« La fermeture du Sea Grill a été accompagnée de beaucoup d'émotions » explique Yves Mattagne. « Le Jour de l’an, notre dernier jour, tous nos clients réguliers sont venus manger. Mais la plupart des émotions étaient présentes lorsque j'ai annoncé la fermeture à mon équipe. Tout le monde me suit à la Villa, mais quand même. Il est difficile de changer les habitudes. Nous avons vendu le restaurant à l'hôtel car ils ont instauré une nouvelle structure. Nous ne pouvions plus, par exemple, avoir notre propre entrée. »
Il faut dire que le chef Mattagne n'a pas n’importe quelle équipe autour de lui. Beaucoup de gens travaillent avec lui depuis des décennies. Cela va au-delà d'une relation de travail. Ils l'ont tous suivi au Art Club, un pop-up à la Place Royale, où ils ont échangé leurs costumes élégants pour des jeans. « C'est quelque chose de nouveau pour eux. Rafraîchissant. Plus détendu. À mon avis, la gastronomie en a aussi besoin. Il faut être moins raide. Les temps changent et nous devons changer avec. Je veux aussi voir ça à La Villa Lorraine. »
« Le concept de partage que nous proposons au Art Club n'existe pas à Bruxelles. Je le faisais dans le temps au YuMe, à l’étage. C'est un rassemblement de tous mes voyages, principalement en Asie. J'y suis allé plusieurs fois pour ouvrir des restaurants d'hôtel. Et j'aime partager. Ça donne d'autres conversations à table, plus sur le plat qui est partagé. J'entends autour de moi que ça plaît. Je ne vais pas le faire à La Villa, mais peut-être au bar du restaurant. On pourra y manger également, mais d'une manière différente. Le bar et le restaurant doivent former une continuité. »
Couche de poussière
La carte du pop-up mentionne ‘Ceci n’est pas le Sea Grill’. Yves Mattagne ne veut pas donner de fausses attentes à ses clients, bien qu'il ne puisse bien sûr pas nier sa cuisine. Et ne sous-estimez pas son instinct des affaires. « Il y a quelques références au Sea Grill, mais adaptées à l'endroit. Mon thon américain est également au menu ici, un plat que j'ai créé pendant la maladie de la vache folle. Puisqu'il n'y avait plus de bœuf, j'ai commencé à utiliser du thon. C'est mon plat le plus vendu ici. »
« Dans le passé, la brasserie de Peter Goossens se trouvait à cet endroit. Le groupe qui a repris l'entreprise m'a demandé de faire un restaurant ici, il y a environ quatre ans. J'avais tout dessiné, les travaux intérieurs avaient commencé, mais ils ont fait faillite trois mois avant l'ouverture. Quand nous avons pensé à ce pop-up, je suis revenu voir l’endroit. Tout était toujours le même qu'il y a quatre ans, il y avait seulement une couche de poussière dessus. Et nous voici ici, aujourd’hui. »
L'Art Club n'a pas manqué sa réouverture. Les réservations rentrent bien et de nombreux clients réguliers du Sea Grill sont heureux de s’y attabler. Les places autour de la cuisine ouverte, où les préparations froides sont terminées, sont en demande. Les gens adorent voir le chef Mattagne en action.
15 octobre
Le nombre de chefs talentueux qu'Yves Mattagne a formés est impressionnant. Ce sont ces jeunes qui lui donnent de l'énergie et la gardent jeune. En échange, il les prend sous son aile. Il est conscient qu'il faut continuer d'avancer, en tant que chef et en tant qu'homme. « Aujourd'hui, nous ne pouvons plus travailler comme avant. Nous étions plus hargneux, nous l'avions appris de cette façon. Maintenant, on doit être plus psychologue. Résoudre les problèmes en parlant, parfois également de sujets privés. »
« Ce n'est plus une vie d'être dans votre cuisine 24 heures sur 24. On doit évoluer, voir quelque chose de différent. Je mange très peu dans d'autres restaurants car cela vous affecte. Quand je vais à l'étranger, je vais dans un restaurant local traditionnel. Pas dans un concept ou chez un chef gastronomique qui a son propre style. Quand je suis en Chine, je veux manger du vrai canard de Pékin. »
Une chose est sûre : Yves Mattagne n'est pas du genre à rester assis. En plus de son restaurant, il supervise beaucoup. Il aide également son fils avec sa boutique de gaufres, Gaufres & Waffles, pour laquelle il a dessiné la moulure et fait toutes les recettes. Et sa collaboration avec l'homme d'affaires Serge Litvine va au-delà de La Villa Lorraine. « Nous sommes partenaires en affaires depuis longtemps. J'ai fait, par exemple, la première carte d'Odette en Ville, un de ses autres restaurants. Nous allons également faire construire une grande cuisine de production pour le service traiteur de La Villa Lorraine, dans l'ancien dépôt de gaufres Milcamps, dont M. Litvine était auparavant propriétaire. Les travaux pour cela commenceront en septembre. »
« Nous devrions ouvrir La Villa Lorraine vers le 15 octobre. Nous avons pris deux mois de retard à cause de la crise corona. Mais ça va être très beau. Je travaille depuis longtemps sur ce que nous allons faire à La Villa. On y trouvera le service et la mentalité du Sea Grill. L'attention pour les poissons aussi. Ça reste ma cuisine. Mais il y aura aussi quelques plats de viande. Ma presse à homard vient avec, tout comme les préparations de table. Mon équipe a toujours fait cela et sait comment le faire. Nous voulons monter le plus haut possible. Nous allons encore écrire de nombreuses belles histoires. »
Illustration Yves Mattagne: ©Michel Verpoorten - Triptyque.be