On ne le dira jamais assez : sans bons produits, il n'y a pas de bonne cuisine. Entre les chefs et leurs producteurs, il y a en général bien plus qu'une simple transaction de marchandises : ceux qui sont, au départ, des collaborateurs, deviennent en général des amis. Lorsque l'annonce de la fermeture des restaurants est tombée le 14 mars à 20h, c'est tout l'écosystème des petits producteurs indépendants qui a tremblé à l'unisson. Maraîchers, pêcheurs, éleveurs, oléiculteurs, producteurs d'agrumes… Autant de petites entreprises spécialisées dans la production à destination des chefs, et qui ont dû trouver du jour au lendemain un fonctionnement adapté à cette situation de crise. Voici les témoignages de quatre d'entre eux.

Eric Roy
Le Jardin des Roys, St-Genouph (37)
"Dès la fermeture des restaurants, il a fallu s'organiser au plus vite : ils représentent 100% de ma clientèle. Nous sommes une petite entreprise de cinq salariés, j'ai tout de suite décidé de ne pas recourir au chômage partiel, de garder tout le monde au boulot et d'aller de l'avant. Les légumes, eux, continuent de pousser ! J'ai donc fait une annonce sur les réseaux sociaux et mis en place un système de vente aux particuliers. On garde le même rythme que d'habitude : on récolte et on lave le matin, en vend l'après-midi. On n'a pas de stock : le stock est dans les champs ou dans les serres. On est allé au plus simple avec deux formats de paniers, l'un à 20€ et l'autre à 50€. Le grand format permet à certains clients de faire le relais dans leur voisinage, leur immeuble… On a des retours très positifs : pour les particuliers, c'est l'occasion de découvrir des produits exclusifs, comme la celtuce, par exemple. On leur propose la même exigence, le même souci de qualité. Bien sûr, économiquement, c'est une période compliquée, mais il faut à tout prix rester positifs et aller de l'avant."

Paul Bastien-Augé et Marina Pfister
Ô Potager du P'tit Paul, Mas-Saintes-Puelles (11)
"Notre production, c'est toute la palette du maraîchage : ail, radis, fenouil, haricots, pomme de terre, mini-carottes… En temps normal on fournit une dizaine de restaurants toulousains, comme Vivants, Balthazar, Hédone ou Mets Racines. On a une relation privilégiés avec ces chefs : on sait comment ils fonctionnent, on sait quels produits leur plairont. Avec la fermeture des restaurants, on s'est tourné vers les particuliers, notamment par le biais du site kuupanda.com qui est notre support habituel de vente. Paradoxalement, on n'a jamais eu autant de demandes, de coups de fil, que depuis le début du confinement ! Tout le monde se rend compte de l'importance d'une agriculture de proximité, de l'existence d'artisans locaux. Le pays a besoin de beaucoup de petits comme nous. Cette prise de conscience, c'est le bénéfice de la crise que l'on vit : un mal pour un bien, en quelque sorte."
Perrine Schaller
Agrumes Bachès, à Eus (66)
"L'annonce de la fermeture des restaurants est tombée à la fin de la saison des agrumes (qui dure de septembre à avril) : l'impact sur notre chiffre d'affaires est réel, mais pas au même niveau que d'autres productions. On a immédiatement pris la décision de faire des paniers avec les agrumes qui restaient, avec livraison via Chronopost – notre transporteur habituel a été réquisitionné. Ensuite, Instagram, Facebook et le bouche-à-oreille ont fait le reste. L'une des choses qui nous a le plus touchés, c'est le soutien immédiat de nombreux chefs comme William Ledeuil, Pascal Barbot ou encore Anne Etorre, et d'autres amis du milieu de la gastronomie, qui n'ont pas hésité une seconde à relayer notre annonce sur leurs réseaux. On a pris soin de remplir les paniers avec des agrumes facilement transformables (kumquat, key lime), en écartant les plus exigeants (comme les cédrats, très amers et floraux, qui nécessitent une bonne technique pour être cuisinés). On a beaucoup de retours positifs sur la qualité des produits, et du service. On essaie de relativiser ce qui arrive, et de saisir cette occasion pour réfléchir au futur de notre activité."

Xavier Alazard
Le Carré des Huiles, Les Baux-de-Provence (13)
"Je monte sur mon tracteur, je continue de bosser dans les champs, une chance qu'on ait encore ce droit ! Le programme se limite au broyage et à la taille des arbres. Ça fait trois mois que je taille, je commence à avoir mal aux bras. Les restaurants sont tous fermés, il n'y a donc plus aucune commande : pour le dire vite, c'est le bordel. Il a fallu s'organiser financièrement auprès des banques, pour obtenir des reports de crédits par exemple. Ma chance, c'est que je ne suis pas en produits frais, donc je peux stocker : mon huile est en cuve, en attendant des jours meilleurs. Cette situation est moins grave pour moi que pour d'autres, comme les maraîchers dont les produits continuent de sortir de terre jour après jour… S'il fallait trouver un avantage à cette situation, c'est que j'ai le temps de profiter de ma petite famille."
Illustration de l'article : ©Karaidel/Michelin