Quelques minutes avec Laurent Petit suffisent à comprendre que l’homme est heureux. La voix est enjouée, les sourires non feints et le discours naturel, comme sa cuisine. Après plusieurs mois de fermeture, il aime à dire : "Je retrouve ma respiration, celle qui rythme un service, celle de la création." Mais aussi la respiration de cette nature qui l’entoure à travers son jardin en permaculture qui ne cesse de s’épanouir : "Au fil des ans, nous avons replanté des vergers, des arbustes, récupéré des mètres carrés supplémentaires." Pour autant, sauf éventuellement sur certaines variétés et seulement en été, Le Clos des Sens n’est pas autosuffisant : "Ce n’est pas ce que nous recherchons car nous devons conserver des liens avec nos producteurs, nos cueilleurs, nos ramasseurs." Pour Laurent Petit, le jardin c’est d’abord la quintessence de la fraîcheur, du goût, du parfum, de la précision aromatique… mais aussi l’ouverture d’esprit de ses cuisiniers-jardiniers qui s’impliquent dans le jardin comme en cuisine. "J’ai la chance de travailler avec une équipe que je qualifie de végétale. J’adore les emmener sur ce chemin et ils me le rendent bien comme une de mes jeunes collaboratrices qui m’a présenté récemment, un feuille à feuille d’ortie et pousses de résineux en pickles." C’était bien exécuté et Laurent a décidé de le servir en salle.
À l’écouter, le végétal va prendre de plus en plus de place : "Je suis comme un gosse car je me rends compte que pour chaque variété, on peut encore aller plus loin." Pousser le légume, le fruit, l’herbe dans ses derniers retranchements, telle est désormais la recherche du chef en déclinant ou en interprétant de mille et une façons un produit à travers les vinaigres, les fermentations, les textures. Dans son viseur en ce moment, l’oignon que personne ne pouvait l’imaginer invité à une telle fête, lui l’habitué des seconds rôles mais aussi le cumin des prés frais conservé une année pour trouver sa place dans une gelée d’eau de fraises. Et le chef de conclure : "Cette nature, cet environnement, ce jardin, c’est sans fin. Je réfléchis même à proposer aux clients de manger une salade avec les doigts. Cela permet d’être en communion avec cette terre nourricière." Effectivement, qui ne l’a pas déjà fait discrètement ?
Quel bilan tirez-vous de votre virage lacustre et végétal six ans après l’avoir mis en place ?
LP : "La question ne se pose plus. Je suis un homme pleinement épanoui, en phase avec ma volonté de défendre notre environnement. Ce qui me séduit le plus aujourd’hui, c’est la nouvelle clientèle qui vient à nous, beaucoup de trentenaires, de quadras qui sont là pour le propos, pour cette cuisine locale, pour le jardin, pour la bienveillance, pour l’esprit qui se dégage de notre maison aujourd’hui. Cette nouvelle génération de gastronomes m’émeut parce que je représente, mais je ne suis évidemment pas le seul, tout ce qu’elle attend de la gastronomie, qu’elle écologique, engagée et responsable."
Si une majorité de vos clients est en phase avec votre cuisine, votre équipe en salle comme en cuisine l’est-elle autant ?
Aujourd’hui oui, mais ça ne l’a pas toujours été. Quand j’ai pris ce virage, il y avait un décalage entre des personnes présentes à mes côtés depuis quelque temps et qui ne comprenaient où je voulais aller et surtout le pourquoi de la démarche. Désormais 100% de mes employés me suivent et même me poussent ou m’encouragent à aller encore plus loin dans une gastronomie durable. C’est excitant d’être porté par une équipe en phase avec ce que j’avais d’enfoui au plus profond de moi. Nous sommes très soudés et en même temps, je leur laisse beaucoup plus de liberté. Pour preuve, l’ouverture du Cortil (jardin en patois Savoyard), un restaurant éphémère de 7 tables au milieu du jardin. C’est une partie de mon équipe qui va le gérer, presque sans moi, parce que nous sommes dans cet esprit de confiance, d’échange et de partage.
Est-ce que vous avez adapté vos principes écologiques, vos engagements aux autres établissements que vous possédez ?
Il est vrai que dans un premier temps, seul Le Clos des Sens était le porte-drapeau de cette gastronomie durable, mais il fallait une logique d’établissements. À la Brasserie Brunet au centre d’Annecy, nous y sommes arrivés en travaillant avec le chef, Nicolas Guignard, sur un sourcing local. Comme ça reste une brasserie, je ne peux pas enlever du jour au lendemain les viandes mais on les a réduites et surtout, elles sont achetées entières et localement notamment celles de Michel Laplace à Étercy ou celles de Sylvie et Fred Bibollet à Marcellaz. La place accordée au végétal est de plus en plus importante et globalement, les achats se font sur notre territoire savoyard. Nous sommes désormais tous en cohérence avec le propos de départ.
Laurent Petit est le chef du Clos des Sens, à Annecy (74).
Illustration de l'article : Matthieu Cellard