Portraits 3 minutes 02 juillet 2020

Thomas Murer : « Le monde de la télé est beau, mais la réalité est différente »

Thomas Murer est rationnel et obstiné. Il n'aspire pas à la gastronomie ni aux fioritures, mais à la bistronomie qui sublime le produit. Faire des fonds et des sauces, cuisiner du matin au soir. Cela fait le succès d'An der Villa.

« Je suis à 100% occupé par mon restaurant, je fais le choix de toujours être là » explique Thomas Murer. « Le premier à être là,le dernier parti. J'en ai besoin, mes clients aussi. Tout donner avec mes gars. Ici, presque tout est fait maison. Et ce que nous ne fabriquons pas nous-mêmes, comme le pain, nous l'obtenons de fournisseurs spécifiques. »

L'Alsacien est un homme qui sait ce qu'il veut. Avant de travailler au Luxembourg, il a travaillé dans des restaurants réputés tels que L'Auberge de l'Ill à Illhaeusern et La Table du Gourmet à Riquewihr. Il y a appris à travailler dur. Les secrets du métier. Un chemin que les jeunes parcourent de moins en moins. « Je leur dis qu'avant de pouvoir faire des grandes préparations compliquées, on doit connaître les bases. Faire des fonds, préparer une tarte aux pommes, etc. Mais aujourd'hui, de nombreux jeunes veulent sauter les étapes. Ils ne veulent plus faire les tâches ingrates, ils veulent immédiatement se concentrer sur le dressage des assiettes. »

« Ce qui m’a le plus embêté dans les restaurants gastronomiques où j’ai travaillé, est le fait de s’occuper de petites choses inutiles. Pour moi, tout doit être concret. Chez nous, la gourmandise revient sans cesse, comme dans la cuisine alsacienne. Il y a de la sauce, il y a du jus. Chaque jour, on prépare des sauces et des fonds. C'est essentiel pour nous, c'est ce qui lie un plat. Malheureusement ça se perd un peu. C’est intensif, coûte de l'argent et prend du temps. Mais on l'adore. Ce que je reproche à la cuisine moderne, c’est le minimalisme. C'est esthétique, mais parfois la gourmandise manque. Nous mettons quatre éléments sur l’assiette, pas plus. Nous sublimons des produits – de la tête aux pieds ! – qui ne coûtent pas nécessairement beaucoup. »

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Le monde Télé vs la réalité
Les gourmets ont surtout fait la connaissance de Thomas Murer lors de sa participation à l'émission télévisée Top Chef. Il a atteint les demi-finales et a gagné beaucoup de confiance en lui-même. Mais s'il a appris quelque chose ? « Pas spécifiquement, non. Je me suis plus ouvert, ça oui. J'étais très timide, mal à l'aise avec les gens. Maintenant, je suis plus confiant. Mais cela ne m'a rien appris au niveau culinaire. Quelle est la difficulté de faire trois plats en une heure, selon des thèmes auxquels on peut s'attendre un peu ? »
« Gérer une entreprise, payer ses factures. Voilà ce qui est difficile. Se lever tôt, se coucher tard et travailler très dur entre les deux. Avec huit heures par jour, je ne peux pas atteindre la qualité que je veux apporter. »

« Ou je dois doubler mes prix, mais à ces prix-là, il n'y a personne dans la salle. Le monde de la télé est beau, mais la réalité est différente. »

L'approche du chef Murer porte ses fruits. Il choisit de gérer un restaurant sans chichi, avec un service décontracté et une décoration minimaliste qui met en valeur sa belle villa. Les clients doivent se sentir bien à An der Villa. Et ça a du succès. Les commentaires sont favorables, de nombreuses personnes de Steinfort en ont fait leur cantine. Son excellent rapport qualité-prix y est certainement pour quelque chose.
« Je propose de beaux produits à des prix démocratiques. Je veux faire découvrir aux gens, les faire voyager au travers de l’assiette. Certains restaurants fonctionnent presque toujours avec la même carte. Notre ‘problème’ est que nous devons changer régulièrement. Je demande au fournisseur ce qu'il a et j’ajuste ma carte. Et si quelque chose n'est pas là, on s'adapte. Nous pouvons toujours faire du freestyle. »

“Nous devons écouter la nature. Cela nécessite une façon différente de travailler dans notre cuisine.”

Wasabi et curcuma
Depuis l'ouverture du restaurant fin 2018, Thomas Murer développe pas à pas An der Villa. Son œuf poché croustillant est un incontournable du menu. Il valorise l'œuf avec cette préparation en inventant régulièrement différentes garnitures. Son fournisseur d'œufs est à proximité, à Hobscheid, et il en va de même pour ses fournisseurs de légumes et d'herbes. « Nous avons un partenariat avec Krautgaart, trois producteurs de légumes ici à Steinfort. Nous fournissons nous-mêmes beaucoup de légumes et d'herbes. Diverses variétés de fraises et de framboises, carottes, oignons, fleurs et herbes comestibles, etc. Nous essaierons également de cultiver du wasabi et du curcuma. »
« Tout est bio, sans pulvérisation. Les maraîchers ont une vraie philosophie. Nous devons écouter la nature. Cela nécessite une façon différente de travailler dans notre cuisine. Nous devons travailler davantage avec l'instinct. N'oubliez pas que nous changeons notre carte toutes les six à huit semaines. »

Le Chef Murer est l'un des précurseurs de l’augmentation de jeunes chefs talentueux au Luxembourg, avec entre autres Mathieu Van Wetteren d'Apdikt et Baptiste Heugens de Two 6 Two. Ils doivent se battre pour y arriver, mais ils le font avec beaucoup de dévouement. « Ce sont de bons gars qui travaillent dur. Le Luxembourg est un pays qui se développe bien, même si l’économie est difficile. »
« Chez nous, vous découvrez une autre facette du Luxembourg qu’à Luxembourg-ville. Du charme, la campagne, les petits fournisseurs. Pas de stress, mais un beau parc que vous pourrez apprécier sur notre terrasse. Je crois au potentiel de ce pays et cela fait progresser. »


Illustration assiette : ©Bastien Colas/An der Villa

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