Restaurants 3 minutes 11 juillet 2023

Restaurant Alchémille : du poisson sauvage et Rhin d’autre !

En Alsace, dans la partie septentrionale du Rhin, c’est un binôme au caractère bien trempé qui a enfilé le costume d’ambassadeur du poisson sauvage du Rhin. D’un côté le chef du restaurant Alchémille à Kaysersberg, Jérôme Jaegle, et de l’autre, le seul pêcheur professionnel de la région, Jérémy Fuchs. Leur mission : redonner leurs lettres de noblesse à des poissons trop souvent mal aimés.

Installé depuis 2015 dans le village de Kaysersberg, Jérôme Jaegle chef de l'Alchémille, restaurant étoilé MICHELIN et auréolé d'une Etoile verte, est un homme entier, les pieds enracinés dans son territoire. Amoureux de la nature, il propose une cuisine aussi sauvage que sensible. Un peu à son image finalement. Pour lui, pas question de travailler des produits sans âme et sans histoire. C’est d’ailleurs une de ces histoires qu’il écrit avec Jérémy Fuchs depuis bientôt 3 ans. « Par rapport à toute notre démarche de valorisation du terroir, c’était naturel de travailler avec Jérémy. Pour moi qui suis passionné de pêche, c’était un objectif de n’avoir que des poissons sauvages à ma carte. Pour moi c’était le luxe à l’alsacienne ». Un luxe en effet. Car si les silures, brèmes, carpes et autres poissons qui peuplent les eaux du Rhin peuvent parfois s’avérer compliqués à attraper, Jérémy et sa carrure de déménageur l’est aussi. 

Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue

L'histoire d'un des derniers pêcheurs du Rhin
Celui qui a pris la suite d’Adrien Vonarb en 2018 à la tête de son entreprise de pêche et de transformation alimentaire n’a jamais eu besoin d’appâter le client. « Quand moi je suis arrivé, je n’avais pas besoin de chercher d’autres clients. J’avais déjà plusieurs restaurants qui me prenaient mon poisson et à côté, j’ai toute ma partie transformation pour la grande distribution qui était en place », explique le pêcheur. Car le poisson sauvage, s’il compte des espèces nobles telles que le sandre ou le brochet, très demandés par les chefs, compte aussi toute une partie, la plus grosse, de poissons moins cotés. Le silure, et sa chair réputée vaseuse, en est le meilleur exemple. « Ces poissons, tu ne peux pas te dire que tu ne vas pas les pêcher, ça fait partie du milieu donc forcément tu vas en prendre, et il faut avoir un moyen d’en faire quelque chose », explique Jérémy qui utilise ces vilains petits canards aquatiques pour confectionner des tourtes. C’est d’ailleurs une véritable fierté pour lui que de pouvoir offrir du poisson sauvage et local au plus grand nombre. «  Moi je ne veux pas travailler qu’avec des restaurants étoilés, je veux que tout le monde puisse profiter du Rhin et c’est pour ça que je continue de collaborer avec des grandes surfaces, pour que tous les gens du coin puissent avoir accès aux produits de notre fleuve ». Le carnet de commande est déjà bien rempli, lorsque Jérémy voit débarquer Jérôme, il va donc lui proposer les poissons « qu’il lui reste ». Aucun problème pour le chef qui va faire de cette contrainte une force. « Au début j’avais un poisson par ci par là mais aujourd’hui on s’appelle, il me dit ce qu’il a, on s’organise, c’est de là qu’est venu mon travail sur la maturation, pour stabiliser notre arrivage, maîtriser nos cuissons, nos textures ».

Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue

Sans maîtrise, le poisson n’est rien
En effet, pour que des poissons tels que la carpe ou le silure, dont Jérémy vante les qualités de la chair, se retrouvent sur une table étoilée, une longue phase de recherche totalement empirique a été nécessaire. Dans les écoles de cuisine, ces choses ne s’enseignent pas. « Au début ça a été beaucoup d’expérimentation, il a fallu comprendre le poisson. Comment enlever les arrêtes en respectant la chair, comment les cuire, à quelle température… Du silure que tu mets à la poêle ça te fait du coton, par contre si tu le matures 20 à 30 jours, t’as la texture, l’aspect nacré, ça n’a rien à voir. » C’est cette maturation qui fait aujourd’hui la fierté du chef et de son équipe mais surtout qui lui permet une véritable justesse dans son travail du poisson. Garante de qualité, de régularité et d’expression maximale de la saveur, la maturation est devenue un outil majeur pour Jérôme et ses équipes. Largement répandue dans le milieu de la viande, cette technique a dû être adaptée pour convenir à la conservation d’un produit bien plus sensible qu’un simple bout de viande. « La technique est très simple, on vide les poissons le plus vite possible, on les essuie, par contre on n'enlève pas la peau. On ne fait pas encore d’ikejime mais le jour où on le fera, c’est qu’on sera prêt à le faire, ça fait clairement partie de nos projets ». 

Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue

Tout est bon dans le poisson
Ce parallèle avec le monde de la boucherie se poursuit également dans la philosophie du chef à l’heure de travailler un poisson entier, comme on le ferait avec une carcasse de bœuf ou de cochon par exemple. Pour Jérôme, hors de question de reproduire ce que tout chef issu d’une formation classique a vécu : lever les filets d’un poisson et jeter tout le reste à la poubelle. « Moi je suis fils et petit fils de boucher donc forcément ça ressort sur tout mon travail. Dans un poisson il n'y a pas que le filet, il y a la ventrèche, il y a le foie, il y a la nageoire, il y a les yeux, il y a tout un travail de découpe. Et j’ai fait le lien très vite quand j’ai mis les mains dans le poisson, j’avais l’envie de valoriser l’ensemble de l’animal et le travail humain qui est derrière ». Ainsi, aujourd’hui dans la cuisine proposée chez Alchémille, c’est toute cette histoire qui se transmet à travers des assiettes telle que la nageoire pectorale de carpe servie comme une côte de bœuf sous escorte de beurre noisette et d’ail ou encore le carré de tanche. La collaboration entre Jérémy et Jérôme est donc une totale réussite gustative mais également un bel exemple de valorisation qui tend à se diffuser et à inspirer d'autres chefs.  « L’exemple alsacien que le silure ça se mange commence à se répandre sur tout le territoire » se félicite le pêcheur. « C’est beau de voir qu’on peut inspirer des gens ! Moi j’ai rien inventé mais j’ai probablement ouvert une fenêtre sur un nouveau truc » ajoute modestement le chef qui reste cependant prudent sur l’avenir piscicole de la région car comme l’écosystème de notre planète, cette valorisation reste fragile. « Si demain Jérémy n’est plus là, plus personne ne parlera de poisson du Rhin » conclut Jérôme, comme dans un message lancé à la jeunesse.

Crédit photo : Florian Domergue
Crédit photo : Florian Domergue

Hero image : Florian Domergue

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