C'est l’AOC viticole la plus septentrionale de France, une des plus jeunes de l’Hexagone (2011), des plus petites (75 ha en production)... Mais aussi, sans nul doute, une de celles sur lesquelles parier dans les prochaines années !
Le vignoble de l'AOC Moselle se situe sur la bordure nord-est du bassin parisien, en région lorraine, sur des roches sédimentaires constituées de calcaires, de grès et de marnes de l'ère secondaire, allant du Jurassique au Trias. Aujourd’hui à 60% en agriculture biologique, il produit majoritairement des vins blancs (68 %), suivis de rouges (26 %) et de ces rosés dits « gris », à la robe d’un rose pâle souvent saumoné (5 %). Pourtant, en superficie, pas de quoi impressionner : en 2024, seuls 16 vignerons récoltants produisaient quelque 330.000 bouteilles par an. Une goutte d’eau dans un magnum, surtout si l’on compare au voisin allemand (le vignoble mosellan du pays de Goethe couvre près de 9 000 ha).

Jean Dumontet, Prix MICHELIN de la Sommellerie 2025, aux manettes de la cave du restaurant Frédéric Doucet (une-Étoile) : « C’est un vignoble confidentiel, qui représente à peine plus que l’AOC Vougeot en Bourgogne (qui elle, à titre de comparaison, fait 67 hectares, NDLR). Mais je pense que c’est une appellation qui a beaucoup évolué et qu’il faut aujourd’hui prendre au sérieux. On a des vins alliant fraîcheur et élégance, qui bénéficient du réchauffement climatique, des domaines dont les vignes autrefois avaient une difficulté à s’épanouir, les raisins à mûrir… Et qui aujourd’hui produisent des vins très agréables à boire ! Et très accessibles aussi financièrement, pour des consommateurs avertis et curieux.»
Maéva Rougeoreille sa consoeur, co-lauréate du même prix, cheffe sommelière du restaurant deux-Étoiles et Étoile Verte Jean Sulpice (Talloires-Montmin) : « Oui, c’est une petite appellation de par sa superficie actuelle. Mais ce vignoble en émergence gagne à être connu. Il a longtemps été dans l’ombre de l’Alsace, comme la Savoie l’a été avec le Jura. Pourtant, c’est une appellation qui va faire partie dans les prochaines années des nouvelles pépites à découvrir ! ». Originaire de Nouvelle-Calédonie, la jeune femme veille sur plus de 25 000 bouteilles et continue d’enrichir, avec de nouveaux vignobles français ou étrangers, une carte de plus de 3500 références.

Une route des vins de 46 km
Les vins blancs proviennent de trois cépages principaux : auxerrois, müller-thurgau, et pinot gris —cépage originaire de Bourgogne, également appelé pinot grigio en Italie, ou grauburgunder en Allemagne. Ils donnent des notes typiques de fruits –abricot ou pêche. Parmi les cépages blancs accessoires, on recense gewurztraminer, pinot blanc et riesling. Les vins rosés comportent au 70% minimum du pinot noir, et peuvent être complétés par du gamay. Les vins rouges, eux, sont issus du seul cépage pinot noir. La sommelière Maéva Rougeoreille souligne l’intérêt de cet encépagement qu’on retrouve dans nombre d’appellations célèbres (le pinot noir, comme en Bourgogne, ou le riesling comme en Alsace), « mais à des rapport qualité-prix qui défient la concurrence aujourd’hui ».Grosso modo, trois îlots constituent ce vignoble : le val de Seille – couvrant la commune de Vic-sur-Seille. Le pays de Sierck (pays des Trois Frontières), regroupant les communes de Contz-les-Bains, Haute-Kontz et Sierck-les-Bains. Et le pays messin, qui agrège les quinze autres communes de l'AOC. Les vignes se concentrent en effet autour de Metz, où se tenait en mars dernier la dernière cérémonie étoilée du Guide MICHELIN, et s’étendent sur les 46 km de la route des vins de Moselle, balade touristique et gourmande, qui invite à découvrir les meilleurs ambassadeurs. C’est sur ces terres argilo-calcaires que l’on déniche l’immense majorité des vins blancs, secs (sans sucres résiduels). Mais aussi les plus beaux pinots noirs - traduire, les plus « bourguignons » dans l’âme. Avec en bouche des arômes de cerise, de petits fruits noirs… voire de cerises burlat les meilleures années.
Jean Dumontet fin connaisseur des grands crus bourguignons : « J’ai vraiment découvert les vins de cette micro-appellation lors de l’évènement du Guide à Metz, en mars dernier. Ayant la chance d’évoluer dans le village de Charolles, aux portes d’une région bénie des dieux –la Bourgogne– je me suis naturellement plus attardé sur les rouges mosellans, eux aussi à base de pinot noir… Et j’ai été agréablement surpris ! Ceux que j’ai pu goûter – dans l’euphorie de la cérémonie !– étaient frais et gourmands. Je songe notamnnent à un pinot noir mosellan qui m’a fait penser à l’aveugle à un bourgogne-côte-chalonnaise, la cuvée La Digoine, du Domaine De Villaine. On retrouvait en bouche ce même côté croquant et cette fraîcheur, y compris sur des millésimes chauds, ces notes de cerise burlat, cette bouche veloutée mais dotée d’une belle acidité… Des teintes gustatives de petits fruits rouges acidulés qu’on retrouve dans certains mercurey ».
Un vignoble très ancien, hérité des Romains
Si vous sortez de l’agglomération messine pour prendre la route vers le Nord, vous découvrirez, à la frontière avec le Luxembourg et l’Allemagne, un panorama époustouflant. Les vignes ici s’étagent à flanc de coteaux, jusqu’à 250 m d'altitude, face aux berges de la Moselle, dans le val de Sierck-les-Bains. Malgré la jeunesse de l'AOC (née en 2011), le vignoble, lui, ne date pas d’hier. Car l'Histoire des vins de Moselle remonte… à l'époque romaine. La beauté des coteaux mosellans couverts de vignes est chantée par le poète latin Ausone au IVème siècle : « Quand l’azur du fleuve répète les ombrages de la colline, l’eau paraît avoir des feuilles, la rivière semble plantée de vignes ». La cité de Trèves, située cent treize kilomètres plus au nord sur la rivière de la Moselle, et choisie au IIIème siècle comme capitale de l’Empire romain d'Occident, joue un rôle moteur dans l’expansion de la vigne dans le pays messin.Plus tard, les communautés religieuses comme l'abbaye que fonde à Gorze l'évêque de Metz Chrodegang, en 749, ou l'abbaye Saint-Vincent fondée à Metz au Xème siècle, propagent la culture et le savoir-faire de la vigne dans la région. Les familles nobles, telles les comtes de Vaudémont et les ducs de Lorraine sont également de grands propriétaires viticoles qui participent à étendre la réputation des vins de Lorraine par-delà les frontières.
L’obtention de l’AOC il y a quinze ans a été un long combat. Historiquement, la dénomination antérieure, « vins de Moselle », née après la Seconde Guerre mondiale (1951), avait été remplacée en 1995 par une Appellation d'Origine Vin Délimité de Qualité Supérieure (AOVDQS) en 1951, sous le nom « Moselle ».

Des vignes qui ont bien failli disparaître !
En 1830, époque on ne peut plus prospère, 40 000 hectares de vignes étaient répartis sur le territoire lorrain. Avant la Première Guerre mondiale, le vignoble comptait encore jusqu'à 15 000 hectares et une quarantaine d'exploitants. A l’issue de celle-ci, ils n’étaient plus que quatre ! Parmi eux le grand-père d'Eve Maurice, viticultrice au domaine Les Béliers, à Ancy-sur-Moselle (voir plus bas), parmi les pionniers de la renaissance des vins mosellans. La faute au phylloxéra, ce petit insecte ravageur qui dès 1866 fait son apparition dans la région de Metz, s’attaquant aux racines des ceps et décimant les souches en quelques années, et à l’expansion de la sidérurgie, entraînant un exode rural.Les guerres (annexion allemande, guerres mondiales) ont bien sûr aussi contribué au déclin de la vigne. Laquelle, au début du XXème siècle, est progressivement remplacée par des fruitiers – mirabelliers, poiriers, pommiers et fraisiers. Pour essayer d’enrayer le phénomène, c’est à cette époque qu’on introduit des cépages nouveaux, en provenance des régions voisines : müller-thurgau du Jura suisse, gamay et pinot noir de Bourgogne. Contrairement à ce que laisse croire son nom, l’auxerrois, issu d’une recherche locale au centre de Laquenexy, serait une création du docteur Werner.
Las : en 1984, il ne reste plus que 3 ha de vignes ! La reconquête date de ce moment, lorsqu’une poignée de vignerons audacieux s’ame de courage pour reprendre ce vignoble à l’abandon, et replantent à tour de bras. La pression urbaine et le morcellement du vignoble en puzzle compliquent la donne. Le vignoble inclut l'AOC Côtes de Toul (partie méridionale, à 25 km à l'ouest de Nancy), l'IGP Côtes de Meuse et l'IGP Lorraine.

Une appellation à haut potentiel
L’AOC Moselle présente un vignoble exceptionnel à plus d’un titre. De par sa situation climatique, d’abord : il cumule à la fois des influences rhénanes (des vignes hautes, autour de Sierck-les-Bains) et bourguignonnes (vignes basses). Alors que dans d’autres régions, les degrés alcooliques n’en finissent plus de monter (15, 16% d’alcool…), ses vins titrent assez bas, conformes en cela aux nouvelles attentes du consommateur. Grâce à son encépagement original (la présence du müller-thurgau, pas bu partout) il sort du lot.Surtout, les cuvées produites sont encore accessibles financièrement. Jean Dumontet : « Je pense notamment à des vignerons comme Rémi Gauthier, à Vic-sur-Seille (voir en fin d’article), qui a d’ailleurs étudié à Beaune, et possède ce toucher qu’on pourrait qualifier de bourguignon. C’est cette nouvelle génération qu’il faut suivre ! ». Sur les derniers millésimes (2023 et 2024), sa cuvée Primitiae, en blanc comme en rouge, est à 14 € prix public au caveau. Et 16 € pour son blanc In Extenso, toujours sur les mêmes années.
Bref, clairement l’un des vignobles français les plus dynamiques en termes de croissance, avec un potentiel d’extension qui s’élève en effet à 670 hectares de terres classées en AOC sur les 19 communes de l’aire géographique approuvée par l’INAO : dix-huit communes du département de la Moselle, auxquelles s’est adjointe Arnaville, commune limitrophe en Meurthe-et-Moselle. À bon entendeur… Remplissez vite votre cave pendant qu’il est encore temps !

8 domaines mosellans coups de cœur :
Domaine Maujard-Weinsberg
François Maujard se détourne du monde de la finance à la suite de la crise des subprimes en 2008, pour entreprendre… Un BTS en alternance en viticulture et œnologie à Beaune ! En 2016, il lance le domaine, reprenant les vignes de trois vignerons retraités du secteur messin. Audrey Puchalski, ex-convoyeuse de fonds, le rejoint à partir du millésime 2022. Ensemble, le duo privilégie des cuvées parcellaires et en mono-cépage, toutes travaillées de façon peu interventionniste. Au total, 5 ha en bio, réaprtis sur cinq villages des coteaux de la Moselle : Vaux, Lessy, Rozérieulles, Plappeville et Jussy. Le chai a été construit dans une ancienne ferme réhabilitée du vieux Marange-Silvange. Coup de coeur pour la cuvée de pinot noir Lacey, récolte 2020, dégustée à Metz, en marge de la cérémonie étoilée, avec le chef Nicolas Fontaine (Duende, à Nîmes)… Fin palais et amateur de découvertes ! Dense, belle mâche, tanins velours. « A l’aveugle, ça pinote, on dirait un bourgogne » reconnaît-il, bluffé. Sur rdv. 9 rue de l'Eglise 57535 Marange Silvange. 06 06 79 05 83.Château de Vaux - Vignobles Molozay
Avec son épouse Marie-Geneviève, œnologue et fille de négociant, originaire du Beaujolais, Norbert Molozay, vinifie une quinzaine d’hectares, en biodynamie depuis 2010. Niché au cœur des coteaux surplombant la Moselle, à 20 minutes en voiture de la Cathédrale de Metz, le domaine abrite des caves vigneronnes du XIIIème siècle. Des rouges élevés en barriques et taillés pour la garde, puissants, à l’instar de la cuvée Pylae. Et des blanc tendus, comme Maddalena; un müller-thurgau salin. Et pour l’apéro, hors appellation, la Bulle Xb, un extra-brut de chardonnay (non dosé). Villa Chazelles, 21 Rue de Moulins 57160 Scy Chazelles. 03 87 60 20 64.Domaine Enivrance
De l’avis de la sommelière Maéva Rougeoreille, un vigneron qui sort du lot. « Nicolas Pierron a repris en 2019 un petit coin de terre – les 2 plus vieux hectares de Moselle. Après plusieurs expériences formatrices au Château de Vaux et au Domaine Oury Schreiber, il s’est lancé dans l’aventure avec sa femme Julia, en s’inspirant des principes de la biodynamie et du vin naturel. Son blanc Instantannique 2019 - une macération de 3 mois d’Auxerrois, classée en VDF– est frais, avec des tannins précis qui permettent de vrais accords sur les crustacés et les épices ! ». 42 rue des Vignerons 57420 Marieulles. 06 49 58 41 75.Domaine Les Béliers
Moins de 5 hectares en bio, d’un seul tenant, sur les coteaux de la Croix Saint Clément. Ève Maurice à Ancy-sur-Moselle, cisèle des vins sincères, juteux et croquants, aux belles acidités. Sur rendez-vous préalable, elle vous fera visiter son vignoble et déguster ses vins : pinot gris, auxerrois, pinot noir et gamay. Cuvées : La Vigne aux Oiseaux; Nina; L’Auxerrois. A noter, deux chambres d'hôtes nichées à l'intérieur du bâtiment viticole, au cœur du vignoble. D6B entre Ancy et Gorze, 52 route de Gorze 57130 Ancy Dornot. 03 87 30 91 48.Domaine Oury-Schreiber
L’un des domaines les plus imposants de Moselle avec 8,5 hectares. Pionnière des rouges mosellans élevés en fût, la famille Oury est originaire de Champagne, et a vinifié également au préalable dans le Languedoc, avant de prendre racine au sud de Metz. La fille, Angélica, est revenue sur la propriété en 2011 avec son conjoint Cédric. Le couple travaille en bio depuis 2008 et biodynamie, sur les coteaux bien exposés de Marieulles-Vezon et Lorry-Mardigny. Une large place accordée aux bulles (60 % de la production). Cuvées : Henri II (effervescente, hors appellation) et en blanc, Les Quatre Éléments. 29 rue des Côtes 57420 Marieulles. 03 87 52 09 02.Domaine du Stromberg
A Petite Hettange, pile au-dessus du Château des Ducs de Lorraine, Jean-Marie Leisen, Bernard Petit et Thierry Caboz se sont associés pour perpétuer le domaine familial des Leisen sur 9 ha et demi. Les vins sont régulièrement reconnus au Concours Général du Salon de l’Agriculture. Cuvées : L’Auxerrois et le Müller-thurgau (fins amers); Les Contemplations 2014 (suave et fruité). 21-23 Grand rue 57480 Malling. 03 82 50 10 15.Domaine Sontag
C’est à Contz-les-Bains, petit village épousant le cours sinueux de la Moselle, que Marie-Antoinette, aidée de son mari Gérard, a relancé l’activité de ses parents dans les années 1965. Depuis 2007, son fils Claude exploite le domaine familial, rejoint en 2020 par sa fille Mélanie. Six hectares en culture raisonnée, vinifiés de façon traditionnelle. Cuvées : Les Blasons 2021 et Charmes 2024. 5 rue Saint-Jean 57480 Contz-Les-Bains. 06 78 59 35 95.Domaine Rémi Gauthier
Dans le Saulnois, sur les coteaux de Vic-sur-Seille, Rémi a repris le domaine familial, relancé par son père Claude à la fin des années 1980. Parmi les pionniers du renouveau des vins de Moselle, le paternel avait planté quelque 3000 pieds de vigne, et produit une dizaine de millésimes salués par les critiques et récompensés par des médailles. Formé à Beaune pour la théorie, et côté pratique en Ardèche chez son frère Sylvain (le Domaine des Pierres Sèches), Rémi travaille 3 ha en bio et biodynamie. Cuvées : In Extenso Pinot Noir 2022, d’une grande richesse, qui se gardera facilement 5-7 ans. A boire sur la jeunesse, Primitiae Pinot Noir 2022 (rond et fruité, fruits rouges bien mûrs, finale toute en fraîcheur). In Extenso Auxerrois 2022, blanc sec équilibré, fruité, porté par une belle trame saline et minéral. 19 Rue des Petites Salines 57630 Vic-sur-Seille. Sur rdv : 06 23 45 63 31.Plus de domaines : cliquez ici

Photographie en Une : AOC Moselle territoire Thionville © Guillaume Ramon Sierck
