Meilleur ouvrier de France 1996, Président des Maîtres Cuisiniers de France depuis 2011, Christian Têtedoie est un personnage du paysage gastronomique lyonnais qui ne s’endort jamais sur ses lauriers et qui a pris à bras le corps la problématique de la gastronomie durable : "Il y a urgence à changer nos façons de travailler et à se recentrer sur l’essentiel. Nous sommes nombreux à être engagés mais il y a encore beaucoup à faire." Une partie de sa prise de conscience remonte à la naissance de sa petite-fille : "Je me suis beaucoup inquiété et je m’inquiète encore de l’avenir de nos enfants et petits-enfants sur le plan nutritionnel, les problèmes endocriniens, la qualité de l’air et tant de problèmes. Je veux pouvoir me regarder dans une glace demain et me dire que j’ai un peu contribué, à mon humble niveau à changer les choses." Sa contribution, c’est dans son restaurant gastronomique qu’elle a été mise en œuvre puis au Bistrot Têtedoie et au Rooftop Têtedoie, à commencer par la création d’une application "mesproducteursmescuisiniers". "Elle permet de mettre en relation les producteurs engagés dans le bio avec les chefs de cuisine, mais aussi le grand public. Avec les producteurs, notamment les maraîchers, nous mettons en place des plans de culture en fonction de nos attentes dans un rayon, en ce qui me concerne, de 20 à 25 km de Lyon."
Cette application a permis de recréer du lien entre les producteurs et les chefs (ils sont une quinzaine) et de rétablir de la confiance car le paiement se fait à la commande. En parallèle, Christian Têtedoie a mis les bouchées doubles sur le recyclage de toutes les matières (carton, plastique, polystyrène, bois…) et s’appuie sur Les Alchimistes pour le tri, la collecte et la valorisation des déchets alimentaires. "Je préfère cette solution plutôt que de produire mon propre compost qui ne serait pas considéré comme bio alors que j’aurais été censé le redonner à mes maraîchers qui eux travaillent en bio." Au lieu de cela, c’est en méthane que les déchets sont transformés. Christian n’est pas peu fier non plus de rouler prochainement en voiture à hydrogène dont le moteur présente de gros avantages sur le moteur à essence. Il est également ravi d’utiliser désormais des services en porcelaine recyclée : "Toutes les chutes pour la fabrication d’une assiette n’étaient pas valorisées. Aujourd’hui, elles le sont et permettent de créer des services entiers. C’est peut être moins prestigieux mais c’est plus écologique." Des idées, Christian Têtedoie en a encore beaucoup et la pandémie que la restauration a traversé l’oblige à faire toujours encore plus, encore mieux.
“Les chefs ont un rôle à jouer dans l'éducation environnementale de la jeune génération”
Vous avez pour projet d’ouvrir un CFA Gastronomie au château de Lacroix-Laval. La gastronomie durable sera-t-elle au programme ?
Ce serait une faute de goût de ne pas intégrer la problématique écologique dans la formation. Dans mes équipes aujourd’hui, j’ai deux générations, celle de mon chef et de ses adjoints qui sont sensibles aux problèmes écologiques et qui suivent mes engagements et les plus jeunes que je ne trouve pas assez sensibilisés. Ils comprennent et globalement adhèrent à ce que nous mettons en place mais ils n’ont pas le bagage de connaissances, or c’est à l’école de le leur apporter. Dans ce CFA, notre rôle sera de leur faire comprendre l’importance du végétal, de réduire le gaspillage alimentaire et bien d’autres sujets. Mais c’est aussi aux chefs qui les reçoivent de prendre la parole. Ils ont un rôle à jouer dans l’éducation environnementale de cette future génération.
Au sein de l’association des Maîtres Cuisiniers de France que vous présidez, est-ce que la gastronomie durable est un sujet que vous abordez ?
Ce n’est pas à l’association de donner des directives ou d’établir des chartes mais elle peut sensibiliser ses membres à travers des discours. L’ADN de cette association, c’est la transmission des savoirs et le rayonnement de la cuisine française. La gastronomie durable est dans tous les esprits et ce quel que soit le niveau du chef. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. Certains font un peu, d’autres beaucoup mais ce qui compte c’est d’effacer ces décennies de laxisme où tout est allé trop vite et pendant lesquelles nous nous sommes laissés débordés. Aujourd’hui, c’est une question de rééquilibrage et de bon sens.
La pandémie vous a-t-elle contraint à revoir votre façon de composer vos menus ?
Le menu "Retour du Jardin" a pris son envol entre les deux confinements et il est très demandé, même par les viandards, on va donc le faire vivre d’avantage notamment au Bistrot et au Rooftop. Plus généralement, on va réduire la voilure sur le nombre de propositions mais l’avantage, c’est que tout s’explique auprès de la clientèle qui est devenue plus à cheval sur les provenances, le bio. Si on leur explique pourquoi tel produit ou tel plat n’est plus proposé, momentanément ou définitivement, et que nos arguments vont dans le sens de leur état d’esprit, il n’y aura pas de souci à se faire. La pandémie a obligé les chefs à repenser leur façon de cuisiner, de proposer mais les clients aussi ont grandi et expriment de nouvelles attentes.
Christian Têtedoie est le chef du restaurant Têtedoie, à Lyon.
Illustration de l'article : ©Dado Lopez Perez