Reportages 3 minutes 07 juillet 2021

Secrets de restaurants : le fugu, un délice mortel

Deux chefs de restaurants étoilés MICHELIN d'Osaka, spécialisés dans le poisson-globe, expliquent le succès de ce poisson délicieux et toxique...

Surnommé le "roi des produits d’hiver", le fugu est un mets prisé dans tout le Japon. Il existe plusieurs espèces de fugu, mais les adresses spécialisées proposent du tora fugu, ou "poisson-globe tigré", dans des préparations typiques comme les tsukuri, fines lamelles de poisson cru, et les traditionnels bouillons chiri nabe.

Surnommé « roi des produits d’hiver », le fugu est un mets apprécié dans tout le Japon. ©iStock
Surnommé « roi des produits d’hiver », le fugu est un mets apprécié dans tout le Japon. ©iStock

Malgré son goût frais et léger, la chair du fugu contient de l’acide glutamique et de l’acide inosinique, et se révèle donc bien plus umami que les autres poissons à chair blanche. Toutefois, sa sympathique silhouette arrondie et son goût délicieux cachent une véritable nature meurtrière : ses organes contiennent un poison mortel, et en raison du danger potentiel qu’il représente pour ceux qui le dégustent, on le surnomme parfois le "fusil" en japonais.

La sympathique silhouette arrondie et le goût délicieux du fugu cachent une véritable nature meurtrière. ©iStock
La sympathique silhouette arrondie et le goût délicieux du fugu cachent une véritable nature meurtrière. ©iStock

Si dans le conte de fée allemand, Blanche-Neige s'évanouit après avoir mangé une pomme, au Japon on perd la vie en mangeant du foie de fugu : c’est précisément là que se trouve la partie la plus délicieusement savoureuse du poisson. Résultat, une autorisation est nécessaire pour préparer le fugu, et non seulement les chefs doivent posséder le savoir-faire et les connaissances requises, mais ils doivent aussi suivre des règles très strictes.

Au Japon, le fugu est principalement consommé à Osaka. L’ouest du pays étant le principal lieu de production, le fugu y est depuis longtemps disponible à prix accessibles et est apprécié de tous.

Deux restaurants du Guide MICHELIN Osaka, Yunagibashi Takoyasu et Kitahachi, se sont spécialisés dans le travail du fugu. Leurs chefs nous racontent les secrets de ce mets d'exception...

Le chef Koji Kimura du Yunagibashi Takoyasu ©DR
Le chef Koji Kimura du Yunagibashi Takoyasu ©DR

Yunagibashi Takoyasu
Une étoile MICHELIN, Guide Michelin Kyoto Osaka + Okayama 2021

Depuis son ouverture en 1929, la gestion de ce restaurant est restée dans la famille de génération en génération. Aujourd’hui, le chef propriétaire Koji Kimura, représentant la troisième génération, perpétue les saveurs traditionnelles.

Sashimi de fugu ©DR
Sashimi de fugu ©DR

Convaincu que plus le poisson est lourd, plus il est savoureux, Kimura va jusqu’à sélectionner les fugus sauvages de mer de Chine orientale pesant plus de 6kg. Il préfère les mâles pour leur shirako, soit la laitance du poisson. Il laisse le poisson maturer plusieurs jours pour sublimer sa saveur. Le sashimi est découpé finement tandis que les pièces destinées au shabu-shabu sont plus épaisses.

Peau de fugu marinée dans du ponzu (à gauche) et nikogori au sésame (à droite) ©DR
Peau de fugu marinée dans du ponzu (à gauche) et nikogori au sésame (à droite) ©DR

La peau de fugu marinée dans de la sauce ponzu est une invention du fondateur. Du jaune d’œuf crémeux vient équilibrer la saveur acidulée de la préparation. Le nikogori au sésame a été imaginé par l’actuel chef propriétaire, et propose de la gelée à la chair de fugu, agrémentée d’un assaisonnement qui s’accorde parfaitement avec la saveur du sésame.

Le Chiri nabe ©DR
Le Chiri nabe ©DR

Autre plat signature du restaurant : le chiri nabe, marié ici à du shirako de fugu crémeux, une création inspirée par un plat qui était préparé pour le personnel, pour lequel on mélangeait les restes de laitance dans une soupe miso.

Kiichi Kitahama, surnommé "Dr Fugu" ©DR
Kiichi Kitahama, surnommé "Dr Fugu" ©DR

Kitahachi
Deux étoiles MICHELIN, Guide Michelin Kyoto Osaka + Okayama 2021

Né en 1928, Kiichi Kitahama est le chef doublement étoilé le plus âgé au monde, et porte le surnom affectueux de "Dr Fugu". Il a consacré sa vie au fugu et, en cherchant à supprimer les risques d’empoisonnement lors de la préparation du poisson-globe, il s’est passionné pour l’animal et son mode de vie. Il affirme d’ailleurs avec amusement être devenu, avant même de s’en apercevoir, une nouvelle "victime" du fugu...

Sashimi de fugu à l’ume. ©DR
Sashimi de fugu à l’ume. ©DR

S’appuyant sur des recherches qui ont conclu que le nombre de cellules dans l’organisme est le même, quelle que soit la taille du fugu, il préfère utiliser du fugu sauvage pesant moins de 2 kg et le laisse maturer près d’une demi-journée. Les cellules umami s’alignant avec les fibres dans la chair, il découpe les sashimis en fines lamelles dans le sens des fibres. Il les accompagne alors d’ume pour la synergie entre l’acide inosinique du fugu et l’acide citrique de la prune japonaise.

Shirako de fugu bouilli en soupe (à gauche) et nikogori de fugu (à droite). ©DR
Shirako de fugu bouilli en soupe (à gauche) et nikogori de fugu (à droite). ©DR

Le shirako bouilli en soupe est un plat transmis par le fondateur du restaurant, qui a découvert une méthode secrète pour assaisonner le shirako, dont on pense habituellement qu’il est imperméable et ne s’imprègne pas des saveurs des marinades. Le nikogori transparent de l’établissement est d’une rare beauté : la peau du fugu est joliment présentée en damier dans l’aspic, avec toute la précision dont les Japonais ont le secret.

Le musée du fugu ©DR
Le musée du fugu ©DR

Kitahama a également ouvert un musée du fugu, où il expose des documents et spécimens issus de ses nombreuses années de recherche. Il précise que des chercheurs du monde entier viennent visiter son musée pour parfaire leurs connaissances ichthyologiques.

Ces deux adresses d’Osaka spécialisées dans le fugu et recommandées par le Guide MICHELIN témoignent de l’amour extraordinaire que leurs propriétaires portent à ce mets délicat. Kimura jouit d’un savoir-faire hérité de l’expérience de trois générations et transmis de père en fils, et Kitahama a consacré sa vie à la recherche scientifique sur le fugu. Cette culture culinaire unique a survécu au passage des siècles et continue à séduire les gastronomes audacieux. Malgré le risque d’empoisonnement (ou peut-être grâce à lui ?), le fugu jouit d’un attrait presque mystérieux qui ne se limite pas à une simple question de goût...

Reportages

Articles qui pourraient vous intéresser