Restaurants 3 minutes 06 septembre 2024

Quand le sans alcool triomphe sur les plus grandes tables gastronomiques de France

Vécus non plus comme une punition, mais comme une vraie redécouverte organoleptique, ces accords audacieux concoctés sur-mesure par de grands chefs, sommeliers ou mixologues repoussent les limites de la créativité. Des boissons détonnantes, complexes, sapides… Qui redéfinissent les contours d’un nouvel art de vivre.

Proposer des boissons sans alcool mais vraiment haut-de-gamme dans les étoilés, toute l’année (et pas que lors du Dry January)... On aura tout bu ! Pourtant, c'est un fait : les Français consomment de moins en moins d'alcool. Et ont envie d'autre chose au restaurant qu'un Perrier citron ou un soda. Un peu partout dans l'Hexagone, une nouvelle génération de sommeliers et chefs l'a bien compris, et s'adapte, en inventant d'épatantes alternatives. Sur fond de déconsommation du vin notamment, il réfléchissent à de nouveaux accords spirit-free. Clamer « Santé ! » en trinquant n’aura jamais été aussi pertinent.

D’après l’Insee, la consommation d’alcool a été divisée par deux entre 1960 et 2022 en France. La France est aussi le pays qui compte le plus grand nombre de nouveaux consommateurs de boissons sans alcool, avec une augmentation de +25 % rien que sur l’année 2022, d’après l’institut britannique IWSR.

« Pourtant, cela ne date pas d'hier », temporise Benoît d'Onofrio. « Il y a toujours eu une demande. La différence avec avant, c'est qu'aujourd'hui on est capables de proposer des boissons ultra-qualitatives. Le sans-alcool a enfin obtenu ses lettres de noblesse ! » s'enthousiasme ce sommelier de formation, par ailleurs fin dégustateur.


Après le sommelier, le sobrelier

Son métier, il l'a inventé en 2022 : « Je suis devenu sobrelier » explique-t-il en souriant. Le néologisme parle de lui-même. Après une expérience chez Datsha Underground (Paris), il évolue en résidence avec des cheffes invitées chez Ventrus, et imagine alors des « sobrepas » gastronomiques, construits autour de ses décoctions, macérations et fermentations. « Après avoir travaillé avec Manon Fleury au Perchoir, j'avais envie de faire mon métier de manière plus inclusive, c'est-à-dire d'entendre et de répondre à toutes les soifs, toutes les envies, toutes les possibilités de prendre du plaisir » explique-t-il.  

« Aujourd'hui, je propose mes créations à des becs fins qui ne boivent pas d'alcool pas uniquement pour des questions de religion ou de santé, mais tout simplement parce qu'ils n'ont pas envie de se charger le midi, par exemple. C’est exaltant en termes de créativité, car tout est à inventer, c’est sans limites  »

« Pendant longtemps, on ne trouvait pas, y compris dans les grands restaurants, d'alternatives suffisamment qualitatives ». Et puis, « au sein d'une même tablée, ne pas boire d'alcool était vu comme quelque chose de non cool, c'était se singulariser, être rabat-joie, tout sauf bon vivant. Quand vous refusiez un verre d’alcool, vous cassiez le moment. » Les moeurs évoluent, fort heureusement. Jadis réservées à une clientèle d’abstinents-pénitents (femmes enceintes, personnes sous antibiotiques...) le sans alcool séduit un public plus large. 

Comment réinventer le pairing sans alcool ?

« Dans tous les menus accords mets/vin du Groupe Pic » , souligne la sommelière Paz Levinson, « 20% des breuvages proposés à la carte sont sans alcool. Anne-Sophie aime les rituels d'intérieur et la transparence. C'est pourquoi on parle toujours de « boissons cuisinées », c'est-à-dire que la préparation se fait devant le client. »

Elle s'est lancée en 2017. « Ce fut une révélation. La complexité était très élevée, et cela m’a encore plus motivé à rejoindre le groupe. Les préparations peuvent être des thés associés à des épices, du Chemex avec différents ingrédients associés à du café, des boissons créatives finies ou complétées devant le client. »

Thomas Chisholm (Chocho) parle d’un « auto-apprentissage » : « comme beaucoup de jeunes chefs, on a été beaucoup inspirés par la cuisine nordique. En vérité, ça se pratiquait depuis des années à Copenhague, au Nom par exemple. On s’est procurés auprès d’un chef suédois un scoby (souche pour produire du kombucha, NDLR) âgé de cent ans ! »  Avec son adjoint Rodolphe Despagne, le duo propose dans le menu Medley en 5 temps des créations maison, comme un kéfir et un kombucha. Thomas : « Ce que je trouve vraiment fascinant c’est qu’on fait vraiment du sur-mesure. On expérimente tout azimut, un peu comme en cuisine ! ».

Les chefs étoilés, premiers clients 

Le chef Clément Vergeat, aperçu dans Top Chef 2018 et ancien d’Alliance (Une Etoile Michelin dans le 5e) envoie aujourd'hui chez Tracé des assiettes épurées et sophistiquées, hautement instagramambles. Rejoint par Félix Bogniard, directeur de salle, qu’il a rencontré alors qu’il officiait au restaurant Copenhague, sur les Champs-Élysées, ils ont eu envie ensemble de proposer trois accords mets-boissons, dont un sans alcool.

La Maison Grands Jardins, des thés de terroir froids, sans adjonction de sucre ni d'autres matières, présentés dans d'élégantes cuvées bourguignonnes de 75 cl, est plébiscitée par les restaurants étoilés. A Marseille, Alexandre Mazzia (AM) en est fan. On le savait déjà mordu de thés. Cette fois, son sommelier Kevin Bardeau a imaginé des accords autour de ces drôles de cuvées sans alcool. Thierry Marx (Onor), Julien Dumas (Saint-James), Philippe Faure-Brac (Bistrot du Sommelier), Alan Geaam, le Royal Monceau, Matthieu Carlin, à la tête de la pâtisserie Butterfly au Crillon... Tous se sont montrés réceptifs se félicite le co-fondateur Edouard Malbois. 

La marque a fait de Mallory Gabsi, meilleur jeune chef Michelin 2023, un ambassadeur de choix. « Ce qui est très intéressant, c’est que le thé est sans doute le portrait idéal de ce que le vin aurait rêvé d’être s’il avait été sans alcool », avance Edouard. « Il y a une complicité qui fait que bien que ce soit de l’eau, des feuilles, qu’il n’y a pas d’éléments nutritifs, de sucre, de calories, d’euphorie comme autour de l’alcool, la poésie du thé est un langage une fois qu’on l’inscrit dans les habits du vin. C’est-à-dire dans une cuvée ou des verres à pied on retrouve le tannin, la longueur, la permanence. Une opportunité de pairing immense, une géographie des territoires…»


Photo de Une : © Grands Jardins


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