La cuisine française a des racines profondes, mais c’est dans les années 1960 qu’est advenue "la révolution des chefs". Les cuisiniers sont sortis de leur cuisine pour apparaître en pleine lumière et obtenir la reconnaissance de leur travail. La "bande à Paul Bocuse" a modifié en profondeur le PGF (paysage gastronomique français).
Paul Bocuse voit le jour en 1926 dans le restaurant familial, l’Auberge du Pont de Collonges, à Collonges-au-Mont-d’Or. Et c’est au même endroit qu’il décède le 20 janvier 2018. Inlassable défenseur de la cuisine française, lyonnaise en particulier, il n’a eu de cesse de rendre hommage à ses maîtres, Eugénie Brazier et Fernand Point. Meilleur Ouvrier de France en 1961, il décroche pour son restaurant la troisième étoile au Guide Michelin en 1965 et la conserve sans discontinuer jusqu’à son décès. De lui, on retient la soupe aux truffes noires VGE, imaginée en 1975 à l’occasion de sa remise de légion d’honneur par le président Valéry Giscard d’Estaing, ses bons mots ("la nouvelle cuisine, c’était rien dans l’assiette, tout dans l’addition") et la création du Bocuse d’Or, plus grand concours culinaire du monde.
Parmi ses pairs, Roger Vergé n’a pas été le moins talentueux. Décédé à l’âge de 85 ans en 2015, l’enfant de Commentry, dans l’Allier, fut l’artisan du renouveau de la cuisine méditerranéenne, chantre de la tomate et de la courgette. Après avoir repris Le Moulin de Mougins en 1969, il connaît une ascension fulgurante, une première étoile en 1970, la deuxième en 1972, et la troisième en 1974. Il fut aussi l’un des premiers cuisiniers français à s’exporter. En 1982, il ouvre avec Paul Bocuse et Gaston Lenôtre le restaurant de l’Epcot Center dans le parc d’attraction Disney World, en Floride.
“Alain Chapel n'avait pas la truculence de ses camarades, mais une grâce folle.”
Avec Paul Bocuse et Roger Vergé, on pouvait parfois apercevoir un chef plus discret, regard bleu acier et voix grave. Décédé prématurément à l’âge de 52 ans en 1990, Alain Chapel n’avait pas la truculence de ses camarades, mais une grâce folle. À Mionnay, où il avait succédé à ses parents, il a initié une cuisine avant-gardiste dans l’esprit, proche des producteurs, des vignerons en particulier. Elle est résumée dans la préface de 70 pages de son seul livre, La cuisine c’est beaucoup plus que des recettes (Robert Laffont, 1980).
Dans le quatuor des chefs qui ont marqué l’histoire, Joël Robuchon avait presque vingt ans de moins que Paul Bocuse et quinze ans de moins que Roger Vergé. Il était né huit ans après Alain Chapel. Meilleur Ouvrier de France en 1976, il est parti le 6 août 2018. On se souviendra de son titre de "cuisinier du siècle" décerné en 1990 et partagé avec Paul Bocuse, Frédy Girardet et Eckart Witzigmann. On n’oubliera pas qu’il a cumulé jusqu’à 32 étoiles, record absolu, ambassadeur plénipotentiaire de la cuisine française, de Las Vegas à Macao, de Tokyo à Londres, de Bangkok à Montréal. Il laisse aussi une purée fameuse et une formule passée dans le langage courant, "bon appétit, bien sûr", sa signature télévisuelle. Le grand projet d’école qu’il avait lancé à Montmorillon devrait lui survivre. La transmission, c’était l’essence de son travail.