Reportages 5 minutes 07 mars 2025

Émilie (Gerardi) à Paris : la jeune cheffe pâtissière qui monte

Oubliez Emily in Paris, découvrez Émilie Gerardi ! La cheffe pâtissière du restaurant doublement Étoilé David Toutain a un dynamisme absolument contagieux. Découvrez cette personnalité affirmée, qui n'hésite pas à casser les codes de la pâtisserie et partager une approche créative et iconoclaste de son art.

Une grand-mère italienne restauratrice, une grande-tante boulangère de Paul Bocuse... Le destin d'Émilie semblait tout tracé ! La jeune femme débute sa carrière de pâtissière en Angleterre, rentre en France pour passer une certification en pâtisserie et commence à signer ses créations empreintes d'une identité singulière.

Sa pâtisserie, très cuisinée, avec un réel équilibre sucré/salé, lui permet de rejoindre la brigade de David Toutain, puis le Novotel Paris les Halles en 2022 en tant que Cheffe pâtissière au sein du restaurant le Jardin Privé. Son objectif ? Casser les codes du Tea Time. Bingo ! Ses associations non-conventionnelles aux saveurs tranchées, ses créations très végétales font mouche. Quelques mois plus tard, la voilà qui revient à sa maison de coeur, le restaurant David Toutain, 2-Étoiles au Guide MICHELIN, où elle prend la place de cheffe pâtissière. 


Quel est le goût de votre enfance ?

Je suis Lyonnaise, d'origine italienne par mon père. Mes grand-parents avaient lancé deux cafés-bars restaurants que je n'ai pas connu car ils ont été vendus juste après ma naissance. En revanche, ma grande-tante maternelle (qui était aussi ma marraine) était pâtissière-boulangère pour Paul Bocuse pendant plusieurs années. J'ai vraiment grandi dans cette boulangerie, je me rappelle notamment de grands repas de famille qu'on faisait dans le labo au sous-sol. On fermait la boutique, les enfants se ruaient sur les gâteaux, ça sentait bon le chocolat... C'était assez magique !

La fraise par Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain
La fraise par Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain
“A la base, je suis très salé. Je ne mangeais pas spécialement de dessert — aujourd'hui encore, je ne suis pas une grande fan de dessert”
Émilie Gerardi chez David Toutain ©Thai Toutain
Émilie Gerardi chez David Toutain ©Thai Toutain

Comment êtes-vous venue à la pâtisserie ? 

À l'origine, j'ai fait un bac pro cuisine dans un lycée du Beaujolais. Je n'avais pas spécialement d'attrait pour la pâtisserie ! A la base, je suis très salé. Je ne mangeais pas spécialement de dessert — aujourd'hui encore, je ne suis pas une grande fan de dessert ! 

Grâce à un programme Erasmus, bac en poche, je pars avec un copain de classe en Angleterre pour un an. On atterrit à Felixstowe, l'un des trois premiers ports d'Angleterre avec Southampton et Tilbury, à 1h30 de Londres. Je débarque dans une brasserie anglaise. Plus de place en cuisine !  Il ne reste que la pâtisserie. Puis, pile quand j'arrive, le chef se casse une jambe !

Je me retrouve à gérer toute la pâtisserie, car les Anglais se disent : certes elle n'a que dix-huit ans, elle sort juste du lycée, mais elle est Française. Donc elle connaît la pâtisserie française. Je me lance, pas le choix, je propose des choux abricot/romarin —pour nous super classique, pour eux un truc de fou ! Je décide de ne faire ni cheesecake ni muffin, mais des choses dont ils n'avaient pas l'habitude, comme du riz au lait citron vert/lait coco. Et ça marche ! Ils me font confiance, me laissent faire tout ce que je veux.

Vous entrez à l'institut Paul Bocuse, mais ça ne se passe pas comme vous l'imaginiez ?

En 2019, de retour en France, je me rends aux portes ouvertes de l'institut Bocuse. Là, on me met sur les rails d'une spécialisation en pâtisserie, un Master, en m'expliquant qu'il faut normalement au préalable un diplôme de CAP en pâtisserie, mais que vu que j'ai une expérience d'un an en pâtisserie dans un restaurant, je peux m'inscrire quand même.

Ravie, je rejoins la spécialisation pâtisserie, on était peu nombreux, six ou sept. Mais je me retrouve avec des pâtissiers qui avaient déjà tous un vrai niveau —qui connaissaient le vocabulaire technique, avaient déjà tablé du chocolat, monté des entremets, appris la pâtisserie de boutique... Moi, pas ! J'avais dix-neuf ans, les autres approchaient la trentaine... Je passe une année terrible. Je ne montrais rien, mais rentrais chez moi et m'effondrais. Je bosse comme une folle pour rattraper mon retard. C'était très dur. Mais je m'accroche, j'obtiens mon Master au rattrapage. Franchement, ça m'a appris l'humilité. Et aussi, qu'il n'y a pas que des parcours idylliques !

David Toutain et Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain
David Toutain et Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain

Ensuite, c'est la rencontre avec David Toutain ? 

Pas tout de suite. En 2020 c'est la crise du Covid, impossible de trouver du boulot. Je finis par décrocher un poste à l'Abbaye des Vaux-Cernay, à moins un peu moins d'une heure de Paris. J'apprends la rigueur, à respecter leur cahier des charges très exigeant : pas de fleurs, pas d'agrumes... Puis en mai 2021, effectivement, j'arrive chez David Toutain, établissement deux-Étoiles, d'abord en tant que cheffe de partie. Le restaurant rouvre post-Covid. Je m'entends super bien avec le chef, qui a une forte personnalité. En revanche, le courant passe moins entre lui et la cheffe pâtissière, ils n'ont pas la même vision quant aux desserts, ce qui peut arriver. Un jour, je propose un pré-dessert, une rhubarbe pochée dans une lacto-fermentation de fraises et piment, granité de lacto-fermentation, huile de laurier. Il adore. J'attire son attention.

Du coup, il ne passe plus que par moi pour donner ses ordres ! Je me retrouve dans une position délicate, à vingt-et-un ans, en compétition avec la cheffe pâtissière. Elle refuse de créer les desserts, donc je m'y mets. Puis elle part au bout de trois mois. Le chef me dit « écoute j'ai envie de te donner ta chance même si tu es très jeune ». Je reste un an et demi, à essayer de le connaître lui, sa cuisine. Il n'aime pas le chocolat ? Parfait, c'est pas mon truc non plus. Je découvre la lacto-fermentation, la cuisine du Noma...
C'est une période de créativité intense. Je découvre un univers d'excellence, méconnu. Tous les aromates viennent du jardin du chef. Et puis le luxe, quand on travaille dans un restaurant Étoilé, c’est de pouvoir avoir accès à la plus belle qualité de produits. Je reste deux ans chez lui, puis j’arrive à un stade où je pense avoir trouvé mon identité, mais j'ai le sentiment de plafonner un peu.

Dessert Vanille - Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain
Dessert Vanille - Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain

On vous dit différente, iconoclaste. Fin 2022, vous cassez les codes du Tea Time au Novotel des Halles ?

J'avais repéré une annonce. Le Novotel Paris Les Halles cherchait un chef pour son T'Time du Jardin Privé. Je décroche un entretien avec la directrice de l'hôtel. Ophélie Malherbe m'impressionne, me déconcerte. J'arrive à l'entretien, déjà elle s'écrie : « Houla ! Je ne vous imaginais pas du tout comme ça ! » Faut dire que sur ma photo de CV, j’étais avec des lunettes, une toque, très classique. Et là, elle me voit arriver, piercing dans le nez, les deux bras tatoués... (Rires). J'étais venue avec un cahier dans lequel j'avais dessiné tout un tas de pâtisseries que j'imaginais pour eux. Je lui parle d'introduire des légumes en dessert, elle s'offusque : « Mais jamais de la vie ! Les légumes, c’est en plat ! » À la réflexion je pense qu'elle me testait. Elle me propose de faire un test, je me dis : « je m’en fous, je vais lui mettre un légume en dessert ! » Et je lui propose un dessert à l’assiette tout sauf
'plan-plan' : café, oignon et châtaigne. Je fais des tubes d’oignons en opaline, un truc un peu poussé... Et je me dis : « c’est quitte ou double ». J'avais vraiment envie de sortir des classiques qu’on a l’habitude de voir dans les palaces, ces tables drapées, le service parfois obséquieux... Et je suis prise ! 

Quelles étaient vos créations les plus singulières ?

Le churros caramel topinambour ! Ou encore cette tarte bavaroise au citron, avec en-dessous un tartare de salicorne et feuille d'huître, très iodé en bouche, déposé sur une petite tartelette avec une feuille d’huître en rappel sur le dessus... On appelait ça « les herbiers », c'était frais, très herbacé, ils n'avaient jamais vu ça ! Je décide du coup de supprimer le classique service sur trépied en métal, et propose un menu dégustation qui arrive en plusieurs fois.

Finalement, à la rentrée 2023, vous décidez de retourner chez votre mentor ?

Oui. Je suis restée dix mois au Novotel, c’était chouette, mais la haute gastronomie Étoilée me manquait vraiment. A l'hôtel, il fallait aussi gérer toute la brasserie, mais c'est une offre qui, personnellement, ne m’intéressait pas trop. Je n’étais pas forte pour monter des entremets, pour produire à gros volume :  le restaurant David Toutain, c’était 40 couverts midi, 40 le soir. Et puis il y avait des coûts à respecter qui n'étaient pas les mêmes dans un resto d’hôtel que dans un Étoilé. Je n'avais pas la main sur le sourcing des produits. On me demandait aussi de réduire mon temps passé sur le tea time, mais comme je faisais une pâtisserie non-conventionnelle, forcément c'était difficile.

On ne se parlait plus du tout avec David Toutain, qui avait perçu mon départ comme une trahison. Je lui écris : « chef, je crois que je suis un peu perdue, je ne sais pas quoi faire, j’ai besoin de vous. Je ne sais pas où aller ». On commence à se revoir, on boit des cafés de temps en temps, on retrouve notre complicité d'avant. Il m'apprend que son chef pâtissier actuel va partir, qu'il cherche quelqu'un. Et me propose de revenir, en tant que cheffe pâtissière. Je n'attendais que ça ! Mais je pose mes conditions. J'arrive à lui expliquer que j'ai vraiment besoin de m’épanouir en tant qu’Émilie Gerardi, et pas juste « cheffe pâtissière de David Toutain ». Il comprend, accepte. On passe de deux à trois employés dans l’équipe pâtisserie, ce qui me permet de me concentrer sur la partie création pure.


“J'ai vraiment besoin de m’épanouir en tant qu’Émilie Gerardi, et pas juste 'cheffe pâtissière de David Toutain'”

Aujourd'hui, quels sont vos projets à venir ? 

Aujourd'hui, ça va faire un an que je suis revenue au restaurant David Toutain. J'aimerais beaucoup ouvrir une pâtisserie avec le chef, que les clients puissent venir chercher un cornet de churros caramel topinambour; ou un flan à la feuille d’huître... David Toutain, c'est un restaurant qui a dix ans maintenant, on a deux Étoiles, c’est super mais c'est bien aussi de s’étendre. On a ouvert un restaurant à Hong Kong, Feuille, on peut bien avoir une pâtisserie au coin de la rue !

Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain
Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain

Photo de Une : Émilie Gerardi © Restaurant David Toutain


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