Tout d’abord, qu’est-ce qu’un agrume ?
C’est un fruit qui se pèle et se divise en quartiers. La plupart des agrumes sont originaires des régions tropicales de l’Inde, de l’Asie et des archipels océaniens : seul le pomelo provient d’Amérique centrale. Aujourd’hui, les agrumes sont cultivés dans toutes les régions chaudes du globe… même en Suisse, j’en suis la preuve vivante ! Bien entendu, cultiver des agrumes en dehors du pourtour méditerranéen requiert un peu de technicité. Après une phase d’acclimatation, nos fruitiers sont cultivés et conservés dans des serres très peu chauffées.
Racontez-nous les origines de votre passion : comment devient-on Niels Rodin ?
Presque par hasard… Il y a cinq ans, j’ai entamé ma troisième vie professionnelle. J’ai commencé comme ingénieur textile, j’avais vingt ans, je voyageais partout dans le monde. Après une déception professionnelle, j’intègre un family office à Lugano, pour y apprendre les métiers de la fiscalité et de la finance. Je débute au bas de l’échelle, clerc de bureau, à servir le café et je finis directeur d’une banque allemande à Genève. Le soir venu, je me transforme en jardinier. J’ai toujours cultivé des plantes en amateur sur mon balcon. C’était un hobby, ça devient une obsession. J’achète des arbustes qui finissent par devenir des arbres. Quand l’hiver survient et que certains meurent, je comprends qu’il faut que je m’agrandisse.“Pour la première fois, je goûte au fruit de mon travail ”
Peut-on dire que sans le yuzu, vous seriez encore banquier ?
Il y a de fortes chances. La découverte du Yuzu, le citron du Japon, bouleverse ma vie. Qui aurait pu croire qu’un si petit agrume aurait une telle influence sur mon existence ? Dès le moment où j’en plante un dans mon jardin à Gand, tout bascule : les agrumes deviennent ma prédilection. Je me trompe, je recommence, J’apprends la façon dont fonctionne un porte-greffe, l’art de l’hybridation… J’ai trente-trois ans en 2008 lors de la crise financière. Et je commence à me poser de bonnes questions : combien dois-je vendre de yuzu pour payer mon loyer ? Je continue quelques années ma double vie, banquier le jour, agrumiculteur la nuit et le week-end. En 2014, un premier article paraît. J’y vois un signe. Après dix-sept ans dans la banque, je quitte tout pour vivre ma passion, même si je sais que je ne peux pas en vivre. Mais pour la première fois, je goûte littéralement au fruit de son travail.
En 2015, soit un an plus tard, c’est la rencontre avec le chef du Clos des Sens, Laurent Petit.
J’ai eu une chance inouïe. A l’époque, je ne possède qu’une petite serre de 300 mètres carrés. Martine et Laurent Petit, adorables, ont entendu parler de moi. On se promène entre les plantes, une espèce de connexion s’établit, faite d’humilité et de respect mutuel. On passe deux heures extraordinaires et Laurent me quitte sur une proposition qui ne se refuse pas : "À mon tour maintenant de vous faire découvrir mon monde". Lorsque je me rends au Clos des Sens, à Annecy, son pâtissier travaille mon citron noir d’Iran, d’abord mis en saumure puis fumé. Il le réduit en poudre, comme une poudre de charbon et l’associe à une glace à la tomme fraîche. Une tuerie.
“Mon petit protégé, c'est le citron caviar, l'agrume noble par excellence. ”
Aujourd’hui, dans vos serres de Borex, vous cultivez 1500 plantes et plus de 150 espèces. Quel destin depuis votre balcon arboré !
J’ai eu la chance de rencontrer un horticulteur lassé de cultiver des fleurs et qui me loue son terrain. Aujourd’hui, je travaille sur un hectare et demi, dont 3600 mètres carrés consacrés aux agrumes. Le reste est occupé par mes vergers fruitiers à pépins, à noyaux, à petits fruits... J’aime aussi les baies, le gingembre, le curcuma. Plus de 200 sortes de végétaux croissent en extérieur. J’ai aussi planté de la mangue rustique, des abricots d’Azerbaïdjan, du poivre du Sichuan. A juste énoncer leur nom suffit, je voyage déjà… Actuellement, c’est la saison des fruits d’hiver comme le combawa, celle du yuzu - qu’on commence hélas à trouver sur toutes les tables des restaurants. On arrive à la toute fin du citron caviar, qui est mon petit protégé. C’est un agrume qui reste noble, un produit de luxe pas versatile puisqu’il ne se consomme que cru, en petites billes sur des Saint-Jacques, par exemple. Le citron caviar est originaire d’Australie, mais le Guatemala, qui fait un travail formidable, est devenu le premier producteur mondial. Sinon, on commence la saison du cédrat. Il y des agrumes toute l’année, c’est ça qui est formidable.
On sait qu’Anne-Sophie Pic raffole de vos créations. Un souvenir particulier d’un chef qui a encensé vos agrumes ?
J’ai une affection particulière pour le cynorhodon noir, un rosier botanique cultivé en Iran. Je me souviens que Thibault, chef pâtissier d’Anne-Sophie Pic (Beau Rivage), l’avait travaillé en gelée pour l’associer à du chocolat noir. Sinon, le travail le plus impressionnant a été réalisé par Stéphan Perrotte, MOF confiture : les baies du cynorhodon ont été étêtées, équeutées manuellement, macérées, le tout a été cuit pour réduire le fruit, avant d’être passé au moulin à légume pour retenir les grains et cuit avec du sucre. Le résultat : une confiture épaisse, souple, noire, subtile. Et derrière, un travail titanesque, exceptionnel, une véritable orfèvrerie.Pour tout achat, livraison ou liste des primeurs qui proposent des produits de Niels Rodin : info@nielsrodin.com et https://nielsrodin.com.
Illustration de l'article : ©Philip Frowein