Une rencontre comme une évidence
Céramiste passionnée, Cécile commence sa formation à 16 ans . Passée par Vallauris durant son apprentissage, elle s’implante à Arles il y a une vingtaine d’années. C’est là qu’en 2013 Madame Charial (la femme du propriétaire de Baumanière) découvre ses créations. « Elle a beaucoup aimé le grès porcelainique que l’on trouve maintenant sur les tables du restaurant ». Le coup de foudre est tel que les créations de l'artiste vont se retrouver en vente dans la boutique de l’Oustau.
Pendant plusieurs années, la céramiste va distribuer ses œuvres au cœur des Baux de Provence tout en continuant son travail quotidien dans son atelier arlésien. Mais une arrivée va tout changer : celle de Glenn Viel aux commandes des cuisines de l’Oustau de Baumanière en 2015.
« Quand je suis arrivé, on avait vraiment un manque énorme en termes de vaisselle, ça m’arrivait même d’aller chercher des assiettes en sortie de plonge ! Donc un jour je suis descendu voir ce qui se vendait dans la boutique pour chiner 2,3 assiettes et c’est à ce moment-là que je suis tombé sur les créations de Cécile, que j’ai trouvées superbes ». L’alchimie créative se fait quasi immédiatement et la céramiste va opérer un travail de titan pour doper le stock de vaisselle. « Pour vous donner un exemple, on est passé en un temps record de 25 saucières à pas loin de 300 » précise le chef.
Synergie créative
Le travail du binôme est ainsi porté par une sensibilité commune. Pourtant leur artisanat respectif amène son lot de contraintes que les deux cerveaux en ébullition permanente tentent de contourner comme le détaille le récent juge Top Chef. « Je fais des demandes, j’ai des idées mais ça n’est pas un monologue. On communique beaucoup pour développer les objets, et je n’ai pas forcément conscience de toutes les contraintes ou des délais qu’on va avoir au moment de tourner ».
C’est grâce à cette communication constante que le binôme va pouvoir développer des objets uniques qui font aujourd'hui partie intégrante de l’expérience de table offerte par le chef et ses équipes. Glenn Viel et Cécile Cayrol souhaitent proposer une réflexion poétique autour de l’environnement et sa perception : « le porte-couteau reprend l’idée d’un galet qui se serait fragmenté en tombant de la montagne et les huiliers ont une texture externe différente, plus ou moins rugueuse, selon l’huile qu’ils contiennent ». On pourra également citer l’assiette dite "Anépomme", ou défaut de la mer, un plat qui ramène aux fonds marins, jusque dans le geste du cuisinier qui, avec son pinceau, renvoie l'image des tentacules de l’anémone prise dans les va-et-vient des courants.
La céramiste s'impose, elle aussi, certaines limites à l’heure de se lancer dans une création. « J'ai du adapter mon style parce qu’on ne peut pas tout se permettre quand on fait de la céramique destinée à la restauration. Il faut savoir s'effacer derrière la cuisine, et créer pour mettre en valeur les plats du chef... c’est mon rôle ». Cette autocensure artistique est également liée à la fragilité des pièces et aux difficultés de manipulation qui peuvent se présenter en plein coup de feu. « Par exemple pour éviter un maximum de casse, j’évite les ansages qui rendent les objets extrêmement compliqués à manipuler sans dégât ».
De même Cécile a dû privilégier l’utilisation de certaines matières au détriment d’autres. « Au début, on est parti sur du grès roux, c’était très beau mais malheureusement ça se cassait très facilement, on avait beaucoup de pertes... ». Glenn Viel évoque d'ailleurs un chiffre de « casse » approchant les 20 000 euros par an. Des « pertes difficiles » à digérer parfois pour la céramiste qui récupère ses créations brisées comme autant d’enfants disparus. « En général j’essaie de refaire du stock en hiver, et pendant la haute saison, je fais du « réassort » de façon ponctuelle ». Ce réassort consiste soit à tourner de nouveaux plats, assiettes, sauciers… soit à les réparer (une possibilité dans à peine 10% des cas), ce qui signifie un ponçage de la zone endommagée puis un nouvel émaillage.
Pour le binôme c’est donc, depuis 2019, une valse pratico/artistique permanente installée entre la cuisine et l’atelier de céramique, à une dizaine de mètres l’un de l’autre.
Chacun son style
Certains chefs ont décidé de franchir le pas, à l’image de Romain Mahi qui a décidé de tourner ses assiettes lui-même. Dans son appartement parisien, le chef à la teinture blonde donne ainsi naissance à l’ensemble des assiettes et tasses qui finiront sur la table de son restaurant Accents Table Bourse. Loin de se vanter d’être un spécialiste en la matière, Romain Mahi se définit avant tout comme un explorateur qui voit dans la céramique un nouveau champ des possibles. Il a notamment développé un système d’émaillage dans lequel il réutilise ses déchets de cuisine, notamment les coquilles de fruits de mer, pour donner des couleurs allant du rouille à l’azur dans ses créations.
Parmi ces profils de chefs « céramophiles » on peut citer Florent Pietravalle qui officie à La Mirande, à Avignon, à l’ombre du palais des Papes. L’esprit en constante ébullition, le trentenaire travaille main dans la main avec TOTO, un atelier de céramique avignonnais pour offrir à sa cuisine des plats à la hauteur de ses recettes. Le chef se rend régulièrement dans l’atelier de Thomas pour lui faire part de ses besoins et de ses idées, et voir comment les concrétiser à l’image des « assiettes réversibles » que le céramiste a créées en constatant que Florent Pietravalle avait régulièrement tendance à utiliser sa vaisselle « à l’envers ».
Difficile donc aujourd’hui de dissocier le contenu de l’assiette de l’assiette elle-même. Les chefs sont de plus en plus nombreux à laisser filtrer leur sensibilité et leur univers dans tous les éléments qui composent la table... Le temps de la recette réussie qui trône au milieu d’une assiette sans personnalité semble révolu.
Hero Image : Cécile Cayrol et Glenn Viel / Florian Domergue