De Marcel Proust à Kate Moss, en passant par Jack Nicholson et Saint-Laurent… Depuis la fin des années 1800, le légendaire hôtel Les Bains (Une Clef MICHELIN) a vu défiler à la fois le tout Paris et la crème de la crème d’Hollywood. Son histoire atypique s'étend sur trois siècles.
Le producteur et réalisateur français Jean-Pierre Marois, actuel propriétaire, a lui-même assidument fréquenté les lieux. Il a quinze ans lorsqu’il assiste à l’inauguration des Bains, en 1978. Sans savoir que 37 ans plus tard, en 2015, par un curieux coup du destin, il transformera le night-club de son adolescence en hôtel, restaurant, spa et bar… En conservant le mythique dance-floor au sous-sol !

1885 : les Bains Guerbois, les thermes de Proust et Monet !
L'aventure commence à la fin du XIXème siècle. L’homme d’affaires François-Auguste Guerbois inaugure le Café Guerbois, célèbre lieu de rencontre des premiers impressionnistes, sur l’actuelle avenue de Clichy, dans le 17ème arrondissement de Paris. Imaginez Zola, Degas, Renoir, Sisley et Cézanne, réunis autour de Monet sur la terrasse pour un café littéraire.
Puis avec son fils Alain, François-Auguste se lance dans un nouveau projet : créer rien de moins que le plus beau spa de la capitale. Ensemble, ils fondent en 1885 les Bains Guerbois, au cœur du 3ème arrondissement de la capitale, dans le quartier du Marais. Et font appel à l'architecte Eugène Ewald pour ériger une somptueuse bâtisse en pierre, destinée à accueillir les bains chauds. Le succès est immédiat : Les Bains Guerbois deviennent un haut lieu de la vie parisienne, dont les habitués ne sont autres que Proust, le brillant groupe des Batignolles et tout le gratin de la Belle Époque.

1978 : Les Bains Douches, salle de concert et Club sulfureux
Dans les années 1970, le père de Jean-Pierre Marois rachète l'immeuble à la famille Guerbois et le met en location. L’espace désuet est transformé en une salle de concert doublée d'un restaurant et d'une boîte de nuit. Les Bains Douches deviennent alors une sorte de version française du célèbre Studio 54 New Yorkais.
Une révolution dans la vie nocturne parisienne : « La musique, le punk en particulier, a été la première porte d'entrée vers ce monde plus branché », explique Jean-Pierre Marois. « Ce que proposaient Les Bains, c'était plus mordant, plus sulfureux, plus radical que tout ce que j'avais connu. Ça m'a appris une ou deux trucs », se souvient-il en riant.


Entre un concert privé de Prince et un dîner avec le manager des Sex Pistols, Jean-Pierre Marois rencontre tous ses idoles en chair et en os : les Rolling Stones, Joy Division, Jack Nicholson… Pendant ce temps, des célébrités issues du monde de la mode se retrouvent pour dîner, tandis que d'autres se meuvent sur la piste de danse en damier signée Philippe Starck.
Au fil des ans, le lieu attire un grand nombre de stars : Jean-Paul Gaultier, Catherine Deneuve, Robert De Niro, Sean Penn, Johnny Depp, Kate Moss, Karl Lagerfeld, et bien d'autres encore… « L'endroit était à la fois très sélect et voué à la diversité. C'était très éclectique. La videuse, Marie-Line, sélectionnait la clientèle comme un peintre sa palette ».

Début 2000 : Les Bains Paris, l’hôtel branché du Marais
Las, au début des années 2000, fini l’âge d’or ! Le club entame un sérieux déclin. La structure même du bâtiment est menacée, entraînant la fermeture de l’établissement. Jean-Pierre Marois prend la relève pour sauver ce lieu unique qui appartient à sa famille depuis des décennies.
Déjà à la tête de l'hôtel Gabriel dans le 11ème arrondissement, ce businessman doublé d’un esthète n'est pas tout à fait novice dans le monde de l'hôtellerie. Il s'attache à transformer Les Bains Douches en Les Bains Paris — l'hôtel de luxe bohème, chic et insolite qu’on connaît aujourd'hui.
Les Bains, avec tout leur passé, étaient « vraiment une institution du XXème siècle », explique-t-il. « Le défi consistait à les faire entrer dans le XXIe siècle. Sans déshonorer sa nature pionnière, sans le transformer en pièce de musée ou en le rendant trop conventionnel ». Jean-Pierre lance alors un concours d'architecture pour remodeler la propriété, optant finalement pour la proposition la plus audacieuse . « J'ai réalisé à ce moment-là que l'endroit avait vraiment besoin d'une métamorphose. Et ce n'est qu'en toute liberté que nous pouvions le réinventer. » confie t-il.

Comme il le ferait pour un film, le producteur commence son projet en s'entourant de talents de premier plan. L’architecte Vincent Bastie, avec à son actif quelque 80 rénovations d'hôtels parisiens. Mais aussi les décorateurs d’intérieur Tristan Auer (Le Crillon, Hôtel du Louvre) et Denis Montel. Tandis qu’Alexander Kella, du Château Marmont, travaille sur l'image de marque. Un illustre fleuriste japonais signe les somptueuses compositions florales. Ensemble, ils donnent à l'hôtel une histoire à raconter, qui incite les voyageurs à revenir encore et encore.
Jusqu'à cette odeur, reconnaissable entre mille : Atmosphère, un parfum spécialement créé par Dorothée Piot pour l'hôtel. Dans le le lobby, les couloirs et les salons, bougies parfumées et diffuseurs distillent sa fragrance singulière. Des notes épicées, boisées. Violette, cuir sauvage et encens s’entremêlent sensuellement.
Si le hall et le salon chinois d'origine sont préservés, les autres espaces sont complètement revus, chacun offrant une identité et une expérience uniques. Les trente-neuf chambres et suites, lumineuses et spacieuses, offrent une atmosphère totalement différente. A la fois ravivées et réduites à l'essentiel, leur style s’inspire des années 1950. De son côté, le restaurant Roxo, audacieux et spectaculaire, est à mi-chemin entre un salon typique des Années folles et un vortex futuriste. Sous le plafond pourpre sculpté, le chef brésilien Bruno Grossi préside une carte éclectique. On trouve au bar adjacent les créations d’un des meilleurs mixologues de France. Sans oublier ce Club et sa piscine mythique.


Si l'époque des Bains Guerbois ou des Bains Douches semble lointaine, on retrouve cependant dans ce phénix moderne de nombreux clins d’œil. Les chambres sont par exemple équipées de hammams qui évoquent les origines des Bains… Et de l'autre côté de la rue, une boutique hybride appelée Les Bains Guerbois vend une collection de produits de soins corporels et de parfums. L'ancien réservoir des thermes (une tour de 15 mètres de haut) abrite désormais une salle à manger privée, qui rappelle le romantisme du 19ème siècle des anciens Bains. Il s’agit de l’un des coins préférés du propriétaire, qu’il qualifie de « havre à la Jules Vernes ».
Le cœur festif du lieu demeure également inchangé : quatre à cinq concerts sont organisés chaque semaine. On peut toujours se trémousser sur le damier noir et blanc de la piste de danse, créé par Philippe Starck en 1978. Un festival de musique, ainsi que des expositions et des événements réguliers ravivent la flamme de son héritage artistique et son illustre clientèle. Bon point pour les noctambules : le petit-déjeuner est servi ici jusqu’à 15h.
C'est un lieu pour les gens « qui veulent vivifier leurs sens », résume Jean-Pierre Marois. Comme au bon vieux temps, on peut toujours se jeter dans sa piscine à toute heure, acheter des œuvres d’artistes contemporains, ou des livres. Et, surtout, y croiser parisiens anonymes comme rockstars internationales, écrivains, acteurs, créateurs... A bon entendeur !
Photo de Une : © Les Bains — Paris, France