"Du plongeur au sommelier, toute l’équipe, très soudée, a encaissé le coup – il y a eu des larmes. Mêmes les plus jeunes qui travaillent à mes côtés ont montré une gravité inédite. Je les ai sentis profondément perturbés par cette annonce. Lors de ce dernier service, la trentaine de clients présents a joué le jeu en commandant uniquement des menus "dégustation" : ils avaient bien conscience de savourer leur dernier dîner dans un restaurant gastronomique avant longtemps.
Côté stock, j’avais été précautionneux. La fréquentation était déjà en berne, je créais mes menus au jour le jour. Néanmoins, et non sans regret parfois, j’ai mis beaucoup de produits en conserve ou en fermentation, comme de superbes asperges blanches des Landes. Si l’asperge gagne vraiment à être travaillée fraîche pour son croquant et son juteux, elle développe d’autres saveurs quand elle est fermentée, en plus de garder... son croquant. C’est triste à dire, mais je serai heureux de retrouver ce produit lors de la réouverture, ainsi que d’autres petits trésors. En revanche, beaucoup de produits saisonniers ne seront jamais à la carte des restaurants cette année, comme les morilles.
“Nous avons ressorti le violon et le violoncelle : on se retrouve en duo pour jouer des petites choses de Bach...”
À la maison, on se repose et on fait du sport. Nous avons aussi repris la musique, mon épouse Laurence et moi-même. Avant de succomber aux arts de la table après un dîner dans un restaurant étoilé en 2008, nous étions respectivement violoniste et violoncelliste dans l’orchestre du Capitole de Toulouse. Nous avons eu un immense plaisir à retrouver nos instruments pour aller chercher, comme dans une belle assiette, de l’intensité et des sensations. On se retrouve en duo pour jouer notamment des petites choses de Bach.
Il y en a une qui se réjouit du confinement : ma chienne, un berger australien, qui profite désormais de ses deux maîtres à plein temps. Je consacrais beaucoup de temps à son éducation quand j’étais musicien. Je pense aussi beaucoup à nos clients et à notre métier de restaurateur – ce confinement est peut-être l’occasion de renouer avec la quintessence de notre métier, avec notre rôle de "distributeur d’émotions". N’avons-nous pas tendance à faire preuve de trop d’originalité ? À trop donner dans le "menu à rallonge" ? À l’avenir, nous devrons probablement nous recentrer sur le rôle essentiel du restaurant : faire plaisir à nos clients".
Nicolas Thomas est le chef de la Promenade, à Verfeil.