"Quand j’ai ouvert Papillon, j’avais en tête de défendre la gastronomie normande. Je rêvais d’un cochon élevé dans ma région, à la façon du tacheté de Bayeux. Mais j’ai bien dû me rendre à l’évidence : impossible de rivaliser avec le porc noir de Bigorre. Tant pis ! Mon cochon, qui est un animal curieux par nature, je vais l’emmener en promenade chez moi, du côté d’Utah Beach, la plage la plus célèbre du débarquement. Et de quoi se nourrit-il, au gré de ses errances ? De coquillages, d’huîtres, de bulots, d’algues, de panais aussi… autant d’ingrédients qui se retrouvent dans l’assiette. La région est réputée pour sa culture légumière sur terrains iodés et sablonneux.
“C’est un plat déroutant, adapté au moment que nous traversons”
J’aime les plats de fantasme, réservés aux gastronomes curieux. Non seulement, celui-ci n’a pas de saisonnalité, se trouve au croisement de deux cultures françaises, mais il se nourrit de terre et d’océan – de la même façon, j’espère qu’il saura nourrir le cœur et l’esprit. C’est un plat déroutant, particulièrement adapté au moment que nous traversons. Nos gouvernants sont incapables de tenir un discours clair sur l’avenir de la gastronomie ou de l’agriculture : il revient à nous, restaurateurs, de le tenir dans l’assiette. Alors ce cochon parti en balade, croyez-moi, il n’est pas prêt de s’arrêter."
Christophe Saintagne est le chef de Papillon, à Paris.
