Reportages 3 minutes 07 juin 2022

Tortillas 100% made in France : bienvenue au Nixtamalistan

A l'image de la baguette française, les fameuses galettes de maïs sont les fiers emblèmes de la cuisine mexicaine. Sous ses airs de simple rond de pâte, la confection de la tortilla exige la maîtrise d'une technique ancestrale, la nixtamalisation. Reportage (gourmand) dans le restaurant Oxte, à Paris.

La cuisine française est profondément liée à sa technique. Lieu de passage obligé pour la plupart des cuisiniers désireux de se perfectionner, la France n’a pourtant pas le monopole de la valorisation du produit. Loin de là. La gastronomie bleu blanc rouge s’enrichit de plus en plus d’influences venues des 4 coins du monde. Si la cuisson au bichotan ou la pêche ikejime illustrent l’influence nippone que la gastronomie japonaise a eu sur la cuisine en France, par exemple, d’autres techniques plus méconnues intègrent petit à petit les tables en vogue, et notamment certaines venues du Mexique. L’obtention en 2021 d’une première étoile pour le restaurant mexicain Oxte, et son chef Kike Casarrubias, en est probablement la meilleure preuve. Parmi les techniques du pays de Diego Rivera et Frida Kahlo, l’une d’entre elles se pose comme « celle pour les dominer toutes » : la nixtamalisation. C’est autour de cette technique que le chef à moustache, et Criss Mailleux tortillera en chef se sont rencontrés.

Photo Florian Domergue
Photo Florian Domergue

Dérivée des mots Nahuatl « nextli » (cendre) et « tamalli » (farine de maïs moulu), la nixtamalisation permet de rendre la coque externe du maïs mole, tout en conservant la fermeté de la chair et un maximum de fibre à l’intérieur du grain. Dans l’idée, le process consiste à cuire du maïs dans une solution alcaline afin de créer une pâte plus élastique et plus facilement transformable, à l’image de ce que peut produire le gluten lorsque l’on travaille le blé. Traditionnellement réalisée avec des cendres, elle est désormais perfusée à l’hydroxyde de calcium, de la chaux (alimentaire) qui se trouve en très faible quantité dans de nombreuses préparations alimentaires malgré l’aspect peu aguichant de sa dénomination. « Dans ma recette j’en utilise à peine 0,6% de la masse du maïs à transformer » précise la pétillante Mexicaine passée maître dans la fabrication de tortillas made in France.

Mais la nixtamalisation ne s’arrête pas à la « simple » fabrication de tortillas, puisque les crêpes de maïs elles-mêmes peuvent ensuite être retransformées en les découpant et les faisant frire pour obtenir des chips triangulaires (qu’en France on appelle d’ailleurs tortillas alors que leur nom véritable est totopo) ou en les mélangeant par exemple broyées dans un molé. Le maïs nixtamalisé peut également être réduit en farines sèches ou humides avec lesquelles on préparera notamment des tamales, sorte de gâteau de maïs à la consistance onctueuse cuit dans une feuille de maïs ou de banane.

Photo Florian Domergue
Photo Florian Domergue

Du nord du Mexique à Paris

Pour Criss, tout commence dans l'État du Tamaulipas, dans le nord du Mexique. « Je viens d’une famille d’avocat, psychologue, professeur. Rien à voir avec la cuisine donc. Et pourtant chez nous les jours de fêtes mais surtout pour la fête des morts, ma mère voulait qu’on fasse nos tamales et notre nixtamalisation à la maison plutôt que d’aller à la tortilleria ». Ce qu’il faut comprendre c’est que faire ses tortillas au Mexique revient quasiment à la même chose que faire son pain maison pour un Français, autrement dit cela reste une activité marginale (malgré le passage du Covid et la trend #painmaison). Pour Criss cette tradition de la nixtamalisation maison est donc une bénédiction : « C'est grâce à cette mémoire gustative que j’ai pu développer ma recette ».

Photo Florian Domergue
Photo Florian Domergue

En effet, après s’être mariée avec Arnaud en décembre 2010, elle s'installe en France. Le manque de tortilla (de qualité bien évidemment) se fait rapidement sentir. « Pour moi il était hors de question de devoir attendre d’aller au Mexique pour ramener des tortillas et devoir les congeler». C’est le début d’un an d’expérimentation empirique, car la tortilla de par son caractère populaire est une recette « au doigt mouillé ». Type de maïs, chaleur, humidité, ce sont tous ces paramètres que la Mexicaine va apprivoiser pour atteindre un produit qui correspond à ses attentes. Et surtout, réussir le premier enjeu, trouver le maïs parfait !

« Le maïs qu’on utilise aujourd’hui on le trouve dans le Gâtinais, à une soixantaine de kms au sud de Paris et à 10min de chez nous, j’ai tout de suite su qu’il avait le potentiel pour obtenir ce que je voulais ». Le potentiel oui, le taux d’humidité également ! Car il n’a pas été simple de trouver un agriculteur disposé à adapter ses méthodes. Pour nixtamaliser du maïs celui-ci doit d’abord passer par un séchoir pour atteindre une humidité d’environ 16%, et « en général en France on le sèche plus que ça car il se destine surtout à l’alimentation animale et donc doit pouvoir être conservé facilement » explique Criss et son mari.

Photo Florian Domergue
Photo Florian Domergue

Tacos étoilés

« Après avoir trouvé la recette qui me convenait, il a également fallu acquérir les machines nécessaires à une production plus professionnelle ». Cette production donnera en 2019 naissance à la création de Los Cuates, qui après une courte période comme traiteur va se spécialiser dans la nixtamalisation et la vente des produits issus de ce process : farine, pâte de maïs et tortillas. C’est à travers cette création d’entreprise que le chef étoilé Enrique Casarrubias va faire la connaissance de de Criss. Invités à la chambre de commerce mexicaine pour le lancement, fin 2021, d’un label de « mexicanité » par le gouvernement qui souhaite promouvoir les initiatives gastronomiques de qualité, le chef à moustache et la « norteña » vont très vite travailler main dans la main.

Photo Florian Domergue
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« J’ai beau être chef, je ne sais pas nixtamaliser, donc c’est génial de pouvoir travailler avec les produits de Los Cuates. » Dans les assiettes, ils se déclinent en réconfortants tamales à l’artichaut, en tacos bien dodus débordant d'un poulpe braisé du plus bel effet ou encore en « j-en-redemenderaisque » tostadas. Ce qu'il est important de saisir c'est qu'encore une fois, comme le pain, la tortilla est un profond marqueur de mémoire sensorielle et gastronomique. « Ce que j'adore quand je reçois les tortillas ou la pâte de maïs c'est l'odeur, l'odeur des rues au Mexique que je retrouve ». Ainsi, grâce à cette collaboration, le chef peut continuer à explorer sa cuisine maternelle dont certains pans lui étaient paradoxalement presque inaccessibles. « Pour moi c’est un appui nécessaire parce que le maïs est capricieux et grâce à Criss et son mari, je peux m’appuyer sur une connaissance et une expertise pour travailler et affiner des recettes qui autrement me prendraient beaucoup plus de temps à mettre au point ».

Hero Image : Florian Domergue

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