Reportages 6 minutes 06 mars 2025

Mawa McQueen, de sans-papiers à Trappes à cheffe millionnaire à Aspen (Colorado)

Née en Côte d'Ivoire et arrivée en France à l'âge de 12 ans, elle est aujourd'hui propriétaire de 4 restaurants, dont un recommandé par le Guide MICHELIN à Aspen, station de ski huppée du Colorado. Une success story digne d'un film d'Hollywood, que Mawa McQueen raconte dans son livre. On a rencontré cette toque inspirante, de passage à Paris.

Son aura, reconnaissable entre mille, irradie la Communale de Saint-Ouen, où nous retrouvons Mawa McQueen. 

Encore méconnue dans l'Hexagone, cette cheffe française d'origine ivoirienne est une petite star aux Etats-Unis, où elle a fait carrière. A l'occasion de la sortie en France de son livre autobiographique, Une ambition sans Limite, traduite en français en mai 2024 aux éditions MCQ, elle revient sur son incroyable odyssée. L'histoire d'une ado qui a grandi dans un squat des Yvelines, avant de tenter sa chance Outre-Manche, puis Outre-Atlantique.

Aujourd'hui, la queen McQueen règne sur un petit empire de quatre restaurants prospères, et emploie 120 personnes. A commencer par Mawa's Kitchen, ancré dans l'une des stations de ski les plus luxueuses au monde (Aspen), et sélectionné en 2023 dans la première édition Colorado du Guide MICHELIN. Mais cette entrepreneure aguerrie a aussi mis sur orbite Mawita, ainsi que deux établissements The Crepe Shack, déclinant quant à eux la crêpe haut-de-gamme. 

La cheffe Mawa McQueen © Kelsey Brunner
La cheffe Mawa McQueen © Kelsey Brunner
“Du rêve français jusqu'à l'American Dream, une histoire de courage et persévérance.”

Comme l'humoriste, acteur et producteur Jamel Debouzze, le comédien Omar Sy, ou le footballeur Nicolas Anelka, Mawa vient de Trappes et fait rêver toute une génération. Mais ne vous y trompez pas : c'est à la force du poignet que cette pionnière de l'afro-fusion s'est faite. Aujourd'hui multi-primée pour son talent, elle revendique un travail acharné et encourage les grandes ambitions. « Je rentre régulièrement en France » explique-t-elle. « C'est devenu très important pour moi d'animer des masterclass à destination de jeunes issus de milieux populaires, qui envisagent de travailler dans la restauration. J'ai été l'une d'eux. À l'époque, dans les années 1980, j'aurais bien aimé entendre qu'en tant que femme noire, vivant dans un foyer plus que modeste, avec mes dix frères et soeurs, je pouvais réussir. »

Déjà millionnaire, cette transfuge de classes ne compte pas s'arrêter là et vise « le milliard ». Rencontre avec celle qui défie toutes les statistiques. Du rêve français jusqu'à l'American Dream, une histoire de courage et persévérance.

Mawa McQueen © Credit Kelsey Brunner
Mawa McQueen © Credit Kelsey Brunner

Une enfance modeste marquée par l'esprit de communauté

« Je suis née à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Je débarque à Trappes à douze ans pour rejoindre ma mère, après avoir vécu donc en Afrique de l'Ouest. En France, je m'occupe alors de mes dix frères et soeurs, je fais la cuisine, le ménage, j'habille les plus petits... 

On était entassés dans deux chambres : une chambre pour ma maman, et une pour nous les onze gamins. On dormait à deux par lits superposés ! Et comme si ça ne suffisait pas, ma mère a ramené ses cousins et cousines qui ne savaient pas où aller
(rires). Il y en avaient qui dormaient dans le salon, par terre... Tu voulais aller faire pipi, attention ! Tu devais enjamber les gens au sol.

Mais ça m'a aussi donné très tôt un sens aigu de la communauté, et de ce qu'elle pouvait apporter de positif. L'entraide, la solidarité. Un amour des cuisines du monde aussi : tajines, salades méchouïa... D'ailleurs, les plats qui me manquent ne viennent pas de ma mère, mais de mes voisins !  »

Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling
Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling

Et puis, finalement trouver sa voie

« J'étais nulle à l'école ! J'avais du mal à lire, à écrire. À l'époque, on ne savait pas que j'étais dyslexique. J'ai quitté assez vite le lycée général, pour faire un CAP Collectivités. On nous apprenait à nettoyer, à faire un peu de cuisine toute simple, à destination des cantines...

En classe, je faisais de mon mieux, et je crois que le directeur a eu pitié de moi. Il savait que je devais partir plus tôt le matin que les autres élèves, déposer mes frères et soeurs chez la nounou... Il a vu quelque chose en moi. Le voilà qui me parle d'un lycée hôtelier, à Guyancourt. Mais il fallait avoir un bon niveau d'études générales pour intégrer la formation, ce que je n'avais pas. Qu'à cela ne tienne : il présente quand même mon dossier, et au forcing, je me retrouve sur liste d"attente, puis admise !

J'étais passionnée par la cuisine, mais on m'oriente vers la salle. J'ai compris plus tard que le corps enseignant s'était dit, tristement, que personne à l'époque n’aurait embauché une femme noire en cuisine en France. » 

Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling
Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling

Le grand saut pour les Etats-Unis

« J'ai toujours eu ce rêve de partir aux Etats-Unis, depuis toute petite. Quand j'étais en Côte d'Ivoire, gamine, je regardais des séries doublées en français : Le Cosby Show, Le Prince de Bel Air, Arnold et Willy... Tout avait l'air si merveilleux. Le Cosby Show, c'était la famille afro parfaite que je rêvais d'avoir !

Je me souviens notamment d'un épisode des Feux de l'Amour, où un couple part en voyage à Aspen. Le jet privé, la romance... Je me suis dis : un jour, moi aussi j'irai aux Etats-Unis, à Aspen. »

Mawa McQueen, The Crepe Shack Aspen - Credit Kelsey Brunner
Mawa McQueen, The Crepe Shack Aspen - Credit Kelsey Brunner

« J'ai attendu d'avoir mes papiers français pour pouvoir aller travailler en Angleterre, où j'ai appris l'anglais. Mes parents ne m'avaient jamais dit que j'étais illégale. Vous savez, quand j'étais gamine, tout me semblait normal, je ne savais même pas qu'on vivait dans un squat ! Jusqu'à dix-sept ans, l'école t'accepte, et tu ne te poses pas de question. 

Je rêvais d'aller vivre aux Etats-Unis, mais ça a mis dix ans à se faire ! Un coup de chance monstrueux : avec un copain, on a joué à la loterie et j'ai gagné ma Green Card. J'avais vingt-huit ans la première fois que j'ai mis un pied sur le sol américain.

J'avais postulé chez plein de restaurants. L'un d’eux, dans le Maine, m'avait rappelée. Je ne savais même pas où se trouvait le Maine, mais ça m’était égal ! Le courant passait super bien avec le patron. Une fois l’été terminé, il me demande où je veux aller pour l’hiver. Ma réponse ? Aspen, bien sûr ! Et je lui explique en rigolant que c'est mon rêve. Une semaine plus tard, il me dit : Mawa, c'est bon, tu vas à Aspen ! Il avait arrangé ça avec un de ses contact chez The Little Nell.

De là, je passe cinq ans à alterner entre les étés dans le Maine et les hivers à Aspen, chez The Little Nell. Là-bas, je commence à cuisiner en privé pour des clients fortunés. Mon activité de traiteur se développe —je cuisine dans des résidences privées et des jets privés. En 2006, je lance mon entreprise de restauration, qui évolue pour devenir Mawa's Kitchen en 2015. »

Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling
Mawa's Kitchen - Credit Alexis Ahrling

Les débuts difficiles de Mawa's Kitchen à Aspen

« Ouvrir un établissement dans le centre d'Aspen était impossible, le foncier étant hors de prix. J'ouvre Mawa's Kitchen en 2015, à cinq minutes en voiture, à côté de l'aéroport. C'était dur. Aucun client, personne.

Pour couronner le tout, Aspen, c'est une station de ski : ça ne marche au mieux que six mois dans l'année. 
Du coup, je cumule les petits boulots. Pendant cinq ans je bosse d'arrache-pied comme traiteur, cheffe privée, je nettoie les bureaux, je fais du baby-sitting... Il faut payer le loyer. Surtout, j'avais accumulé des emprunts bancaires, du stock alimentaire que je devais rembourser. Mon mari entame une formation d'agent immobilier alors qu'il était Directeur Général dans un bon restaurant à Aspen. Il se levait aussi à 3h du matin pour livrer les journaux. »

La cheffe Mawa McQueen pour Mawa's Kitchen © Daryl Murphy
La cheffe Mawa McQueen pour Mawa's Kitchen © Daryl Murphy

« Au bout d'un moment, entre 2018 et 2020, Mawa's Kitchen commence enfin à se remplir. Ce qu'on n'avait pas réalisé avec mon mari, c'est que notre base de clients et chiffre d'affaires augmentaient doucement, d'année en année. Je relève un peu la tête...

Et puis le Covid arrive. Gros coup de massue. Pile au moment où je me dis que je ne vais plus avoir besoin de nettoyer les toilettes des autres... Enough is enough, je me dis. Stop. Je ne vais pas pouvoir tenir une autre décennie comme ça. J'ai eu une conversation avec moi-même face au miroir. Je me souviens, j'ai dit : j'abandonne. »

Mawa's Kitchen- Credit Alexis Ahrling
Mawa's Kitchen- Credit Alexis Ahrling

La reconnaissance et l'espoir retrouvé

« Au moment où j'allais tout fermer, j'apprends que je suis nominée aux James Beard Foundation Awards, qui récompensent chaque année des chefs, restaurateurs, auteurs et journalistes influents aux États-Unis. Je me souviens très bien, j'étais au supermarché. Il était six heures du matin quand on m'a appelée. Normalement, le James Beard, c'est le club des white boys. Alors une femme, Noire en plus ! Je n'y croyais pas. Je retourne à ma voiture, vérifie en ligne. Je me suis assise. Et j'ai pleuré comme une madeleine.

Pour la petite histoire, il se trouve que je n'ai même pas gagné ce Prix, qui mettait en compétition tous les restos en altitude des Etats-Unis : Utah, Nevada etc. Mais le fait d'avoir été repérée m'a reboostée. Je ne pouvais plus abandonner. Du coup, je redouble d’efforts et ouvre un deuxième Crepe Shack à Aspen (après le premier, à Snowmass Village). Avec cette fameuse crêpe au caviar et saumon fumé, qui s'arrache à plus de 150 dollars. »

Mawa McQueen à The Crepe Shack - Credit Kelsey Brunne
Mawa McQueen à The Crepe Shack - Credit Kelsey Brunne

L'entrée inespérée au Guide MICHELIN

« À partir de là, le magazine américain du Guide MICHELIN me consacre un article. En me précisant bien que ça n'a pas de rapport avec la sélection à venir des Inspecteurs. Je suis ravie, je lui dis même : mais bien sûr, je ne prétends pas faire de la cuisine Étoilée.

Et puis je reçois une invitation, un peu dernière minute, pour assister à la Cérémonie du Guide MICHELIN justement ! On me dit qu'on m'invite suite à l'article publié sur moi. Je trouve ça très sympa de leur part, j'y vais avec mon mari. On rigole, on papote à voix basse pendant la promulgation des résultats. Nous étions sûrs qu'un collègue et ami à Aspen allait gagner. Au micro, ils annoncent les établissements sélectionnés dans le Guide Colorado. J'entends : Mawa's Kitchen. Je ne percute pas tout de suite. Sidération. Mon mari me secoue. Et voilà comment je me retrouve sur scène, sans avoir rien préparé !

C'était un moment très fort pour moi. A l'époque, j'étais la quatrième ou cinquième femme noire à figurer dans le Guide MICHELIN. Depuis, d'autres sont venues grossir les rangs. Le monde change, et je m'en réjouis.
 »

Mawa McQueen à l'inaugration de Crepe Shack © Carolina Joyce
Mawa McQueen à l'inaugration de Crepe Shack © Carolina Joyce

Le secret de la réussite pour Mawa McQueen

« La persévérance. Et travailler dur, très dur. C'est vraiment cet état d'esprit qui m'a aidée. Je n'aime pas qu'on me dise non. Et je n'aime pas l'échec. En même temps, ce dernier est nécessaire. On apprend toujours des échecs, rarement des succès.

Ma première tentative de crêpe premium, à Aspen, n'a pas marché. C'était une crêpe fourrée au foie gras. Les Américains m'ont insultée :
 je ne respectais pas les animaux, etc. J'en ai pleuré. Je l'enlève du menu. Quelques temps après, je suis chez un client, et je me rends compte qu'il tartine ses blinis de caviar. Dans ma tête, ça a fait tilt. Honnêtement, je l'ai fait au culot, je ne pensais pas que les Américains allaient trouver ça génial. Je me souviens dire à mon mari : au pire, même s'ils me critiquent encore, ça fera parler de nous, c'est déjà ça ! »

« Une ambition sans limite », de Mawa McQueen, est paru aux éditions MCQ en mai 2024 © Edition MCQ
« Une ambition sans limite », de Mawa McQueen, est paru aux éditions MCQ en mai 2024 © Edition MCQ

Photo de Une : Mawa McQueen © Alexis Ahrling

Reportages

Articles qui pourraient vous intéresser

Sélectionner vos dates de séjour
Tarifs en EUR pour 1 nuit,1 voyageur