Née dans les années 1970, l’expression « cuisine fusion », à la mode jusque dans les années 1990 et 2000, est aujourd’hui quelque peu datée et galvaudée… Voire ringarde pour certains. Aujourd’hui, on parle davantage d’hybridations culinaires, ou tout simplement de cuisines métissées.
L’idée ? Un mélange harmonieux de cultures, façon symphonie, et non plus une simple juxtaposition de recettes hétéroclites. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la maîtrise des techniques et en l’espace de quasi six décennies, ce qu’on pourrait qualifier de « néofusion » a gagné en subtilité, précision et sincérité. Comment et pourquoi ? Parce qu’une nouvelle génération de chefs s’est tournée au début des années 2000 vers l’opposé de l’exotisme : le terroir et le locavore. Mais aussi parce que la mondialisation – désormais digérée – est intégrée naturellement par les chefs aux influences diverses, sans forcément revendiquer l’étiquette « fusion ».
Au-delà des cuisines fusion anciennes déjà connues, liées à des vagues d’immigration historiques – la cuisine Nikkei (fusion péruano-japonaise) ou la Chifa (péruano-chinoise), nées au Pérou au XIXe siècle – il s’agit de donner à voir ces nouveaux élans de créativité qui racontent le monde d’aujourd’hui. Très inventives, ces assiettes ont le goût du voyage. Découvrez de nouvelles cuisines d’auteur, hybrides, nourries d’influences diverses.

Hav & Mar : quand l’Éthiopie rencontre la Suède
New York, États-Unis
Au pays du melting-pot, le métissage culinaire est roi. En plein cœur du célèbre quartier artistique de Chelsea, ce restaurant ouvert uniquement le soir ne déroge pas à la règle. Grand bar central design, bois blond, cuisine ouverte… Sans oublier, au mur, ces sirènes noires et métisses, signées du talentueux Derrick Adams – artiste multidisciplinaire explorant l’identité et récits culturels de la black culture en Amérique. Marcus Samuelsson (d’origine suédoise) et la cheffe exécutive Fariyal Abdullahi (née en Ethiopie) œuvrent ensemble.
À leur carte, très branchée fruits de mer : une interprétation ludique et innovante des saveurs éthiopiennes et africaines, mâtinées çà et là de touches scandinaves. À l’instar de ce Swediopian : une tranche de saumon marinée au berbéré (mélange d'épices puissant et parfumé, incontournable de la cuisine éthiopienne et érythréenne), saupoudrée d’aneth, délicatement posée sur une lamelle de concombre enroulée sur elle-même.
« Je garde un excellent souvenir de leur plat de poulpe grillé : qualité, exécution et saveurs étaient irréprochables », se remémore notre Inspecteur. « Une assiette creuse avec, au centre, des haricots blancs ultra-crémeux mariés à de petits dés de carottes fondants et des morceaux de merguez. Par-dessus, un généreux tentacule grillé à la plancha, tendre, parfaitement doré. Quelques feuilles de chou kale frites, croustillantes à souhait, viennent apporter de la mâche, tandis que deux lamelles de poivron rouge rôti ajoutent une touche colorée, sucrée-acidulée. »
En bonus : le service aux petits soins, les cocktails pointus et la carte de vins mettant à l’honneur des cuvées de vigneronnes et des producteurs BIPOC (Black, Indigenous, and People of Color).
Où dormir à New York dans le quartier : Equinox Hotel Hudson Yards, Pendry Manhattan West, The Maritime Hotel.

Masala y Maíz : Afrique de l’Est, cuisine indienne et mexicaine
Mexico, Mexique
« Masala y Maíz n’est pas qu’un restaurant. C’est un manifeste culinaire, une table où l’Histoire se raconte bouchée après bouchée », affirment les chefs Norma Listman et Saqib Keval. Lui, né en Californie du Nord dans une famille kutchie, d'origine indienne, a grandi entre l’Éthiopie et le Kenya avant de s’installer aux États-Unis. Elle, originaire de Texcoco, près de Mexico, a déménagé dans la région de la baie de San Francisco pour travailler dans l’art. Ensemble, ils explorent les migrations culinaires entre l’Inde, l’Afrique de l’Est et le Mexique.
Leur cuisine est un dialogue entre ingrédients et techniques, fruit de longues années de recherche des recettes familiales. « Une cuisine sincère, originale et raffinée », selon l’Inspecteur. Par exemple, on trouve à la carte des tacos de maïs garnis de légumes épicés, masala et paneer (fromage indien). Ou une poitrine de porc cuite lentement avec chutney de mangue, un parfait mariage entre les techniques mexicaines et les saveurs indiennes.
« Nous avons également adoré ces deux gambas géantes de Veracruz, grillées entières, sucrées et très tendres, présentées avec un morceau de citron vert pressé et un beurre clarifié (ghee indien) aromatisé à la vanille et au chile morita (piment mexicain séché et fumé). Elles s’accompagnent de très délicates betteraves marinées. »
Le nom de leur restaurant résume leur philosophie : maíz, symbole de la cuisine mexicaine, et masala, mélange d’épices en hindi et ourdou.
Où dormir à Mexico : Downtown Mexico, Colima 71 Art Community Hotel, Círculo Mexicano.

Angelina, la fusion italo-japonaise qui dépote
Londres, Royaume-Uni
Londres est l’une des villes les plus multiculturelles au monde où des centaines de cuisines se rencontrent pour créer une scène gastronomique foisonnante (lire ici). En témoignent notamment les restaurants de haut niveau des chefs Endo Kazutoshi ou A. Wong.
À Dalston, quartier effervescent et cosmopolite au nord-est la capitale qui fourmille de restaurants turcs, kurdes, caribéens, africains, et asiatiques, Angelina, s’inscrit pleinement dans cette dynamique, prouvant que, lorsqu’elle est bien pensée, la fusion peut être une véritable célébration des saveurs du monde.
Ici, la cuisine italienne et la cuisine japonaise, issues de deux cultures a priori opposées, se marient avec audace et créativité. Le chef Usman Haider et son équipe orchestrent cette alchimie. Le menu suit une structure inspirée du kaiseki japonais (repas raffiné de la grande cuisine de Kyoto, composé de plusieurs petits plats à base de produits de saison), tout en intégrant des sections antipasti et pasta.
À ne pas rater ? Le fameux « ragoût de Wagyu, petits pois et crabe », mariage entre le bœuf emblématique du Japon et la grande tradition italienne des sauces mijotées ; ou encore la focaccia au romarin et au nori, qui ouvre le bal avec brio. Côté boissons, la carte navigue entre saké et grappa, rendant hommage à ces deux pays où l’art du bien boire est aussi raffiné que celui du bien manger.
Où dormir dans le quartier : Mama Shelter London - Shoreditch, Town Hall Hotel, Boundary Shoreditch.

MoSuke : quand l’Afrique de l’Ouest et le Japon épousent la cuisine française
Paris, France
Formé par Christophe Moret et Thierry Marx, le chef Mory Sacko s’inspire de son héritage ouest-africain, de son éducation française et de sa passion pour le Japon pour créer son univers culinaire. « C’est une cuisine qui n’existe nulle part ailleurs, parce qu’à travers elle, je raconte ma propre histoire », résume-t-il. Sa tenue de travail dit tout : le jeune homme a customisé la veste de cuisine blanche traditionnelle des chefs avec du tissu wax africain. Au lieu d’un double boutonnage classique, elle enveloppe son corps comme un kimono japonais.
Né en France d’un père d’origine malienne et d’une mère élevée au Sénégal, Mory Sacko a grandi en Seine-et-Marne, dans la banlieue parisienne. Si à la maison on cuisinait essentiellement des plats d’Afrique de l’Ouest, le jeune chef vouait une passion aux mangas japonais, fantasmant devant les bols de ramen et onigiris qu’il découvrait à la télévision.
Un multiculturalisme qui se retrouve dans l’assiette. Citons par exemple cette grosse langoustine normande cuite en deux temps (à la vapeur, puis à la flamme), laquée au piment, bien croquante, sertie d’une sauce éthiopienne atchu (mélange d'épices d'huile de palme et coing) et d’un coulis de piquillos.
Nos Inspecteurs se rappellent également d’un « petit filet de bœuf d'Aubrac, maturé dix jours dans du beurre de karité, grillé au Binchotan, flanqué d’une sauce mafé (aux cacahuètes), entouré de tamarin, relevé de togarashi shichimi – épices japonaises aux saveurs d'agrumes – et servi avec une purée de carottes au gingembre, relevée d'un gel de piment. Assurément un des plats phares du chef. »
À découvrir : notre guide de voyage Paris.
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Kozeen Shiwan : un show culinaire entre l’Irak, la Turquie et la Finlande
Helsinki, Finlande
Helsinki dispose d'une scène gastronomique principalement finlandaise, ce qui est probablement dû au fait que seulement un habitant sur dix serait né hors du pays. Ce n’est pas le cas de Kozeen Shiwan, un chef né à Suleymaniah, au Kurdistan irakien. Après avoir fui en Turquie avec sa famille, il s’est installé en Finlande, où il est devenu un véritable phénomène.
Connu pour son style extravagant – cheveux tantôt teints en rose, tantôt décolorés en blond, dents en or façon grillz de rappeurs, perles autour du cou… – ce féru de musique, d’art et de mode, fait vibrer la capitale. Son restaurant Étoilé, au concept théâtral, se concentre autour d’un comptoir en marbre de 14 places où les convives assistent à la préparation de chaque plat.
Inspiré par son histoire personnelle, le menu porte des noms évocateurs comme Made in Suleymaniah, une olive verte fumée sur des bâtons de cannelle et farcie de caillé de chèvre crémeux, posée sur un cracker croquant. Ou Safe in Turkiye, une pide (pizza turque) aux épices du Moyen-Orient et abricots, accompagnée d’une mayonnaise à la cardamome. Ou encore, Coming to Finland : un tartare de poisson blanc alliant cardamome, citron vert carbonisé au chalumeau et mousseuse sauce au yaourt, entre labneh libanais et ayran turc.
De l’avis de notre Inspecteur, « Une cuisine audacieuse, d’une grande finesse, sublimant le végétal. ». Et surtout un festival des saveurs, à l’instar de ce mahshi, plat de légumes farcis, populaire dans tout le bassin méditerranéen : « pas moins de 17 ingrédients dans la sauce seule et plus de 35 pour le plat ! »
Où dormir à Helsinki : Hotel Kämp, Hotel Haven, Hotel Fabian.

Koan : cuisine scandinavo-coréenne sophistiquée
Copenhague, Danemark
À quelques centaines de mètres de la réplique de la petite sirène, sur le quai où les énormes paquebots déversent leur flot de touristes, une entrée discrète mène à un ancien entrepôt en pierre, transformé en un espace lumineux, contemporain et zen. Cuisine ouverte, bois clair, d’inspiration asiatique… Bienvenue chez Koan, aux mains du chef Kristian Baumann, superbe restaurant deux-Étoiles au Guide MICHELIN.
Copenhague est caractérisé par une scène gastronomique ultradynamique qui a attiré l’attention internationale notamment grâce au Noma, établissement par lequel le chef Baumann est d’ailleurs passé.
Ici la sélection du Guide MICHELIN est impressionnante, avec plusieurs restaurants trois-Étoiles, deux-Étoiles, sans oublier une multitude de restaurants une-Étoile et de Bib Gourmand, présentant des cuisines variées – italienne, thaïlandaise, japonaise, mexicaine, française, végétarienne et danoise.
Mais chez Koan, l’esprit est celui de l’intégration, plus que de la compartimentation. L’élégant restaurant combine l’esthétique coréenne et l’approche nordique des produits d’une manière très personnelle, puisant dans l’héritage du chef né en Corée.
Parmi les nombreux plats métissés et raffinés du menu dégustation (jusqu’à 17 dégustés par nos Inspecteurs) citons « cette sphère parfaite de la taille d'une balle de ping-pong, composée de tofu soyeux aux pignons de pin, de fraises rouges préservées (douces et sucrées), et de chair de langoustine norvégienne râpée, le tout roulé dans du caviar osciètre pour une touche saline, et agrémenté d’une baie de goji. Salé, sucré, soyeux… Un délice aussi surprenant que savoureux ».
Où dormir à proximité : 25hours Hotel Paper Island, d'Angleterre, Copenhagen, Hotel Sanders.

La Sartén : cuisine jonglant entre Espagne, Inde et Asie
Madrid (Tres Cantos), Espagne
Réputée pour sa cuisine traditionnelle et régionale, l'Espagne s'est progressivement ouverte aux métissages culinaires. À partir des années 1980-1990, des chefs comme Ferran Adrià avec le fameux restaurant El Bulli ont popularisé des techniques modernes et expérimentales, mêlées à des influences internationales.
Cette dynamique se poursuit aujourd’hui avec une nouvelle génération de restaurants, comme le nippon-basque Asiakō, à Madrid. Ou Hiu, proche de Tarragone (Catalogne) qui fusionne des saveurs thaïlandaises, indiennes et japonaises avec des ingrédients locaux.
Mais c’est la jeune cheffe Elena Garcí, aux manettes de La Sartén, dans la banlieue nord de Madrid, qui a retenu ici notre attention. À 25 minutes en voiture de la capitale, ce Bib Gourmand associe « sans complexe » (dixit la cheffe) cuisine espagnole, indienne, thaï, coréenne, japonaise…
Le coup de cœur de l’Inspecteur ? Parmi les petites assiettes à partager « ce ramen composé de moules à la vapeur, baignant dans une crème de curry vert doux, avec nouilles, oignon rouge, coriandre et algues nori croquantes – délicieuse fusion entre la Galice et les saveurs asiatiques. »
On peut également souligner la créativité de ces gyozas fourrés de côtes de porc cuites à basse température, relevés d’une sauce barbecue japonaise et d’une réduction de sauce à l'anguille et chocolat. Ou ces baozi, brioches vapeur farcies à la queue de taureau, feuilles de menthe, coriandre, oignon rouge mariné et sauce guasacaca vénézuélienne… Technique !
Nos reco d'hôtels à Madrid et à proximité : Eurostars Madrid Tower, NH Collection Madrid Eurobuilding, NH Collection Madrid Abascal.

TOKi : quand les cuisines de Nara et de Tokyo fusionnent avec l’Espagne
Tokyo, Japon
Le Japon a une longue tradition d'adaptation des plats étrangers qu'il réinvente en les intégrant totalement à sa propre culture culinaire, tout en respectant ses exigences de qualité et d'équilibre des saveurs. Le terme yoshoku (洋食) désigne les plats d’inspiration occidentale adaptés aux goûts japonais, comme l’omurice (omelette-riz), le katsu curry (tonkatsu avec curry japonais) ou le hambagu (steak haché à la japonaise).
TOKi, restaurant une-Étoile au Guide MICHELIN, marie habilement trois cuisines : tokyoïte, Nara traditionnelle (l'une des plus anciennes du pays) et espagnole contemporaine. Le chef Yutaka Hasegawa, propose un menu dégustation qui suit les saisons, avec des plats comme Primavera (« printemps »), associant bonite crue, salade de pomme de terre et sauce aux pois mange-tout.
On peut aussi citer aussi ce Bacalao pilpil Yuzaki Nebuka, un plat de morue confite et cuite à l’huile à basse température, accompagné d’une sauce pilpil légère. « Le Yuzaki Nebuka, légume traditionnel, est ici légèrement cuit, de façon à faire ressortir toute sa douceur et délicatesse.»
Le dessert, une tarte de Santiago – spécialité de Galice – aux châtaignes de Nara, combine pâte d'amandes, mousse de réglisse, glace au caramel et châtaignes en deux textures « entières et râpées en poudre ».
Où dormir dans le quartier : Kyo no Ondokoro Kamanza Nijo #2.

Fuego : tapas novatrices hispano-japonaises
Bangkok Thaïlande
Un restaurant ultradesign, avec cuisine ouverte et bar en forme de U. « Bien qu'il soit espagnol, le chef Roger Solé s'amuse à fusionner ses racines culturelles à celles de la gastronomie japonaise – il a travaillé au préalable dans plusieurs restaurants japonais », explique l’Inspectrice locale.
Résultat ? Une flopée de plats créatifs réalisés avec des ingrédients de qualité et préparés selon des techniques culinaires espagnoles et japonaises. À ne pas rater : la paella, cuite al dente, parfaitement assaisonnée, avec du poisson buri (sériole du Japon) grillé à point. La chair est ferme, fraîche et a une saveur sucrée et juteuse, qui se marie bien avec le riz.
Et pour le dessert : un cheesecake au miso blanc importé du Soleil-Levant, mœlleux à cœur, le goût salé et l'arôme du miso se mariant avec la recette spéciale de fromage à la crème du chef. Il est servi avec une chantilly fouettée, subtilement aromatisée au Baileys, légèrement sucrée et crémeuse. Les accords à base de whisky japonais et saké sont remarquables.
Où dormir à proximité : MUU Bangkok Hotel - Small Luxury Hotels of the World, 137 Pillars Residences Bangkok, 137 Pillars Suites Bangkok.
Image principale : La cuisine scandinavo-coréenne sophistiquée de Koan © Neve Qaraday /Koan