, c’est qu’il va être naturellement parfumé. C’est-à-dire que d’emblée, il y a dans la végétal en question un arôme qu’on va pouvoir accentuer, via un travail de métamorphose de la matière première. En ce sens, même le cacao et le café rentrent pour moi dans la définition des épices, car ils donnent du goût à l’eau.

Après, certains scientifiques distinguent les aromates des épices, sous prétexte qu’ils contiennent une partie chlorophyllée, notamment dans les feuilles. Mais quand on pense aux feuilles de baies de Jamaïque, aux feuilles de curry, pour moi ce sont aussi des épices. 

Un plat signé Hugo Rœllinger : lamelles de maquereau sous le feu et Poudre à Braises (composition d'épices), vinaigrette cassis/agastache © archives Roellinger
Un plat signé Hugo Rœllinger : lamelles de maquereau sous le feu et Poudre à Braises (composition d'épices), vinaigrette cassis/agastache © archives Roellinger

On pense souvent que épices égal lointain, exotique… C’est vrai ?


Pas forcément en fait, c'est une vision réductrice. Le terme « épice » tire son origine du latin species (même étymologie que « espèce »), qui signifiait en bas latin « denrée » et désignait tout ce qui venait de la terre. Il n’y avait pas de notion de lointain, on incluait par exemple l’oignon ! Puis, fin XVème siècle avec Christophe Colomb —qui cherchait le poivre et découvre le piment—, s'est greffée dans l’imaginaire collectif cette notion de denrées lointaines et épicées. Progressivement, on passe de quelque chose de très ancré dans la terre, dans le terroir, à quelque chose d’exotique.

 Je ne prends pas en compte l’espace dans ma définition. Certaines de nos épices viennent de près, comme le safran ou l'ail noir de la baie du Mont Saint-Michel. Pour moi, dans ce métier il peut y avoir plusieurs cercles vertueux : des cercles vertueux avec l’ailleurs, des cercles vertueux locaux, à moins de 30 km de chez nous.



Comment concilier exotisme et locavorisme ? Respecter la planète en allant sourcer des épices aux quatre coins du globe ?


Même si elles viennent de loin, les épices pèsent peu, et prennent en réalité peu de place à transporter : une fois séchée, la plante perd 5 à 7 fois son volume d'eau. Et puis, c’est vraiment pour moi un petit luxe accessible et durable. J'aime bien dire que les épices sont des trésors comestibles, parce que c’est précieux, c’est quelque chose qu’on oublie dans un monde occidental d’abondance. Au quotidien, le épices, on n’en met pas tant que ça dans l'assiette. Un flacon à l’abri de la lumière dans un placard vous dure facilement six mois ou un an.

Mais bien sûr, je fais très attention à limiter mes déplacements. Je ne réalise que deux grands voyages par an, en essayant de rester à chaque fois deux semaines sur place. Je m'arrange pour ne commander qu'un contenair par an par pays producteur, les épices arrivent à plus de 80% par bateau... De plus en plus souvent à la voile, comme pour notre curcuma de Guadeloupe. Ce n'est vraiment lorsque je n'ai pas le choix que j'ai recours à un transport par avion.

Cueillette du poivre en Inde (à gauche) et de la vanille à São Tomé (Mathilde et l'artisan-producteur Arturo, à droite) © Épices Rœllinger
Cueillette du poivre en Inde (à gauche) et de la vanille à São Tomé (Mathilde et l'artisan-producteur Arturo, à droite) © Épices Rœllinger

Qu’est-ce qui fait la qualité d’une épice ?


Plusieurs critères qui vont interagir : un climat, une terre, la qualité de la plante, mais aussi la personne qui va la transformer… C’est comme la définition d’un grand vin. Concrètement, nous, nous avons un cahier des charges très exigeant : pas de pesticides, encourager la biodiversité, refuser les cultures intensives d’épices…

Je défends une philosophie de durabilité, à la fois écologique et humaine. Vous savez, je travaille avec des agriculteurs, qu’ils soient de France ou d’ailleurs, et partout je suis confrontée à cet enjeu de pérennisation des activités agricoles. Aujourd’hui je suis en contact avec environ 200 personnes. Le grand public n’imagine pas tout le travail qu’il y a en amont pour cultiver, sécher, moudre ces épices. Pour préserver ces métiers d’art, j’ai pour principe de ne jamais discuter le prix proposé — à partir du moment où il n’est pas déraisonnable. Mais la pénibilité du métier est telle que même en payant le prix qu’ils me demandent, en Inde, au Sri Lanka ou au Vietnam, dans vingt ans, je pense que ça risque d’être très difficile.

Mathilde Rœllinger et Beena Paladin Migotto, co-autrice de l'ouvrage Boire les Epices (2025) © Anne-Claire Héraud
Mathilde Rœllinger et Beena Paladin Migotto, co-autrice de l'ouvrage Boire les Epices (2025) © Anne-Claire Héraud

Couverture du livre "Boire les Epices" (éditions Ulmer) et Chai latte frappé au lait d’amande © Anne-Claire Héraud
Couverture du livre "Boire les Epices" (éditions Ulmer) et Chai latte frappé au lait d’amande © Anne-Claire Héraud

Chai latte frappé au lait d'amande


Les notes de ce mélange d'épices pour le thé en Inde avec une dominante de cardamome verte se retrouvent dans le sirop. Ce frappé réalisé à la minute rafraîchit avec gourmandise les chaudes après-midi.


Etape 1 - Réalisez au préalable votre sirop maison (5 min de préparation et 15 min de cuisson). Pour 25 cl de sirop au Chai Masala, il vous faut :

- 40 g de mélange Chai Masala by Beena (mélange d'Epices Rœllinger)
- 20 g de thé noir
- 250 g de sucre blanc
- 25 cl d'eau

Réunissez tous les ingrédients dans une casserole. Laissez cuire à feu doux pendant 15 min jusqu'à ce que le
sucre se dissolve. Coupez le feu et laissez dans la casserole jusqu'à refroidissement. Filtrez et gardez au réfrigérateur dans une petite bouteille fermée (le sirop se conserve pendant un mois).


Etape 2 - Réalisez ensuite votre frappé à la minute. Pour un verre de frappé :

- 3 cl de sirop de Chai Masala 
- 10 cl de lait d'amande
- Cacao en poudre
- 6 glaçons

Dans un blender, versez le sirop et le lait d'amande et ajoutez les glaçons. Mixez à peine une minute. Servez dans un verre, refroidi au préalable au congélateur. Saupoudrez le cacao à l'aide d'une passette. Servez dans un verre haut.

Variante: vous pouvez remplacer le lait d'amande par du lait de vache, et si vous souhaitez partager cette boisson avec des enfants, vous pouvez réaliser le sirop sans le thé.


Photo de Une : Mathilde Rœllinger © Anne-Claire Héraud

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