"Tout est souillé", se souvient Alexandre Couillon. "Les rochers, les poissons. Les oiseaux agonisent sur la plage. Le service terminé, on se joint aux bénévoles, on ramasse les boulettes, on nettoie. C’est un travail de fourmi." Nous sommes en 1999. Alexandre et Céline Couillon viennent de reprendre La Marine, à Noirmoutier, "comme deux gamins enthousiastes, un peu inconscients", selon leurs propres mots. Le 12 décembre de la même année, l’Erika, un pétrolier battant pavillon maltais et affrété par la société Total, fait naufrage au large de la Bretagne. Bilan : 31 000 tonnes de fioul lourd contaminent les eaux et les espèces marines. Pour la Bretagne, c’est une catastrophe sans précédent. Les côtes françaises sont souillées sur 400 kilomètres, du Finistère à la Charente-Maritime.
“Une tâche noire sur une assiette blanche”
"Nous voilà désormais en 2013. Les années ont passé. La Marine vient de décrocher sa seconde étoile. Nous sommes sur un nuage. Je travaille sur un jus d’encornet. C’est tout noir ! C’est beau, mais ce n’est pas une couleur d’alimentation… J’ai un flash. Pourquoi on n’en ferait pas un plat ? Une tâche noire sur une assiette blanche. L’huître noire Erika est une huître très épaisse (élevée spécialement pour La Marine), suave, pochée dans un bouillon iodé. En surface, du lard de Colonata pulvérisé en poudre rappelle le calcaire. Une pastille de sucre évoque le fragment de nacre, cristallin, argenté. La douceur du jus à l’encre de seiche qui la recouvre atténue un peu le côté iodé. C’est osé, mais ça fonctionne. C’est peut-être mon plat le plus personnel. Impossible de l’enlever de la carte. Qui sait, on verra peut-être un jour les Saint-Jacques COVID..."
Illustration de l'article : ©Laurent Dupont