Portraits 4 minutes 21 janvier 2021

La maraîchère préférée des étoilés luxembourgeois

Demandez à René Mathieu et Cyril Molard après leur fournisseur préféré, et il y a de fortes chances qu'ils citent Sandrine Pingeon. Son potager de 3,5 hectares est un rêve pour tout chef. Un secret ? Elle n'en a pas. « Je laisse la nature suivre son cours. »

« En tant que fille d'agriculteur, j'ai toujours dit : ce n'est pas ce que je veux faire plus tard » dit Sandrine Pingeon. « Ils étaient toujours occupés avec nos vaches laitières. Et je ne voulais pas cela. Mais regardez… Même si je me suis lancée dans cette aventure par accident, je n'ai pas de formation en jardinage. Je gérais des paniers pour Co-Labor. Des paniers avec des produits bio provenant d'un jardin de production. »

Les paniers que Sandrine devait distribuer étaient assemblés par les clients. C'était une opération qui était en fait contre nature. Les clients ne voulaient pas de ce qui était en saison. Et ce qui n'était pas en saison, ils le voulaient. Les agriculteurs se sont donc retrouvés avec leurs meilleurs produits. « Aujourd'hui, faire des jus à partir de chou kale est à la mode, mais dans le passé, personne n'en voulait. J'ai dû me battre pour cela, mais finalement les paniers ont été imposés aux clients. Quand je suis partie, ils étaient quatre cents. »

« On dit qu'on ne peut imposer n'importe quoi aux Luxembourgeois. Qu'ils sont plutôt délicats. Mais ils ont suivi cette histoire. C'était aussi le cas lorsque j'ai commencé à travailler pour moi-même. Mon ancien compagnon, le fils de la ferme me mettait à disposition un hangar, et il m’a demandé pourquoi je ne commençais pas moi-même quelque chose. C'est ainsi qu'est né Les Paniers de Sandrine. »

L'univers de Sandrine Pingeon.
L'univers de Sandrine Pingeon.

Cultiver ses propres légumes n'était pas son ambition initiale. Elle voulait obtenir les produits d’agriculteurs et les distribuer pour eux. Mais l'opportunité de cultiver un champ de 3,5 hectares, elle devait la saisir. Elle a commencé avec de vieilles variétés de tomates et a progressivement développé une gamme impressionnante. « Ce fut un succès instantané. Je dois souvent dire non. Également aux restaurants. Je limite le nombre de restaurants avec lesquels je travaille à quinze. Je ne fais pas de publicité et je ne sais pas me vendre. Heureusement on fait ça pour moi (rires). »

« Je ne deviendrai jamais riche. Je ne suis pas une femme d'affaires. Mais je suis riche d'une autre manière. Travailler avec des gens comme René et Cyril, c'est génial. Et aussi avec mes clients privés, bien sûr. Par exemple, certains d'entre eux ont versé mille euros d'avance pour soutenir le projet, qu'ils ont récupéré en légumes. C’est super, non ? »

Une relation de confiance avec les chefs
Le potager de Sandrine n'est certainement pas unique au Luxembourg. Par exemple, aujourd'hui, on trouve aussi le jardin Krautgaart à Koerich. Mais ne vous attendez pas ici à des histoires juteuses sur une concurrence acharnée, mais à des collègues qui se prêtent main forte. « Depuis quatre ans maintenant, de plus en plus de jardins potagers sont développés au Luxembourg, par des jeunes qui créent une nouvelle vague. Nous nous comprenons les uns les autres. Pour se prêter des machines par exemple, ou dans notre recherche d'employés. Il n'y a pas de concurrence parce qu'il y a beaucoup de demande. »

« Nous travaillons avec des abonnements fixes et nous avons aussi notre boutique. Je dois parfois ralentir les nombreuses demandes d'abonnement. Le projet va dans la bonne direction, nous ne sommes pas trop grands. Même si nous sommes maintenant huit à travailler ici. »

Sandrine Pingeon compte parmi ses clients proches certains des meilleurs chefs du Luxembourg. Une collaboration qui a été prudemment initiée dans le passé. Les goûts et les produits qu'elle considérait comme évidents – elle a toujours eu un potager à la maison – étaient considérés par les chefs comme étant de qualité supérieure. Ils voulaient absolument les travailler. « Quand ils ont dit cela, je n'ai pas très bien compris. C'était normal pour moi. Mais quand quelqu'un comme Cyril Molard vous dit que vos légumes sont vraiment bons, vous le croyez. Au début, j'avais honte parce que mes légumes n'étaient pas parfaits, comme dans les supermarchés. Mais le goût est là, et c'est ce qui compte. »

La tartelette aux légumes et aux fruits tout droit du potager de Sandrine, signé Cyril Molard.
La tartelette aux légumes et aux fruits tout droit du potager de Sandrine, signé Cyril Molard.

« Au début, j'avais un peu peur de travailler avec ces grands chefs parce que je pensais qu'ils étaient très difficiles. Mais c’est tout le contraire. Ce sont des crèmes. Ils ne sont pas exigeants. J'ai beaucoup appris en travaillant avec eux. Nous parlons beaucoup, nous nous écoutons. Nous essayons de leur donner ce qu'ils veulent, si c’est possible. Mais si ce ne l’est pas, je dis simplement non. »

Dans le potager de Sandrine, vous trouverez au premier coup d'œil les légumes et les herbes classiques. Mais plus on avance, plus les produits deviennent divers et variés. Dix variétés de basilic, en saison plus de cinquante types de tomates, mais aussi des chicons de pleine terre, du shizo et même du safran. Dans le potager, ils aiment tester et essayer, avec de temps en temps de belles découvertes. « J'ai toujours eu des fleurs dans le jardin pour les abeilles et je savais qu'il y en avait des comestibles, mais ce n'était pas mon truc. Jusqu'à ce que René en parle. La capucine poussait ici par exemple entre les tomates, aujourd’hui nous l'utilisons aussi. Nous y sommes attentifs, y compris en ce qui concerne le séchage des herbes. »

« En attendant, nous connaissons tellement bien ‘nos’ chefs que nous savons ce qu'ils veulent. Pour René, par exemple, rien n'est figé, il se promène dans le jardin et s'en inspire. Pour Arnaud Magnier de Clairefontaine, nous allons cultiver des choses spécifiques, d'une certaine taille et d'une certaine épaisseur. Tous ces chefs sont amis les uns des autres, il n'y a pas de concurrence. J'aime beaucoup cela. »

Ambassadeur des produits luxembourgeois
Cela peut sembler étrange, mais Sandrine est tellement occupée par ses paniers qu'elle n’a pas beaucoup l’occasion de goûter ses produits au restaurant. Mais quand elle le fait, elle obtient la confirmation qu'il n'est pas nécessaire de traficoter un produit pour avoir du goût. « Prenez la cuisine de La Distillerie : c'est tout simplement magique. Les dessins que René fait ici de ses plats, c'est un travail d’orfèvre. Et quand on y goûte... sa finesse est incroyable. Je travaille aussi avec des femmes, mais elles n'ont pas encore ce raffinement. Je trouve la cuisine de Ma langue sourit beaucoup plus masculine. »

« C'est toujours agréable d'être avec eux dans le jardin. René trouve toujours une fleur ou une mauvaise herbe comestible. Par exemple, il y a quelque temps, il a commencé à parler de plantain, avec lequel il a ensuite fait des beignets. René, Cyril et Mathieu de Apdikt sont en fait les seuls à pouvoir aller cueillir au jardin. Ils savent ce qu'ils font. »

“L'endroit où se trouve maintenant notre potager a été vendu.”

La réussite de Sandrine Pingeon est le fruit de la persévérance et de la passion. Au Luxembourg, il n'est pas facile d'obtenir des prêts en tant qu'entreprise agricole. Elle doit sans cesse se justifier. Mais chaque jour, elle fait ses preuves. Elle est devenue une ambassadrice des produits luxembourgeois et semble convaincre de plus en plus de gens. « Depuis que nous avons commencé, nous avons dû éduquer un peu les gens sur les légumes. Cela s'applique également à la durabilité. À quoi ça sert de mettre un oignon dans un sac plastique ? C'est important pour nous aussi. »

« Dans le magasin, nous avons maintenant aussi une sélection d'agriculteurs de la région. Il s'agit du fromage de Berdorf, de viande d'une ferme de Krautem, de miel de ville de Hugo au Luxembourg, etc. De temps en temps, nous avons un colis de viande de veau. Cela vient d'un fermier qui vendait ses veau de lait à un prix dérisoire (vaches limousines pour à peine trente euros). Pour ces personnes, il est difficile de se lancer dans ce genre de circuit court, mais aujourd'hui, il reçoit 19 euros par kilogramme. Et nos clients ont de l’excellente viande. »

Sandrine Pingeon est une femme terre-à-terre qui apprend tous les jours. Elle prend son temps, veut être sélective et assurer la qualité. S'amuser est important pour elle. Elle a encore beaucoup de projets, mais ils devront probablement être réalisés ailleurs. « L'endroit où se trouve maintenant notre potager a été vendu. Nous pouvons y rester encore pendant quatre ou cinq ans, mais il faudra ensuite trouver quelque chose de nouveau. C'est dommage, car nous avons beaucoup investi dans le terrain. Mais je suis certaine que nous trouverons quelque chose d'intéressant pour faire grandir encore plus ce projet. »

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