Actualités 2 minutes 28 mai 2021

Fête des mères : Bernard Pacaud nous raconte La Mère Brazier

Celle qu’on appelait affectueusement « la Mère Brazier » a recueilli et élevé Bernard Pacaud comme son propre fils. Le chef de l’Ambroisie se souvient de l’affection bourrue de cette mère adoptive, qui ne l’abandonnera pas et dont il ne trahira jamais les enseignements.

Il l’appelle "la Mère", mais on entend "ma mère". Ses parents biologiques, Bernard Pacaud les a à peine connus. Enfant de la DDASS, ballotté de foyers en familles d’accueil, il trouve enfin au Col de la Luère, chez Eugénie Brazier, "un toit et un métier", selon ses propres mots. Une famille aussi. Eugénie Brazier, qui avait déjà accueilli Paul Bocuse, se chargera de son éducation, cet "apprentissage de la vie", et quand Bernard Pacaud doutera de son métier, elle saura trouver les mots qui raviveront, en lui, la flamme. Alors que l’on fête cette année le centenaire du restaurant La Mère Brazier, souvenirs nostalgiques d’une Mère qui n’avait pas usurpé son surnom.

“Avec Paul Bocuse, nous sommes demeurés des enfants de la Mère Brazier”
De la DDASS à la Brazier
Bernard Pacaud : "J’ai été placé à la DDASS très jeune, et je retournais voir ma mère pendant les vacances. Et puis, un jour, elle a déménagé sans me prévenir. A 14 ans, j’ai été placé dans un foyer tenu par des prêtres ouvriers, situé à trois kilomètres du col de la Luère, où se trouvait le restaurant d’Eugénie Brazier. Les samedis et dimanches, je montais les 3 km à vélo pour faire la vaisselle en échange de quelques sous. Ça commençait à me plaire, ça m’éloignait de la pension. Après 3 mois d’essais, elle m’engage ! J’avais quinze ans. Manque de chance, je suis hospitalisé en urgence pour une crise d’appendicite aigue. Et je vois la Mère débarquer à l’hôpital les bras chargés de tartes et de viennoiseries : "Alors, il sort quand le petit ? Il y a la saison qui commence ! "
La mère Brazier : une femme de caractère forgée par son travail
"La mère, c’était un caractère bien trempé. La vie ne l’avait pas épargnée. Comme dit Jacotte, sa petite-fille, « Eugénie Brazier, c’était Germinal ». Mais elle s’était battue, et toute sa vie, elle était demeurée fidèle à ses exigences : les meilleurs produits de saison, un immense respect envers ses fournisseurs, une grande générosité, et une détermination implacable, qu’elle m’a transmise. Ses enseignements sont toujours présents en moi."
"Il me serait très agréable d'apprendre un jour que tu as réussi" : la lettre d'Eugénie Brazier adressée à Bernard Pacaud en 1969 ©BP
"Il me serait très agréable d'apprendre un jour que tu as réussi" : la lettre d'Eugénie Brazier adressée à Bernard Pacaud en 1969 ©BP
Mai 68 : quand la Mère Brazier me remet sur le droit chemin
"En mai 68, j'ai fait ma petite révolution personnelle. Comme j'aimais le sport et que je pratiquais beaucoup, il m’est venu l’idée de devenir prof de gym. Quand elle apprend ça, elle m’écrit une lettre, que j’ai conservée : "Mon cher Bernard, dit-elle, je sais qu’il est de moments très difficiles dans la vie, mais qui est celui qui n’a jamais lutté ?" J’ai enlevé mes tennis et je me suis remis aux fourneaux".
Chez Paul Bocuse , devant l'effigie de la mère Brazier, Bernard Pacaud et Jacotte Brazier, sa petite fille ©Bocuse
Chez Paul Bocuse , devant l'effigie de la mère Brazier, Bernard Pacaud et Jacotte Brazier, sa petite fille ©Bocuse
Avec Paul Bocuse, l’autre enfant spirituel
"Quand on se retrouvait avec Paul, on ne pouvait s’empêcher d’évoquer la Mère avec des larmes dans la gorge. C’est Bocuse qui avait détourné La Mer, la chanson de Charles Trenet, « La Mère qu’on voit gueuler au Col de La Luère… ». Il y avait chez Bocuse une générosité dans l’assiette et dans l’âme, qui rappelait Eugénie Brazier. Je me souviens être venu fêter la troisième étoile à Collonges, avec tous mes chefs, soit deux tables remplies, et on s’était fait plaisir ! Quand je demande l’addition, Paul éclate de rire : « Tu as payé le train, tu ne vas pas payer le repas ! ». Lui autant que moi, nous sommes demeurés des enfants de la Mère Brazier".
Un souvenir : le dessert à la pêche
"Je me souviens d’un dessert exceptionnel, qu’on ne faisait qu’en saison. Au fond d’un plat sabot ovale, on déposait du caramel, des oreillons de pêches pochées et du beurre. On plaçait le tout au four. Le beurre moussait, ça détendait le caramel, c’était magnifique à voir. On déglaçait au kirsch, et à la fin, on écrasait des pralines roses. La mère servait le dessert accompagné d’une galette bressanne (brioche, crème double, sucre). C’était absolument splendide".

Illustration de l'article © Jacques Gavard

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