Actualités 2 minutes 06 mai 2021

Laetitia Visse, cheffe combattante

Laetitia Visse, cheffe et patronne de la Femme du boucher, est une battante. C’est la première chose qui vient à l’esprit lorsqu’on s’entretient avec elle. Elle avance, sans se laisser distraire par les épreuves, ni les circonstances. Interview sans maquillage mais avec le sourire.

Il faut avoir un sacré cran pour ouvrir un restaurant le 15 août 2020, entre deux confinements ! Laetitia Visse l’a fait. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu’elle en éprouvait le désir. De ses parents chanteurs lyriques, elle a hérité une sensibilité artistique, qui l'invite à pousser ses rêves dans leurs retranchements. Une force aussi. Des tempêtes et des désillusions, Laetitia Visse en a affrontées. Formée dans de belles maisons et des tables bistrotières, mais durablement marquée par certains comportements en cuisine, elle s’est installée à son compte dans une ancienne boucherie où elle mitonne une cuisine canaille. Une ode (forcément) lyrique à la saucisse purée, dont elle nous livre ici la recette en cadeau ! Enfin libre, et maîtresse de son destin.

La saucisse au pays de bouillabaisse ?
LV. "La saucisse met tout le monde d’accord. Je ne vais pas proposer un restaurant de bouillabaisse à Marseille, je ne suis pas suicidaire ! Les amateurs d’abats sont nombreux et frustrés dans la région : il était temps qu’on s’occupe d’eux. Chez moi, les stars, ce sont la saucisse purée, le sourire de ma serveuse et les choix de mon sommelier, plus que Laetitia Visse ! Trois hommes, trois femmes : à la Femme du Boucher, on s’est retrouvés avec une parité parfaite… sans même le faire exprès ! Mes compagnons de route ne viennent pas de la restauration. Margot, "la seconde colonne vertébrale" du restaurant a fait des études de sociologie et a commencé dans un restaurant vegan ! Au lieu d’une partition scolaire, ils proposent une vision différente du métier. Evidemment, le confinement a entraîné une adaptation : une cuisine à emporter, des événements à quatre mains, du foodtruck… Parfois, je suis découragée, et puis les clients me disent « vous nous manquez ! ». Il faut rester debout pour eux !"

Naissance d'un plat : quasi de veau, asperges, pickles ©Maki Manoukian
Naissance d'un plat : quasi de veau, asperges, pickles ©Maki Manoukian

Harcèlement : une parole s’est libérée en cuisine
"Depuis mes premiers témoignages, une parole s’est libérée. Cette parole avance doucement, parfois maladroitement. Les femmes à l’honneur, c’est très bien. Mais je ne suis pas forcément convaincue par la discrimination positive, qui peut devenir injuste. Les chefs harceleurs ne font pas de différence entre les hommes et femmes. J’interviens régulièrement dans les centres de formation pour expliquer que l’école doit jouer son rôle de mise en garde et de protection. Il est urgent d’apprendre aux élèves où se situent les limites de l’acceptable… de la loi ! Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Quand je me suis plaint de la violence psychologique et physique, mon école m’a simplement conseillé de trouver un nouveau stage".

“Quand les chefs me hurlaient dessus, j’avais le requiem de ma mère en tête”

A la violence, je réponds par la douceur
"Je refuse de rentrer dans un système de revanche. A la violence, j’oppose la douceur, la pédagogie, le temps. Ma rage, je l’ai digérée depuis un moment. Ma vocation, je l’ai depuis l’âge de mes 15 ans. Elle a failli être ébranlée, c’est vrai. Dans ce milieu, la question de la légitimité est quotidienne, permanente, épuisante : « Suis-je assez bonne ? Mes patrons, les clients, sont-ils satisfaits ? ». On vient à douter de soi, de sa propre personnalité. Mais j’ai tenu le coup. Quand les chefs me hurlaient dessus, j’avais le requiem de ma mère en tête. Et puis, j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Si je m’exprime aujourd’hui sur les violences subies, c’est parce que je ne suis pas la seule. Et pour ne pas avoir souffert pour rien".

Bande de filles. De gauche à droite, Laëtitia et Margot de la Femme du Boucher, et Mikaela, cheffe du restaurant grec Etsi, Bib Gourmand à Paris 18.
Bande de filles. De gauche à droite, Laëtitia et Margot de la Femme du Boucher, et Mikaela, cheffe du restaurant grec Etsi, Bib Gourmand à Paris 18.

Saucisse Purée : la recette irrésistible de Laetitia Visse

Saucisse
  • 1 kg d'épaule de cochon entrelardée de gras (porc fermier du Cantal)
  • 200 g de ventrèche (poitrine de porc salée et fumée)
  • 2 gros oignons jaunes
  • 13 g de sel fin
  • 4 g de poivre blanc moulu
  • 1 g de piment d'Espelette
  • 2 g d’ail semoule
  • 1 g de céleri graine
  • 2 g de paprika
  • ½ botte de ciboulette et ½ botte de coriandre ciselées au couteau
  • Des boyaux naturels de porc 32/30, trempés et rincés

Préparation
  1. Hacher l'épaule, la ventrèche et les oignons jaunes à la grosse grille.
  2. Ajouter le sel, le poivre et les herbes. Mélanger avec les mains.
  3. Embosser dans les boyaux à l'aide du poussoir, en piquant les éventuelles poches d'air.
  4. Portionner les saucisses en comptant 160 g environ par saucisse, soit une vingtaine de centimètres.
  5. Les laisser reposer une nuit au frais, sans les couvrir ni les filmer.
  6. Le lendemain, les faire dorer à la poêle, puis les enfourner à 160 °C pendant une dizaine de minutes pour les cuire à cœur.
  7. Les déguster avec une purée bien beurrée et un jus de viande nappant et légèrement vinaigré.
Saucisse et purée maison : la simplicité irrésistible ©Laëtitia Visse
Saucisse et purée maison : la simplicité irrésistible ©Laëtitia Visse

Normande d’origine, parisienne « de formation » et marseillaise d’adoption, Laetitia Visse est la patronne de la Femme du Boucher, à Marseille. Elle a été l’une des premières cheffes à dénoncer, à visage découvert, les violences en cuisine dans certains grands établissements gastronomiques. Depuis, les témoignages de femmes se sont multipliés sur le sujet.

Illustration de l'article © Maki Manoukian 

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