Portraits 4 minutes 16 janvier 2020

Nicolas Multon : le "retour aux choses" du pâtissier de la Villa René Lalique

Amoureux de la peinture et du dessin, Nicolas Multon accompagne le chef Jean-Georges Klein depuis 2009. Ses desserts, lisibles et gourmands, racontent une histoire ou une émotion grâce à un brio technique incontestable.

Une "enfance de rêve" au milieu des animaux : voici comment tout a commencé pour Nicolas Multon. Avec, comme souvent, derrière la vocation gourmande, une grand-mère cuisinière. Celle-ci régalait le petit Nicolas à coups de tartes aux cerises (venues du jardin) et de poulet rôti et frites pendant les vacances. Véritable magicienne, elle envoûtait le garnement grâce au parfum d’un vinaigre maison planqué dans le placard – 30 ans plus tard, Nicolas a enfin retrouvé à Banyuls un vinaigre qui ressemble à celui de son enfance… Mais la passion décisive qui s’impose d’emblée au jeune Nicolas est celle du dessin et de l’art : "Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné, j’ai toujours eu des crayons, des feutres, un carnet à dessin à portée de main", explique cet artisan qui tient l’artiste russe Wassily Kandinsky pour un dieu. On lui a même offert des crayons et des feutres à son dernier Noël !

Entre 2000 et 2001, il fait ses premières vraies armes à l’Auberge des Templiers (Loiret) en tant que commis pâtissier, sous la direction du pâtissier Philippe Morvan. Sur sa table de nuit, il trouve… le guide des Relais et Châteaux ! "Là, j'ai découvert le monde enchanté des grands hôtels et des restaurants gastronomiques : j'ai décidé de passer ma vie dans ce genre d’établissements. Cela peut prêter à rire, mais avant le règne d’Internet, l’information ne circulait pas autant. J’ignorais tout, ou presque, du monde des étoilés."

Crémeux au Chocolat Jivara, Praliné Noisette, Glace aux Cèpes ©Karine Faby
Crémeux au Chocolat Jivara, Praliné Noisette, Glace aux Cèpes ©Karine Faby

C’est ainsi qu’un beau jour, Nicolas débarque dans la maison triplement étoilée d’Antoine Westermann au Buerehiesel. Il y occupera à peu près tous les postes, seul ou presque. En un an, il passe de commis à chef. Sans aide ni mentor, il va se forger son identité de chef-pâtissier, sans compter ses heures. Il s’imprègne de la rigueur et de la précision qui ont permis à Antoine Westermann de décrocher trois étoiles au Guide MICHELIN.

En 2002, Nicolas Multon met les voiles à l’autre bout de la France, à Lorient précisément. Le jeune homme intègre en douceur une belle maison familiale doublement étoilée, l’Amphitryon de Jean-Paul Abadie. Il fait le plein de sensations maritimes et en profite pour prendre du recul sur sa situation. "Je me suis demandé ce que je valais vraiment, et si j’avais quelque chose à raconter", explique-t-il. Nicolas Multon décide alors de regarder autour de lui, de prendre des photos, de fréquenter les salons, de se lancer dans les concours (il les collectionne désormais…). Le dernier en date ? Le concours de Meilleur Ouvrier de France, en 2018. Au bout de sept ans, il largue les amarres pour entrer dans le monde d’un autre fou d’art, le chef Jean-Georges Klein, à l’Arnsbourg. Ces deux-là, artistes dans l’âme et autodidactes, étaient faits pour s’entendre. En 2014, Nicolas Multon le suit à la Villa Lalique.

“Il se concentre toujours sur le produit – pomme, mandarine, quetsche, champignon – pour délivrer un dessert lisible et gourmand”

Sa pâtisserie ? C’est son complice, le chef sommelier Romain Iltis (encore un autodidacte), qui en parle le mieux. "La pâtisserie de Nicolas est une combinaison hors-pair de gourmandise, de précision et de technicité, détaille-t-il. Dans chaque geste, tout est calibré. Il y a une recherche de textures et de diversité très forte, mais, en même temps, le goût franc de ce qu’il veut raconter est toujours là." Comptant parmi les premiers à goûter les desserts de son ami, il met son nez et son palais au service d’une dégustation qui est toujours un "échange". 

Nicolas Multon se trouve évidemment en osmose profonde avec Jean-Georges Klein, qu’il fréquente depuis longtemps. Comme le chef, Nicolas se concentre toujours sur le produit – pomme, mandarine, quetsche, champignon – pour délivrer un dessert "lisible et gourmand, qui raconte une histoire". Il avoue avoir renoncé à ses péchés de jeunesse, excès d’esthétisme et de graphisme. S’il innove, c'est toujours de façon "naturelle", ça coule de source. Romain Iltis a notamment été bluffé par son travail autour de la quetsche, fruit emblématique que chaque Alsacien déguste dès le berceau : "sans le recours à la cannelle, il a su exalter la quetsche, et ses notes subtilement réglissées."

Nicolas Multon ©Karine Faby
Nicolas Multon ©Karine Faby

Quand vient le tour du chocolat, c’est Nicolas qui se mue en sommelier. Il compare la pâte de cacao à un vin, avec son cépage, son terroir, sa vinification. Chez Valrhona, il apprécie particulièrement le Tulakalum 75%, un chocolat originaire du Belize, "très cacaoté, peu sucré et amer, un produit intense, fruit d’une vraie démarche et doté d’une véritable identité". Il cherche aussi une cohérence avec la Villa Lalique, lieu d’art extraordinaire, maison alsacienne construite en 1920 par l’un des génies de la cristallerie d’art, René Lalique. Cette cristallerie, située à un kilomètre à peine du restaurant, est un objet de fascination et d’admiration pour Nicolas. Lui, l’amoureux des beaux-arts, nous avoue qu’il se lance en 2020 dans un projet qui lui tient à cœur : une sculpture en chocolat réalisée en collaboration avec la sculptrice de la cristallerie Lalique, Josiane Ruez. L’École des beaux-arts n’a jamais été aussi proche…

Chez Nicolas Multon, toute conception de dessert commence... par un croquis ! ©MICHELIN
Chez Nicolas Multon, toute conception de dessert commence... par un croquis ! ©MICHELIN

9 questions sucrées à Nicolas Multon

Votre madeleine de Proust ?
Le flan pâtissier. Un dessert qui revient à la mode !

Un souvenir d’enfance lié à la cuisine ?
La salade du jardin de ma grand-mère avec les légumes du potager et la ciboulette fraîchement cueillie.

Chocolat noir ou chocolat blanc ?
Chocolat noir.

Miel ou sucre ?
Sucre.

Un accord original avec le chocolat ?
Avec un vieux thé pu-erh.

Quel rôle pour le dessert ?
Le brin de gourmandise qui va donner le sourire à la fin du repas. Le dessert est toujours festif. On fête tous les grands événements – mariage, anniversaire – avec un dessert, un gâteau.

Quels sont vos sources d’inspiration ?
L’art, la nature, le quotidien, qu’il s’agisse d’une balade en forêt en famille, le marché, un verger – en fait, l’émotion ressentie et que j’ai envie de transmettre.

Comment voyez-vous la pâtisserie actuelle ?
En pleine évolution, en plein mouvement et plutôt vers un retour aux sources : pas de triche, moins de colorants, des produits de proximité et de saison.

Une recette : Pommes confites Royal Gala, feuilletage caramélisé et glace au Mélilot

Glace au Mélilot :
120 g de crème
250 g de lait
5 g de Mélilot (plante officinale)
2 g de stabilisateur à glace
25 g de trimoline (ou du miel à défaut)
25 g jaune
25 g sucre
Infuser le Mélilot dans la crème, le lait et la trimoline
Mélanger sucre et stabilisateur
Ajouter aux jaunes
Cuire l’ensemble à 85°c
Filtrer
Maturer 12h
Turbiner dans une machine à glace

Crème pâtissière Mélilot :
130 g lait
35 g sucre
30 g jaune
12 g poudre à crème pâtissière
35 g beurre
45 g crème fouettée

Bouillir lait et Mélilot
Filtrer
Mélanger jaunes, sucre, et poudre à crème
Bouillir 15 secondes l’ensemble
Ajouter le beurre
Refroidir
Lisser et incorporer la crème
Mettre en poche

Crémeux pomme verte :
30 g de jus citron
250 g de pulpe pomme verte (pomme verte mixée)
40 g de jus pomme Reinette
50 g de crème
20 g de sucre
20 g de maïzena
22 g de gélatine
7 g de manzana Bouillir l’ensemble des ingrédients
Verser sur le beurre de cacao
Ajouter la masse gélatine et l’alcool
Mettre en tubes plastiques
Congeler
Tailler à 7cm

Pommes Confites :
1/pochage :
350 g eau
250 g de beurre
250 g de sucre
30 g de calvados ou pommeau
6 pièces de pommes
2 / cuisson :
480 g de pommes pochées
17 g de sucre caramélisé
75 g de jus de pochage Eplucher
Tailler les pommes à la machine à Chiba ou mandoline
Bouillir les ingrédients du pochage
Cuire les pommes dans le jus
Égoutter
Mettre le sucre caramélisé dans un moule
Ranger les pommes à plat dans le moule
Ajouter le jus de pochage
Cuire 45 mn à 155°c
Congeler pour démouler
Tailler

Feuilletage :
500 g de farine T55
10 g de sel
200g d’eau
100 g de beurre
250 g de beurre pour le tourage
1 gousse de vanille Réaliser la détrempe
Reposer 12h
Tourer avec 4h de repos entre chaque tour
Etaler à 1,5mm
Tailler 6x8 cm
Cuire 20mn à 180°c
Caraméliser

Montage :
Déposer un morceau de pomme confite au centre. Ajouter le feuilletage. Disposer deux crémeux pommes vertes. Dresser la crème mélilot. Mettre la glace.


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Cet article est sponsorisé par Valrhona.


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