Les origines
« J’habite à 8km de la mer et des grandes plages de la côte d’Opale, donc quand j’étais gamin et que j’allais ramasser les coquillages avec mon père, ça faisait partie du décor, la notion d’iode et parfois sa puissance est quelque chose de commun pour moi depuis toujours » explique le chef qui depuis 15 ans sert de « l’eau de mer » à ses clients. Une eau minérale infusée aux algues et au citron à laquelle on ajoute du sel marin, pour donc recréer une « eau de mer » la plus pure possible. « Ensuite nous on utilise ça sous plein de formes, comme par exemple en venant le verser à froid sur un homard, ou en la servant tout simplement à boire ».
Pourtant pour le public français, consommer des algues est loin de faire partie des mœurs même si depuis quelques années elles possèdent un ambassadeur extrêmement influent : Le Japon ! « Les Japonais, sans le savoir, ont beaucoup fait pour démocratiser les algues et leur consommation. C’est notamment grâce à leur gastronomie que le reste de la planète a commencé à les valoriser et à en comprendre les différents usages possibles. »
Un Japonais consomme en moyenne de 7 à 9 kg d’algue fraîche par an. En France la consommation est plus anecdotique et seule 9 % de la population intègre les algues dans son alimentation au moins une fois par semaine (chiffre qui pourrait tout de même paraître étonnant de par son ampleur mais qui s’explique par la consommation massive de sushis et l’introduction de la spiruline).
Les premiers pas
Les premières algues que le chef de La Grenouillère va intégrer à sa cuisine seront donc l’iconique Nori* ainsi que son acolyte préféré le wakame**. « Quand j’ai commencé à cuisiner il y a 20 ans, j’ai utilisé des algues. A cette époque c’était surtout des algues séchées type Nori ou wakame que j’utilisais pour des bouillons. Puis petit à petit ça s’est développé. » Au total aujourd’hui ce sont 5-6 algues qui composent la palette que le chef utilise dans ses assiettes. Ce nombre relativement réduit en comparaison du nombre d’algues référencées dans le monde s’explique très facilement par le fait que toutes les algues ne sont pas comestibles et surtout qu’à l’image de la flore terrestre, les algues, elles aussi, poussent dans des régions différentes selon leurs caractéristiques.« Je travaille notamment avec une ferme aquacole au large de Concarneau qui nous fournit des produits qui poussent dans des eaux pures qui sont tout le temps brassées. Pour nous c’est un privilège de pouvoir exploiter des produits aussi frais ». C’est également un véritable challenge, car les algues, au-delà de cette fraîcheur, restent un produit dont les utilisations sont encore issues d’expérimentations plutôt que d’une réelle littérature gastronomique. Pas la peine d’aller chercher chez Escoffier des recettes autour de la flore marine.
Un produit (pas) comme les autres ?
« Aujourd’hui on a la même recherche sur les algues que sur d’autres produits, on va travailler les différents types d’iodes, les différentes textures pour essayer d’amener nos clients vers de nouvelles expériences ». Par exemple, ce plat de « pâtes carbonara » où les traditionnelles tagliatelles sont remplacées par des haricots de mer*** « que l’on ébouillante dans une eau salée ». « Ce qui est fou c’est que les gens pensent que ce sont des pâtes aux algues alors qu’en fait c’est tout simplement 100 % de l’algue ». Ainsi, les végétaux offrent un nouveau champ des possibles pour les cuisiniers/explorateurs qui s’activent tous les jours derrières les fourneaux pour faire frémir les sens gustatifs de leurs clients.
« C’était un défi d’aller au-delà des appréhensions des gens. C’est une autre façon d’envisager notre alimentation même si de prime abord elle n’est pas forcément sexy ». Autre type d’alimentation, mais également un autre type de culture qui fait que les algues se présentent aujourd’hui comme une championne de sobriété en terme d’impact carbone et d’utilisation de produits chimiques puisque contrairement à l’agriculture, l’algoculture de macroalgues en milieu naturel ne consomme ni eau douce, ni fertilisants, ni pesticides. En comparaison, le nombre de traitements phytosanitaires est en moyenne de 6,6 par an pour le blé en France.
Enfin, en termes de santé, difficile de passer à côté du phénomène spiruline (micro-algues) et ses vertus « rééquilibrantes » pour les organismes dont Alexandre Gauthier est un fervent consommateur. « C’est le premier truc que j’ingurgite de la journée, avant même le café »
Les algues semblent donc promises à un avenir radieux aussi bien grâce à leurs valeurs nutritives et gustatives que pour leur statut de bonnes élèves de l’écologie. Reste maintenant pour les chefs à leur donner tout l’amour qu’elles méritent pour définitivement l’intégrer dans le paysage de la nouvelle cuisine française !
Le secret du chef
Pour préparer les haricots de mer comme des pâtes, l'idée est de les chauffer dans l'équivalent de leur environnement naturel : l'eau de mer. On recrée donc cette eau de mer avec une proportion de sel de mer représentant 3,5% du volume d'eau. La cuisson est alors similaire à la cuisson de pâtes fraîches : dans une casserole d'eau de mer, on ébouillante les haricots de mer 15 à 25 secondes. Leur couleur passe d'un vert foncé à un vert frais et plus lumineux, comme un petit pois. On peut alors les préparer comme on le souhaite que ce soit en carbonara (sans crème !) avec un pesto ou pourquoi pas en bolognaise.
* Porphyra spp. : nori. Algue très fine pouvant mesurer jusqu’à 60 cm. Elle a été la première algue dont la culture a été maîtrisée en Asie. C’est l’algue la plus consommée dans le monde, on la retrouve notamment dans les makis. Elle se récolte du printemps à l’automne.
** Undaria pinnatifida : wakamé ou fougère de mer. C’est une des algues les plus commercialisées. Elle aime les courants violents et froids et peut mesurer jusqu’à 2-3 mètres de long. En Bretagne et en Méditerranée, elle est considérée comme une plante invasive. Sa récolte a lieu au printemps et en été.
*** Himanthalia elongata : haricot de mer ou spaghetti de mer. Ses lanières lisses peuvent mesurer jusqu’à 3 mètres de long. On la trouve généralement lors des grandes marées. Sa récolte se fait de mars au milieu d’été quand les tissus sont encore tendres.
Alexandre Gauthier est le chef du restaurant La Grenouillère, à La Madelaine-sous-Montreuil.
Hero Image : Alexandre Gauthier par Florian Domergue.