Valentina Giaccobe qui a ouvert Ginko, avec son compagnon et pâtissier Julien Ingaud-Jaubert en septembre 2023 à côté de la Grand'Place à Lille, n'a pas suivi un parcours classique en cuisine. Ce qui n'a pas empêché la jeune reconvertie passée en express par Ferrandi, de taper dans l’œil des Inspectrices et Inspecteurs du Guide MICHELIN, qui saluent « la cuisine créative et délicate de la cheffe (qui) montre autant de personnalité que de justesse ». Rencontre avec cette jeune femme discrète mais qui sait où elle va.

Quels souvenirs gardez-vous de ce 31 mars à Metz ?
Une grande surprise et beaucoup d'émotion. Je ne m'y attendais pas du tout. Je suis quelqu'un de très réservé et, si j'avais imaginé plein de scénarios dans ma tête, celui-ci était le dernier que j'aurais pu envisager. De manière très naïve sans doute, je ne pensais pas qu'on pouvait avoir deux prix le même soir ! Sur le moment, cela s'est passé très vite et tout s'est enchaîné. On ne réalise pas vraiment. Et puis, c'est très impressionnant d'être sur scène. J'aurais voulu dire plein d'autres choses...Justement, que voulez-vous dire aujourd'hui ?
J'aimerais remercier mon équipe. Je suis très fière d'elle. C'est vrai qu'on avait un peu cet objectif, on ne va pas le nier, mais on était plus dans une stratégie de moyens que de résultat. Surtout que la plupart d'entre eux n'avaient jamais fait de gastronomie. On tient beaucoup avec Julien a maintenir une équipe ouverte et à donner sa chance à tout le monde. C'est une énorme fierté et une énorme réussite. Je vois que cela les motive encore plus à bien faire et cela me fait très plaisir. Je souhaite aussi mettre en lumière Julien, on est associés/gérants à 50/50. C'est vraiment un travail à deux.
Qu'est-ce-que ces deux prix ont déjà changé pour vous ?
L'effet Michelin est indéniable. En deux jours, on a rempli un mois de réservations ! C'est fou. La presse nous sollicite beaucoup. Après, j'imagine que le soufflé va un peu retomber, mais les prix et ce coup de projecteur vont sans doute nous permettre de mieux nous projeter. Depuis le Covid, l'activité était très calme et aléatoire à Lille. Là, entre Rozò qui a obtenu une deuxième Étoile et nous (sans oublier tous les autres), on espère pouvoir imaginer de grandir et de faire grandir les gens qui sont à nos côtés. C'est important. On va essayer de recruter en cuisine pour avoir plus de confort, faire évoluer l'espace, l'expérience client. Les idées ne manquent pas.
Ce prix du Jeune Chef, pour une jeune reconvertie comme vous, cela n'est pas rien. Pouvez-vous retracer un peu votre parcours pour les jeunes qui voudraient suivre vos pas ?
C'est sûr qu'avoir un tel prix quand on n'est pas du sérail, c'est encore plus émouvant. Comme quoi, tous les chemins mènent à Rome ! En ce qui me concerne je voulais faire des arts plastiques, mais avec une mère diplomate on me l'a déconseillé. J'ai donc suivi des études de sciences politiques en Italie, après avoir beaucoup voyagé à ses côtés pendant mon enfance. Pourtant, j'ai toujours eu cette envie et ce besoin de travailler avec mes mains. J'ai toujours beaucoup cuisiné, même au collège - et j'adorais déjà l'univers de la restauration. J'ai même fait un stage dans l'hôtellerie, mais l'expérience était si horrible que j'ai fait une croix dessus pendant longtemps.
À la fin de mes études, cela m'est revenu. Je voyais des femmes à la télévision qui avaient fait des reconversions en cuisine, j'aimais toujours cuisiner et je me suis dit que cela ne me dérangerait pas de le faire toute la journée. J'ai cherché des formations sur Internet et j'ai atterri à Ferrandi. Je crois que cela leur a plu que je leur dise que j'avais envie de travailler le plus vite possible. J'ai fait mon alternance chez Pierre Gagnaire, puis j'ai postulé chez Christophe Saintagne. Je ne sais plus exactement pourquoi, mais sa cuisine me parlait. Sans doute ce côté nature et technique « cachée », tout sauf démonstrative. Sans oublier son discours sur la saisonnalité, très moderne à l'époque (ndlr : il y a une dizaine d'années). Puis j'ai suivi Diego chez Rozò. Et la suite, vous la connaissez.

Si vous deviez donner un conseil à un jeune en formation, quel serait-il ?
Je dirais qu'on n'est pas obligé de commencer trop tôt, il faut pouvoir se construire un peu avant. Il faut faire plusieurs expériences pour comprendre ce qui nous convient ou pas. Le monde de la gastronomie est vaste. Il faut aussi savoir mettre des limites de manière claire, saine et en communiquant pour trouver et garder son équilibre. Se créer sa propre liberté.Voir le chef Bernard Pacaud et sa femme Danielle sur scène, cela vous a fait quelque chose ?
C'était incroyable. Toute une vie de travail, la continuité dans l'excellence. Ça force le respect et l'admiration. Je ne sais pas si je me retrouverais un jour à leur place. Ce serait fou. Je serais très surprise (mais je suis tout le temps surprise). Dédier toute sa vie à un projet qui devient un projet de vie... C'est difficile à comprendre quand on n'est pas du milieu, mais c'est très beau.
Hero Image : Valentina Giaccobe reçoit le Prix MICHELIN du Jeune Chef 2025 des mains de Gilles Goujon © Le Guide MICHELIN
