Gastronomie durable 4 minutes 03 mai 2022

L’Auberge du Père Bise : Jean Sulpice, un chef enraciné

Grâce à ses étoiles vertes et à son partenariat avec illycaffè, le Guide MICHELIN met en lumière l’histoire de restaurants qui ont un impact environnemental fort, à l’instar de l’Auberge du Père Bise où l’on « déguste » littéralement le paysage. Enraciné dans ce terroir savoyard, le chef Jean Sulpice administre une leçon de chose durable où le café a toute sa place.

Jean Sulpice, un grand sportif…
Chez ce chef qui travaille entre montagne, ciel et eau, la Nature est plus qu’une passion : c’est une seconde… nature. Enfant, il s’est rêvé bûcheron, garde forestier, jardinier. Il confiait ses peines de cœur et ses tourments aux poules et aux canards. Il ramassait les foins l’été chez les voisins paysans. Aujourd’hui, il défouraille à VTT, il participe régulièrement à une course de ski de randonnée de renommée internationale, la Pierra Menta, prépare maintenant la patrouille des glaciers, une course militaire suisse historique (d’un niveau qu’on imagine effrayant…), multiplie les sorties d’alpinisme de haut niveau en compagnie d’une pointure internationale comme le guide de haute montagne Christophe Dumarest.

La baie de Talloires (Annecy), un site au plus prés de la nature pour l'Auberge du Père Bise © G. Rouzeau / Michelin
La baie de Talloires (Annecy), un site au plus prés de la nature pour l'Auberge du Père Bise © G. Rouzeau / Michelin

… et un chef herboriste et contemplatif
Heureusement, il lui arrive aussi de se poser un instant. Sa nature contemplative de cuisinier herboriste reprend alors le dessus. Car Jean Sulpice, né à Aix-les-Bains dans une famille de restaurateurs, est aussi le chef de l’Auberge du Père Bise, un lieu rare et historique où quelques-unes des grandes pages de la gastronomie française ont été écrites.
Entièrement rénovée par Magali et Jean Sulpice, cette grande maison est posée au bord du lac d’Annecy dans la baie de Talloires, une sorte d’éden miraculeux aux allures corses. En face, à l’endroit le plus étroit de ce lac glaciaire, le château de Duingt. À main gauche, surgissant des eaux bleutées et translucides, le roc de Chère, le seul promontoire rocheux du lac.
Le brochet, carnivore d'eau douce incontournable à la table de Jean Sulpice, et pêchée par l'un des deux derniers pêcheurs du lac d'Annecy en activité... © G. Rouzeau / Michelin
Le brochet, carnivore d'eau douce incontournable à la table de Jean Sulpice, et pêchée par l'un des deux derniers pêcheurs du lac d'Annecy en activité... © G. Rouzeau / Michelin

L’enracinement dans le terroir savoyard
Cet escarpement est un peu à l’image du chef et de son terroir : le versant sud, méridional, abrite l’érable de Montpellier, tandis qu’au nord, à l’étage subalpin, poussent les rhododendrons que l’on rencontre sur les pentes de l’Himalaya. De même, le chef travaille avec une main dans l’eau, une autre en montagne. Il cuisine les poissons d’eau douce, les plantes aromatiques de son potager, les fromages et les fleurs sauvages d’alpage et d’ailleurs, et les légumes et les viandes élevés dans la plaine.

Éloge du vivant
Dans tous les cas, il demeure fidèle à son mantra : "accompagner le monde vivant" dans une sorte de mouvement perpétuel, entre débauche d’énergie et immobilité contemplative. À l’Auberge du Père Bise, le menu-dégustation est aussi un voyage immobile, conçu comme un carnet, une balade gourmande à travers une Savoie que le chef chérit. Féra et brochet du lac d’Annecy, ail des ours, camomille et immortelle d’Italie, bourrache, marjolaine, beaufort, cresson, oseille, blette, bourgeons d’épicéa, reine-des-prés : tout au long du repas, les papilles se promènent de ruisseau en torrent, de sentier en jardin, de potager en forêt, d’étable en sous-bois.

Chez Jean Sulpice, les papilles se promènent en sous-bois... © G. Rouzeau / Michelin
Chez Jean Sulpice, les papilles se promènent en sous-bois... © G. Rouzeau / Michelin

Cuisinier et producteur : une sensibilité commune
Derrière cet inventaire à la Prévert, ce pastoralisme de l’assiette mis en scène par un chef artiste, il y a autant d’histoires d’amitié – celles de Jean Sulpice pour ses producteurs. Le chef ne travaille qu’avec des "passionnés", des artisans qui sont aussi des « artistes », bref, il cherche des "personnages". "Ce qui fait la qualité d’un produit, c’est la personnalité et la sensibilité du producteur qui respecte le vivant" explique le chef. Il cite, parmi d’autres, Philippe Héritier, vigneron et éleveur d’escargots, Florent Capretti, l’un des deux pêcheurs professionnels du lac d’Annecy, la fromagère Caroline Joguet, ou encore Francis Rousset, vigneron et producteur de jus de pomme, un "autodidacte"...
De cette communion avec les éléments, avec la nature et avec les producteurs, le chef tire une véritable philosophie, évidemment "durable et locale " : " je ne travaille qu’avec des gens humbles et respectueux de la Nature, conscients de la chance que celle-ci nous donne ". Dans son quotidien, Jean Sulpice fait la chasse au gâchis, à la surconsommation, deux des plus grandes plaies de notre époque.

Jean Sulpice en compagnie de Caroline Joguet, jeune chevrière qui travaille en montagne © Franck Juery
Jean Sulpice en compagnie de Caroline Joguet, jeune chevrière qui travaille en montagne © Franck Juery

Le café, une épice, un condiment, un assaisonnement, une structure…
Le café : encore une histoire de sensibilité au produit ! Jean Sulpice a toujours aimé travailler avec le café qu’il considère comme une « une épice, un assaisonnement, un condiment, une culture » : « c’est une saveur que j’apprécie beaucoup ; un condiment qui peut assaisonner un produit et qui l’accompagne, qui vient le réchauffer, l’animer ». Le café, le blend 100% arabica Illy en l'occurence, apporte aussi une « véritable structure » aux plats du chef annécien.

Jean Sulpice travaille étroitement avec ses producteurs savoyards, comme sur cette mousse de Beaufort venue de chez Gaël Machet © G. Rouzeau / Michelin© G. Rouzeau / Michelin
Jean Sulpice travaille étroitement avec ses producteurs savoyards, comme sur cette mousse de Beaufort venue de chez Gaël Machet © G. Rouzeau / Michelin© G. Rouzeau / Michelin

Les accords avec le café : volaille, poisson, légume…
En témoigne sa recette de matafan de topinambour et café : une cuillère à soupe de café moulu est ajoutée à cette recette traditionnelle de crêpe paysanne mangée en Savoie, dans le Dauphiné et le Lyonnais. Le cuisinier savoyard aime aussi associer le café avec la chair tendre et délicate du poulet, pour un accord subtil : "la peau croustillante et salée apporte un côté caramélisé à la volaille qui se marie à merveille avec le café mais dont le goût puissant doit être tiré du côté de la finesse et de l’élégance : un peu d’ail écrasé en chemise, du thym, je fais torréfier le tout, et je laisse infuser cette mixture dans le jus du poulet". Il vante aussi la cuisson de la volaille en "croûte de sel et de café, avec du thym et de l’estragon pour ajouter une pointe de fraîcheur – une combinaison subtile pour la chair du poulet".
Et qu’en est-il de l’accord café et poisson ? "Je partirai sur un crustacé, ou encore un poisson dans l’esprit de la lotte d’eau douce, ou de la ferra, une chair un peu viandée capable de supporter l’arôme puissant du café".
Si l’infusion au café apporte une note plus délicate, le chef de l’Auberge du Père Bise n’est pas contre la manière forte comme sur le blanc-manger à la noisette et au café servi au 1903, son bistrot de luxe, où la saveur va "éclater".

Le café, une quête de finesse
Mais ce qui domine avant tout dans la pratique de cuisinier de Jean Sulpice, c’est cette recherche de subtilité, de l’accord élégant qui va venir transcender un mariage réussi. Pour cette raison, le montagnard qu’il est a pris ses distances avec le fumage, une technique de conservation des charcuteries et des poissons qui fait partie intégrante de la culture paysanne des alpages et des lacs. "C’est devenu une mode » déplore le chef, qui se méfie de la chaleur trop puissante "qui fait éclater les grains, et apporte un goût trop massif, trop puissant". Pour autant, il n’est pas contre une " petite torréfaction " qui va apporter une légère amertume. Et l’acidité du café n’est pas sans évoquer celle de ses herbes fétiches, comme celle du cresson ou de l’oxalys…
Au-delà de son goût, le café possède une force incomparable grâce à son usage intemporel : "il traverse toutes les saisons, comme une épice : je l’associe à la framboise au printemps, je le travaille sous forme de foin en hiver, ou en crème caramel au café comme dans mon prochain livre sur les cakes".

Après le coup de feu, la pause café ? © Franck Juery / Auberge du Père Bise
Après le coup de feu, la pause café ? © Franck Juery / Auberge du Père Bise

Le café, une culture du partage
Au-delà des recettes, des plats et du travail derrière les fourneaux, le café est une véritable culture plébiscitée à la fois par le chef, l’homme et le sportif : " j’aime boire une tasse de café le matin, un rituel qui marque le début d’une journée. La saveur du café est rassurante, réconfortante". Dans une brigade de cuisine, la pause autour d’un café demeure un pilier de "[mon] métier de restaurateur qui est rassembler du monde autour d’une table, d’une tasse, d’un thermos, d’offrir un moment de convivialité, de partage, d’échange". Jean Sulpice n’est pas un grand fan de la capsule, lui qui aime entendre la musique chuintante de la machine à café, sentir le parfum du nectar qui percole : "le café, c’est du vivant, une expérience qui fait toute la magie du café à l’italienne". C’est également en tant que sportif qu’il apprécie le café "entre potes" après une sortie à vélo ou en montagne… Il est vrai que les eaux turquoise du lac d’Annecy s’apprécie d’autant plus en sirotant un espresso…


Copyright photo © G. Rouzeau / Michelin

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