Petit détour par le quartier d'Atago, dans l'arrondissement de Minato, à Tokyo. Un endroit fascinant où l’on remarque tout de suite le sanctuaire du même nom. Ce lieu de pèlerinage, très fréquenté par les shintoïstes japonais, est célèbre dans la région pour ses « 86 marches de pierre vers le succès ». Au-dessus de la verdure luxuriante, s’élèvent les gratte-ciel et la tour de Tokyo.
Dans cette fascinante mégapole, on est constamment frappé par le contraste entre l’ancien et le moderne, et même un inspecteur japonais ne s’en lasse pas. « Après avoir admiré ce paysage incroyable, j'arrive à la porte d'entrée d’un second temple, le Seishoji. Il faut monter les marches sinueuses en pierre sur le côté pour enfin apercevoir l'enseigne de Daigo, le shojin ryori une Etoile MICHELIN que je viens tester ! »
La vénérable Nomura Yoshiko, qui a fondé Daigo en 1950, restaurant éponyme alors à côté du temple Daigo-ji, est restée aux manettes de l'établissement jusqu'à ce qu'il déménage dans un quartier plus moderne, à côté du temple Seisho-ji, au deuxième étage de la Forest Tower, à Tokyo. Aujourd'hui encore, Daigo demeure une affaire de famille, avec à sa tête Masao Nomura et sa femme Satoko, épaulés par leurs trois fils. Dont Daisuke Nomura, le chef. Lequel brosse un parangon de shojin ryori, aussi appelée la « cuisine des moines ».
Il s'agissait à l’origine d'un type de végétarisme pratiqué par les bouddhistes dans le cadre de leur formation ascétique, les prêtres ne mangeant que des aliments d'origine végétale. Le restaurant Daigo s'inscrit dans cette philosophie bouddhiste pour proposer une approche unique de la cuisine shojin.
L’arrivée :
« Je suis d’abord accueilli par une serveuse vêtue d'un kimono traditionnel qui me guide. D'élégants décors de jardin s'offrent à ma vue. On est juste avant le début de l'été, les plantes qui ont surmonté le froid de l'hiver sont sorties, elles sont magnifiquement verdoyantes et colorées. Proches du jardin, les portes sont légèrement entrouvertes, ce qui permet à une brise rafraîchissante de circuler dans la salle à manger. Je me sens déjà transporté. »« J'observe d'abord la disposition de la pièce : les rouleaux suspendus, le mobilier et l'architecture de style sukiya, qui rappelle une maison de thé japonaise traditionnelle. Sur l'emballage des baguettes posées sur la table, on peut lire "baguettes de protection contre la foudre". Je n’en attendais pas moins d’un lieu où l’éthique bouddhiste est reine ! »
La serveuse explique que ces baguettes sont fabriquées à partir d'ifs japonais spéciaux de la région de Hida, dans la préfecture de Gifu. On dit que ces arbres sont tellement protecteurs qu'ils empêchent la foudre de frapper. L'empereur lui-même possède d'ailleurs un sceptre fabriqué dans ce même type de bois ! Après le repas, les invités sont encouragés à emporter ces baguettes chez eux en guise de souvenir.
Petite méditation bouddhiste avant le repas
Les Gokan no Ge, cinq versets récités par les bouddhistes zen avant le repas, sont également imprimés sur l'emballage des baguettes. Ils manifestent notre gratitude pour le repas qui apparaît devant nous, ainsi que pour les gens qui l'ont concocté, et les ressources naturelles qui ont permis sa réalisation. Pour n’en citer qu’un : « Réfléchissez aux processus qui vous ont permis d'obtenir ce repas et éprouvez de la gratitude à l'égard de tous. »« Une phrase qui parle plus que jamais à un inspecteur du Guide MICHELIN ! Je prépare mon esprit et je prends mes baguettes. »
Notre repas
Sachez que la cuisine japonaise est aussi empreinte de superstitions. Par exemple, tous les plats doivent posséder un nom exempt de tout double sens ambigu ou négatif. Les Japonais vont jusqu'à modifier le nom d’un plat, uniquement pour ne pas porter le mauvais œil.La soupe aux fèves surinagashi :
« Cette soupe est servie dans un bol dont les couleurs s'accordent parfaitement avec la nouvelle végétation du printemps. Elle présente des saveurs et textures contrastées grâce à la douceur du taro, un tubercule violet dont le goût subtil est proche de la pomme de terre, et aux savoureux craquelins de riz. »
Les Shojin Soba :
« Cette spécialité locale à base de nouilles de sarrasin soba (tororo soba) constitue une pièce maîtresse du menu. La serveuse enlève le couvercle du magnifique bol laqué à la main. Le service est irréprochable. De la moutarde, des algues séchées et de la ciboule sont servies à côté comme condiments pour ces tororo soba. »Le hassun :
Reflétant la saison de l'année ou une occasion traditionnelle japonaise, les plateaux hassun sont des éléments fondamentaux dans la cuisine japonaise. Aujourd'hui, l'un d'entre eux, spécialement conçu pour la fête des garçons, présente une racine de lotus en forme d'arc et de flèche, avec un radis daikon japonais comme cible.« Je découvre une racine de lotus aromatisée avec une sauce au sésame, et le radis daikon enveloppé dans de la pâte de soja frite. Ressemblant à une bride de cheval, le sushi tezuna handrope est joliment coloré avec des carottes, des concombres et des champignons shiitake. Les fèves de soja vertes mijotées ajoutent également de la couleur au plat. Le tout est d'une extrême sophistication. »
Le Toji Yuba enveloppé de Koya Tofu
« On trouve de nombreux plats à base de yuba (peau de tofu) portant le nom de "Toji", car le yuba était autrefois produit dans un temple portant ce nom. Ici, le plat allie la douceur du soja, des ingrédients hautement nutritifs et une qualité irréprochable. »Le porridge de champignons Nameko
« Il s'agit d'une autre spécialité locale réputée, préparée à partir d'un bouillon de flocons de bonite. Les légumes marinés présentés ici sont des prunes japonaises aigres et de la bardane marinée au miso. »« Je déguste tout en appréciant la beauté du lieu, l’expérience totale dans laquelle je suis immergé, de l’architecture sukiya du bâtiment, à l’élégance du personnel, en passant par la vue sur le jardin. Je suis vraiment impressionné. »
« En passant seulement quelques heures chez Daigo, j'ai pu m'immerger dans notre magnifique culture ancestrale japonaise. Alors pourquoi ne pas prendre un moment pour poser votre smartphone ? Et ressentir de la gratitude pour la vie qui est devant vous, et vous imprégner, vous aussi, de cette culture ? »
Photo de Une : Ⓒ Daigo