Reportages 3 minutes 08 mars 2021

Journée internationale des droits des femmes : parole aux cheffes !

Un an après les premières mesures de confinement, en mars 2020, la situation sanitaire continue de bouleverser la vie gastronomique en France. À l'occasion de la Journée Internationale des Femmes, ce 8 mars, quatre cheffes françaises nous ont confié leurs réflexions sur le moment inédit que nous vivons...

Eugénie Béziat (La Flibuste-Martin's, à Villeneuve-Loubet), Claire Vallée (ONA, à Arès), Nadia Sammut (Auberge La Fenière, au Cadenet) et Naoëlle d'Hainaut (L'Or Q'Idée, à Pontoise) : aux quatre coins du pays, ces quatre cheffes traversent chacune à leur façon la crise sanitaire. Malgré la fermeture des restaurants, les difficultés économiques, l'incertitude quant à la réouverture, elles multiplient les initiatives et préparent l'avenir.

Eugénie Béziat ©DR
Eugénie Béziat ©DR

Le quotidien en temps de crise

"On vit une sacrée époque", résume Eugénie Béziat, qui est sur tous les fronts. "On fait de la vente à emporter, on organise des moments d'échange et de partage avec d'autres chefs. Récemment, avec Julien Roucheteau, j'ai réalisé les premiers pâtés en croûte de ma vie : une expérience ! Il faut rester en ébullition, s'améliorer, mettre à profit la période pour évoluer." Même combativité du côté de Naoëlle d'Hainaut, à Pontoise, avec une préoccupation économique bien présente : "On essaie de trouver des solutions qui ne font pas perdre d'argent", explique-t-elle. "On a mis en place de la vente à emporter, on fait environ 130 couverts le samedi, la demande est bien là. On pourrait en faire plus, mais je ne veux pas banaliser la chose, j'essaie de garder ce côté rare et précieux de notre travail. Par ailleurs j'utilise le temps que j'ai pour développer mon réseau de petits fournisseurs, je viens par exemple de trouver un producteur de légumineuses dans le Vexin, une vraie pépite…"

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Pour Claire Vallée, qui vient de décrocher une étoile dans son restaurant ONA (pour Origine Non Animale), la fermeture est l'occasion de repenser complètement son restaurant. "On voulait un lieu plus confortable, plus ergonomique, on a donc tout refait. Ces temps-ci, je passe aussi beaucoup de temps à répondre aux sollicitations médiatiques suite à l'obtention de l'étoile au mois de janvier. Ça vient de partout : Inde, Russie, Etats-Unis, Japon, Allemagne…"

Naoëlle d'Hainaut ©Roméo Balancourt
Naoëlle d'Hainaut ©Roméo Balancourt

Vers un monde nouveau ?

Les cheffes que nous avons interrogées sont unanimes : l'épidémie de Covid-19 est un accélérateur de changement dans le monde de la gastronomie. Là aussi, l'optimisme est de mise. "On a voulu dompter la nature, et la nature nous a donné une réponse cinglante !", lance Eugénie Béziat. "On doit toutes et tous se réinventer, se réadapter, penser autrement. Comment je vais réaborder l'ouverture ? Une carte, pas de carte ? Abandonner le sous-vide, qui produit des quantités énormes de plastique ? Retourner à des méthodes anciennes ?"

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Traçabilité, empreinte carbone : toutes saluent le mouvement vers une gastronomie plus durable, qui était déjà initié avant cette crise. Dans le Luberon, Nadia Sammut, en pointe sur les questions durables et sur l'économie sociale et solidaire, veut aller au-delà du restaurant. Elle travaille sur un lieu de vie mêlant l'expérience gastronomique et la pédagogie sur la ruralité, la permaculture, l'agroforesterie, l'alimentation saine… "C'est un peu La Fenière 2.0 !", s'amuse-t-elle. "J'ai initié ça en 2020 et les retours ont été incroyables, les clients sont emballés. Il y a une vraie demande de transparence, mais aussi de partage et de connaissance. Le luxe dans la simplicité : voilà ce que j'essaie de développer jour après jour."

Nadia Sammut ©DR
Nadia Sammut ©DR

Être une cheffe en 2021

Impossible, un 8 mars, de ne pas interroger ces cheffes sur leur place de femme, alors que les témoignages de sexisme et de harcèlement se multiplient dans le monde de la gastronomie. "Si la crise sanitaire touche tout le monde de la même manière, je ressens une forme de résilience, de force de caractère, qui est propre aux femmes", s'avance Nadia Sammut. "D'une façon plus générale, j'encourage chacun, femme ou homme, à faire selon son désir, à s'autoriser à être."

Pour Eugénie Béziat, "les femmes ont toujours été là, en temps de guerre elles ont toujours eu leur rôle ! De mon côté je ne travaille qu'avec des hommes et je me sens parfaitement à ma place dans le rôle de moteur." Idem pour Naoëlle d'Hainaut, qui travaille dans une équipe masculine et organise au mieux "la vie de gérante et la vie de maman", au prix d'une organisation au cordeau. Un conseil à donner aux femmes qui se lancent dans ce métier ? "C'est compliqué pour beaucoup de femmes, le seul conseil est de ne rien lâcher, de ne pas abandonner", dit Claire Vallée. "C'est un métier dur mais enrichissant, fabuleux, qui fait grandir."

Claire Vallée ©ONA
Claire Vallée ©ONA

Rêves pour l'avenir

"L'avenir peut être assez terrifiant... J'ai envie d'aller plus haut, plus loin, de refaire une équipe, d'organiser mes ambitions", affirme Eugénie Béziat. "Il faut continuer coûte que coûte." Pour Claire Vallée, c'est aussi un besoin viscéral de rouvrir les portes du restaurant : "J'espère qu'on va pouvoir travailler, c'est frustrant. C'est ma passion, je pense cuisine en me levant le matin. Ne plus avoir ce lien, c'est déprimant..." "On a envie de continuer à avoir des rêves !", s'exclame de son côté Naoëlle d'Hainaut. "On voudrait une cave à vins avec des plats sur le pouce, on a la tête pleine de projets. On reste des restaurateurs, des marchands de bonheur. Si je dois résumer mon attente pour 2021, c'est tout simple : voir notre salle pleine. La salle vide, c'est cela qui est le plus dur."

Illustration de l'article : ©andresr/iStock

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